Un musée qui ressemble à une boîte de nuit, ça vous dit?
Pour rajeunir leurs publics et pour parer aux coupes budgétaires dans la culture, le musée se réinvente. Self-service, ambiance boîte de nuit… les initiatives pullulent.
Oubliez vos idées reçues sur les musées. Les lieux d’exposition de demain n’aligneront plus les œuvres comme à la parade sous l’œil maussade d’un gardien. Je me suis d’ailleurs toujours demandé si ces hommes et ces femmes qui passent leurs journées en compagnie des mêmes créations nouaient des liens particuliers, intimes, avec leurs « protégés », ou au contraire, si comme dans un vieux couple, ils finissaient par ne plus pouvoir les voir… en peinture. Tout dépend sans doute des œuvres. Passer son temps au milieu des Nymphéas de Monet n’a sans doute pas le même effet sur le moral qu’une cohabitation longue durée avec les grimaces diaboliques des personnages de Francis Bacon.
Mais revenons à nos moutons. L’heure est déjà à la mutation des espaces muséaux. Aux quatre coins du monde, les initiatives se multiplient pour réinventer l’expérience. Pour certains, comme au Louvre-Lens, cela passe par une nouvelle scénographie de sa Galerie du temps. Soit un voyage déambulatoire et décloisonné à travers l’Histoire de l’art résumée en 200 pièces de toutes les époques et de tous les continents. Avec, pour égayer l’aventure, des cartels écrits et dessinés privilégiant une approche pédagogique et ludique.
D’autres acteurs poussent la révolution beaucoup plus loin. Dans le dernier numéro de Beaux Arts Magazine, un reportage nous apprend que l’île de Tasmanie, en Australie, accueille depuis peu le Mona, un musée qui ressemble moins au « white cube » standard qu’à un casino ou à une boîte de nuit, éclairages pulsatiles, musique électro et bars compris. Une initiative à 300 millions de dollars australiens (environ 184 millions d’euros) mêlant art ancien et contemporain que l’on doit à un riche excentrique, David Walsh, qui a fait fortune dans les paris et les jeux de hasard. Un cabinet de curiosités entièrement souterrain qui brouille volontairement les hiérarchies établies pour une confrontation sans à priori avec l’art. Cette présentation iconoclaste rompt avec plusieurs siècles de mise en scène chronologique ou monothématique articulée autour de joyaux désignés arbitrairement comme des canons esthétiques à idolâtrer par les experts du bon goût.
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Sans aller jusqu’à ce cas extrême difficilement transposable à grande échelle, beaucoup d’institutions cherchent depuis longtemps à sortir de leur zone de confort. Tout le monde ne peut pas se payer les services de Frank Gehry pour ériger un musée-objet comme le Guggenheim à Bilbao. La plus évidente et la plus simple des ficelles pour attirer l’attention est sans doute de confronter des œuvres d’hier et d’aujourd’hui. Une manière soft de rajeunir les collections et d’attirer de nouveaux publics friands de concepts qui décoiffent. On se souvient du dialogue fécond en 2008 entre les œuvres de Jan Fabre (bien avant sa condamnation pour agression sexuelle et violences) et les trésors du Louvre. Une première qui a enthousiasmé autant qu’elle a choqué à l’époque. Aujourd’hui, cette pratique fait désormais partie de la panoplie standard des conservateurs. La preuve, le Musée Art & Histoire de Bruxelles (expo Fireflies, un dialogue entre les céramiques et les poteries de l’Antiquité et le travail de jeunes artistes de La Cambre) et le Kunstmuseum de La Haye (une confrontation en noir et gris du peintre belge Léon Spilliaert et du photographe Dirk Braeckman) jouent en ce moment cette carte magique. On voit même des musées ouvrir leurs portes à des projets plus foufous. Des clips de rap « s’offrent » le Louvre (Beyoncé et Jay-Z notamment), et des écrivains se laissent enfermer dans le musée de leur choix, une expérience in situ qu’ils racontent dans des textes publiés dans la collection Ma nuit au musée chez Stock. Une opération win-win.
Quel est le but de ces grandes manœuvres? Dépoussiérer un concept qui n’a pas beaucoup évolué depuis les temples d’Alexandrie, mais aussi répondre aux attentes d’un public qui ne jure plus que par l’hybridation. Après tout, les néo boulangeries des capitales se transforment bien en clubs diurnes, avec DJ set et light show. À l’heure où les budgets de la culture sont menacés par les coupes budgétaires et les populismes, cette revitalisation est aussi une question de survie. À ce propos, un entrepreneur japonais a trouvé une solution radicale pour tailler dans les coûts: son Ueshima Museum de Tokyo est un centre d’art contemporain en self-service. Personne à l’accueil, pas de gardiens mais des caméras partout et un QR Code comme sésame.
Innover, d’accord, mais faut peut-être pas pousser le bouchon trop loin non plus… ●
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