Une rémunération juste pour les artistes, aussi sur les plateformes

Christian Martin (au centre), président de Playright, le sait: "Même si la loi est votée, il faudra encore des années pour s'accorder avec les plateformes." © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

La Belgique s’apprête à transposer dans sa législation la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique. L’occasion – ou pas – d’enfin faire payer les plateformes pour l’utilisation du travail des artistes.

Christian Martin, le musicien, le producteur, l’ingénieur du son, mais aussi et, surtout, le président de Playright, l’unique société de gestion collective des droits voisins en Belgique, est inquiet, et a envie de le faire savoir au gouvernement et à Pierre-Yves Dermagne (PS): le ministre de l’Economie doit déposer incessamment sur la table du Conseil des ministres le projet de loi qui transposera la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins adoptée, non sans mal, en 2019. Celle-ci prévoit, entre autres, dans son article 18, que les auteurs et interprètes doivent obtenir « une rémunération appropriée et proportionnelle » lorsqu’une oeuvre à laquelle ils ont participé (un film, un concert, un enregistrement) est diffusé, y compris sur les plateformes numériques.

Si on veut mettre en place une harmonisation favorable aux interpru0026#xE8;tes, et non aux plateformes, c’est le moment ou jamais.

« Dit ainsi, ça ne veut rien dire!, soutient Christian Martin. Ce n’est pas suffisant si on ne prévoit pas un mécanisme pour garantir cet objectif. Et le seul valable, c’est un droit à rémunération en gestion collective, comme ça se passe déjà dans le monde physique. Pour tous les interprètes, avec l’évolution foudroyante de la consommation, cette question devient urgente: aujourd’hui, quand un morceau sur lequel j’ai joué en 1988 passe en radio ou à la télévision, je perçois une rémunération; par contre, quand le même morceau réalise 300 millions de vues sur YouTube, je ne gagne rien, tout comme les 18.000 membres de notre société de gestion collective. Ce n’est pas normal. Le cadre juridique défini en Belgique il y a vingt-cinq ans, avant l’explosion d’Internet, n’a jamais été adapté. Si on veut mettre en place une harmonisation qui soit favorable aux interprètes, et non aux plateformes, c’est le moment ou jamais. »

Un vote attendu

Concrètement, dans le monde « réel », si les auteurs identifiés d’une musique, d’un livre ou d’un film bénéficient des droits d’auteur sur leurs créations, des droits dits « voisins » sont également prévus pour les musiciens, danseurs ou acteurs qui ont participé à leur enregistrement et à leur création, puis à leur diffusion, en radio, en télévision ou dans des lieux publics – et ce, de manière incessible, pendant septante ans. Des droits qui sont évidemment moindres, mais qui représentent, en Belgique, environ vingt millions d’euros par an, collectés par Playright et répartis équitablement parmi ses 18.000 membres (dont 10.000 Belges), en fonction du « succès » et du nombre de diffusions. Un mécanisme qui fonctionne, sous contrôle et avec l’agrément du ministère de l’Economie, mais devenu quasiment inexistant pour les diffusions sur YouTube, Spotify, Apple et autres Netflix: aucune plateforme de diffusion digitale ne verse de droits voisins en Belgique. Et entend bien poursuivre ainsi.

« Sans gestion collective, il est évidemment impossible pour un artiste de s’adresser directement aux Gafa pour obtenir ce qui lui revient. Or, et leur lobby s’est déjà exercé à ce niveau, la directive européenne a laissé aux Etats membres le soin d’appliquer ses beaux principes, qui risquent donc de le rester. Les Gafa, mais aussi les majors du disque et les gros médias qui ont eux-mêmes des plateformes de diffusion, n’ont évidemment pas envie que ça change. C’est pourtant déjà le cas en Espagne ou en Allemagne, où des droits voisins sont désormais perçus, y compris auprès des plateformes digitales. Mais il a fallu dix ans de négociation et de procès, tous gagnés, après le vote d’une loi, pour y parvenir. Même si la loi devait prévoir un mécanisme de gestion collective, ce que nous demandons, et qu’elle est votée aujourd’hui, il faudra quelques années encore pour s’accorder avec les plateformes… C’est dire que le rendez-vous est à ne pas manquer. »

Une première lecture du projet de loi a déjà eu lieu, une deuxième a pris du retard, mais le tout devra être voté sous cette législature. Tous les partis et politiques rencontrés par Playright se sont dits « conscients des enjeux importants pour les interprètes », mais tous ne semblent pas encore prêts à froisser les Gafa. Au contraire des 8.000 signataires de la pétition lancée en octobre par Playright, et toujours disponible en ligne.

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