Résidences: quand les lieux culturels deviennent les incubateurs des talents de demain
Du Botanique à l’Eden en passant par d’autres centres culturels, les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles trouvent une logistique de travail sur le son, l’image, le show. Face à eux-mêmes, mais pas seulement, dans une période où le Covid a joué un rôle positif.
Noé Preszow est au milieu de la scène de la Rotonde du Botanique. Il démarre le groupe, l’arrête, le fait repartir, ferme les yeux pendant un titre, se glisse dans l’éclairage qui se règle. Mars 2021, la salle ronde de la rue Royale est déserte, hormis quelques techniciens. Les serres sont tranquillement silencieuses, le bar est clos. L’exercice: la mise au point d’un concert en streaming de Noé Preszow qui va être diffusé dans quelques heures. Un an plus tard, depuis le coin d’Ardèche où il s’est réfugié pour composer, le Bruxellois se rappelle: “On a eu la possibilité de répéter deux jours au Botanique et de terminer par un livestream. J’ai également fait deux jours en piano-voix au Cirque Royal. Répéter et jouer devant des salles vides est une expérience particulière. C’est émouvant de se retrouver un bout de temps dans un lieu où tu passes généralement deux heures: la salle devient “ton” lieu. Des endroits mythiques dont on te donne les clés. Il y a une magie, quelque chose de vertigineux même, de croiser ses propres souvenirs de spectateur. J’adore le Botanique mais il y a quelque chose d’irréel d’être sur la scène du Cirque Royal.”
Incontournable de la scène belge francophone “officielle”, Paul-Henri Wauters, le directeur du Bota, confirme que les résidences sont davantage qu’une tradition à la bonne franquette. Geste de bienveillance, peut-être, mais aussi “d’obligation contractuelle de présenter les projets locaux vis-à-vis des pouvoirs publics”. “Et ça, on l’a compris dès la fin des années 90.” Pas seulement une question d’espace mais aussi de conditions “présentant au maximum les conditions techniques de l’accueil en son et en éclairage”. À la Rotonde et à l’Orangerie, au plus près des circonstances du live, l’inspiration peut aussi venir de l’histoire du lieu. Bosser dans une salle où sont passés Tindersticks, Morphine ou Jeff Buckley promet aux artistes d’y croiser de beaux fantômes. “Depuis le début de cette pratique, il y a une bonne vingtaine d’années, on a eu entre 25 et 30 résidences annuelles, peut-être 500 au total. La plupart du temps, le séjour, généralement de trois jours, est intégralement financé par le Botanique. Y compris lorsqu’on doit engager un ingé son qui connaît notre matériel et/ou l’équipe technique qui va capter un éventuel livestream diffusé sur les réseaux sociaux. Et depuis deux ans, notre salle de cinéma permet aussi de répéter un show avec des moyens son et image dans les conditions du live. Le câblage optique entre les salles permet d’enregistrer et de filmer ces répétitions qui peuvent durer une semaine voire plus.”
Le Variétés
Preszow cite aussi le travail du Studio des Variétés, organisme subsidié par la Fédération Wallonie-Bruxelles, dont le Liégeois Michael Larivière assume le coaching scénique et la direction. L’ancien de My Little Cheap Dictaphone -groupe aujourd’hui disparu- s’est inspiré d’une initiative française qui consiste à encadrer l’artiste en résidence sans lui imposer quoi que ce soit. “Depuis une petite dizaine d’années, nous travaillons avec divers centres culturels en FWB, aujourd’hui une quinzaine. Dont l’Eden, les Chiroux, le Reflektor, le centre culturel de Chênée, le Rockerill et le Bota. Le mot “Variétés” n’est pas à prendre au premier degré, puisqu’on bosse bien évidemment avec des artistes pop-rock, électro et pas mal de rappeurs. Souvent, ces derniers n’ont pas ou peu d’expérience de la scène. Certains ne se sont même jamais produits en public et se retrouvent à faire une AB complète comme premier concert. Ils savent à peine ce qu’est un retour… On peut faire une première journée de “décrassage” et puis se revoir la veille de grosses dates. 70% de nos activités consistent précisément en l’organisation de résidences.” Le champ du Studio est vaste: profs de chant, conseillers scéniques, coachs visuels. Ils font alors des suggestions pour lesquelles “l’artiste reste le patron”, généralement au cours de deux, trois jours de travail . Le Variétés accueille une cinquantaine de projets à l’année et offre une trentaine d’heures d’accompagnement, à raison de huit à la journée. Sont passés ici, par exemple, Hamza, Roméo Elvis, pas mal d’indés ou cet Américain de Belgique, Satchel Hart. “Un talent incroyable, un petit prodige qui joue tous les instruments et qui a tout produit de son premier album prévu à l’automne. On essaie de faire gagner le rodage scénique des groupes qui avaient besoin auparavant de dix, quinze soirées dans des petits cafés pour être au point.”
Pandémie, suite
“Glass Museum a bénéficié d’une bourse qui nous a permis de les accueillir à l’Eden pendant trois jours (lire aussi notre interview). Avec, plus généralement, un logement possible à l’auberge de jeunesse de Charleroi, récemment rénovée, à notre charge. Un brunch offert et puis 150 euros de défraiement par groupe par jour…” Nathalie Delattre, programmatrice au centre culturel carolo, responsable notamment des résidences, souligne la particularité des deux dernières années. “À l’année, l’Eden a une programmation relativement chargée, devant jouer son rôle de centre culturel. Mais le Covid a créé des conditions très particulières, augmentant le nombre de résidences de musiciens.” Vingt-quatre en 2021, se terminant par un concert de sortie de résidence ou une prestation en captation online. Il s’agit aussi d’un soutien à des projets qui sont aussi des coups de cœur. Par exemple, le groupe Steffig Raff, projet du Colombien de Bruxelles de La Chiva Gantiva, Rafael Espinel. Joint par téléphone début mai, il garde une impression forte et durable de l’expérience. Avec une énergie caliente, qui a dû, mine de rien, faire trembler les fondations carolos.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici