MLCD, la maturité pop

My Little Cheap Dictaphone © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Début décembre, My Little Cheap Dictaphone tourne le clip de Fire à la sauvage dans le Londres nocturne. Avec la jeune actrice Pauline Étienne en bombe humaine. Le nouvel album des Liégeois –The Smoke Behind the Sound-, lui, explose de pop mature.

Bien trop maquillées, en équilibre précaire sur des échasses talonnées, la robe glam minimaliste, les filles cigognes ivres sont à la recherche de leur nid. Ou d’un taxi. Bienvenue au binge drinking londonien du vendredi soir. A Liverpool Street Station, les bars déversent leurs clients sur le brouhaha alcoolisé des trottoirs. La foule dégorge de bobos dans des rues avoisinant le taux d’occupation d’Hong Kong. Au centre de cet avant Noël claustro, il y a une jeune fille aux cheveux courts vêtue d’une parka verte, sac rouge au dos, sourire en vacances, muette, stoïque, perdue: pas du tout raccord à l’endroit. Justement, voilà Pauline Étienne, jeune actrice belge remarquée, notamment dans La Religieuse, où elle défie l’idée-même de sainteté en se faisant, entre autres, cracher dessus. Là, brave petit soldat au piquant vent d’hiver, elle multiplie les travellings anonymes au coeur des trottoirs encombrés, slalomant une fois, deux fois, dix fois, pour le même plan enlevé de quelques secondes. « On n’a aucune autorisation de tournage, explique Michael Larivière, la longue tige chantante de MLCD. On avait envie de trouver une ville permettant ces images de nuit, Liège n’est pas éclairé (sourire), Bruxelles est trop référentiel, on a pensé à Londres. » L’équipe minimale -le chef op Jean-François Metz et l’assistant Bertrand Lissoir- est emmenée par un autre fil électrique, qu’on verrait bien chez Lynch: Nicolas Guiot, heureux réalisateur d’un court-métrage récompensé par César et Magritte, Le Cri du homard. Là, le trentenaire carolo use du pixel face au visage déconcertant de Pauline: quand dans un break, elle sourit enfin, cette Bruxelloise de 24 ans révélée chez Joachim Lafosse (Élève libre, 2008) redevient une adolescente solaire. La nature actrice, on suppose. Pauline: « J’ai accepté parce que j’ai aimé la chanson, Fire, tout comme le scénario proposé par Nicolas Guiot. » Pauline, comme le reste de l’équipe, est bénévole, ce qui dit deux ou trois choses sensées de l’attraction musicale de Fire et du nouvel album (lire la critique).

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Dans cette joyeuseté collective, le thème même de la vidéo est plus ambigu. Une jeune anonyme qui va finir par faire exploser son mal-être dans une bombe? A Londres, lieu de multiples attentats depuis… 1605 et la tentative de faire sauter la Chambre des Lords, plus tout le passé sanglant de l’IRA et des récents attentats pro-islamiques? « Ce n’est bien entendu pas une incitation à foutre une bombe, explique Michael Larivière qui, dans le clip, incarne une mauvaise conscience à visage humain. La fille jouée par Pauline a le « feu » en elle, un Fire qui l’obsède sous la pression mise pour l’inciter à l’acte ultime. On peut avoir l’impression qu’elle s’est fait laver le cerveau, qu’elle a perdu pied, et Pauline semblait avoir assez de charisme que pour porter tout cela sur ses épaules. On avait envie avec ce clip de poser un geste fort, un geste artistique, cinématographique, aussi parce que tellement de vidéos glissent dans une semi-indifférence. Mais, dans Fire, il n’y a bien entendu aucune incitation à commettre un attentat. » Nicolas, le réal, qui a écrit plusieurs scénarios, avant de tourner celui avec Pauline, confirme: « Même si on suit quelqu’un qui est prêt à commettre quelque chose d’abominable, on est bien plus dans les tergiversations psychologiques que dans la volonté politique. » Le public jugera du sens de l’affaire qui exprime le désir de s’affranchir des contraintes standards du rock. Et puis si Pauline était une terroriste (…), elle n’engloutirait pas si goulument, dans la « vraie vie », un tel sandwich saucisse ketchup XXL (voir les photos du tournage) entre deux prises frigorifiées à la fête foraine de Hyde Park. Si?

Grandeurs et dépendances

Janvier. Un mois après ce tournage conclu vers une heure du mat dans les allées fantomatiques de Brick Lane, MLCD s’escrime sur la scène de l’Orangerie vide du Botanique. En résidence pendant trois jours destinés à régler le show qui prend la route dès ce mois-ci. En scène, arc-bouté sur le micro, toutes réserves envolées, Michael Larivière a quelque chose de Billy Corgan des Smashing Pumpkins: une taille haute (1m93) et des expressions plus carnassières qu’au civil. Le jeune batteur de 23 ans, Simon Fontaine, guide la danse, pop cinglante où s’imbriquent Pierre-Louis Lebacq (claviers), Emmanuel Delcourt (guitares) et Xavier Guinotte (basse).

My Little Cheap Dictaphone
My Little Cheap Dictaphone© Philippe Cornet

Déployés entre des écrans verticaux où les animations digitales font la fête: « Le visuel est assumé par Nicolas Olivier, qui a collaboré à Kiss & Cry, la création de Jaco Van Dormael et Michèle Anne De Mey, les vidéos sont élaborées par un gars des Cantons de l’Est, Hervé Jungblut, qui a aussi conçu la pochette de l’album. MLCD fonctionne toujours de la même manière en allant vers des gens à la fois pros et qui peuvent être proches de nous. J’aime assez l’idée que nous soyons une sorte de grande famille, un projet qui grossit avec les gens qui s’y embarquent, une collectivité, même éphémère. » Ainsi le seul non-belge de l’affaire: le guitariste français, Manu, 27 ans, rencontré alors que le groupe accepte en 2012 de confectionner la BO d’un Roméo et Juliette au Théâtre de Liège. Michael: « Le metteur en scène de cette adaptation de Shakespeare, Yves Beaunesne, avait des demandes et références assez précises, qui allaient de Jeff Buckley à Rachmaninov, ce dernier nous semblant plus difficile à maîtriser (sourire). » Le groupe rencontre alors Manu, guitariste parisien, qui a aussi des lettres (musicales) de la Sorbonne. « On est partis en résidence en Provence, et dès qu’on s’est mis à jouer avec lui, on a bien senti qu’il se passait des choses… En janvier 2013, Manu a quitté la France et nous a rejoints, tout en devenant guitariste de Roscoe. » Ce jour-là, Manu parle surtout de l’ampli rapatrié de Paris, trimballé -à pied- de la Gare du Nord à la scène du Bota. Grandeurs et dépendances d’un groupe wallon ordinaire? Pour le nouveau disque, The Smoke Behind the Sound, -livré clé sur porte à Pias- et le spectacle afférent, la bande à Michael a tout financé de sa poche, soit un budget de « facile 40.000 euros ». Après la tournée précédente, 120 dates dans sept pays, malgré les critiques extrêmement élogieuses dédicacées à The Tragic Tale of a Genius, le sort économique de My Little n’est toujours pas étincelant.

« Et ce n’est pas parce que notre titre What Are You Waiting For est présent sur le jeu Little Big Planet 2 qu’on s’est enrichis. » À Londres, en partageant une pinte alors que Pauline Étienne court après son destin visuel dans Hyde Park congelé, Michael exprime une forme de lassitude face à cette étroitesse de marché « et le fait de vivre avec 1000 euros par mois depuis quinze ans ». C’est sans doute l’aspect le plus positivement teigneux de l’ensemble: repousser les murs de la belgitude, ne pas s’arrêter au fric, convoquer les envies avec une gourmandise sans limite. Par exemple, en invitant Jonathan Donahue -vocaliste de Mercury Rev- à chanter en 2010 sur un titre à eux. « Avec le nouvel album, on a bien senti qu’il était question de moment charnière, de jusqu’au-boutisme. Je ne voulais pas qu’on puisse se reprocher d’avoir fait un truc à moitié. » D’où deux années de turbin passant par diverses résidences (Ardennes, Fagnes, Deep In The Woods, Provence) et une volonté de recherche qui croise aussi quelques lubies. Comme quand Michael & C°, voulant remplacer les percus ordinaires, vont se goinfrer de métal dans une casse liégeoise. Au final, il n’y aura pas d’Einstürzende Neubauten-sur-Meuse.

My Little Cheap Dictaphone
My Little Cheap Dictaphone© Philippe Cornet

Thé et tarte au riz

Pour ce jeudi de rencontre à l’heure du goûter, Michael a acheté une tarte au riz. Il habite une rue… Cornet, à Chênée, bout de Liège qui tutoie la campagne voisine. « Pour éviter le chaos du centre-ville et parce que c’est moins cher. » Dans sa maison partagée avec une demoiselle, nous rejoint pour le thé Xavier Guinotte, entre autres bassiste de la formation. Cadet de deux ans de Michael (1979), Xavier forme avec le chanteur la paire, le noyau de MLCD. Ils partagent le destin musical du groupe bien sûr, mais aussi l’aventure JauneOrange, devenue aujourd’hui label et agence de booking. Acoquiné il y a une douzaine d’années, le duo est alors complété par un batteur à l’occasion d’une première partie de Will Oldham, au Botanique. Peut-être l’auteur d’I See A Darkness leur a-t-il refilé une dose majeure de spleen, à moins que ce ne soit plus un réflexe génétique, ces fameuses fêlures invisibles à l’oeil nu qui donnent de la densité aux chansons. Le fils de flic (Michael) et de juge de la jeunesse (Xavier) de la « classe wallonne moyenne » ont beaucoup travaillé sur The Smoke Behind the Sound: avec les trois autres My Little mais aussi en dégotant le producteur Luuk Cox, batteur devenu électropop star avec Shameboy, gros succès au nord du pays. Xavier: « Il a trouvé le fil conducteur, a choisi dix titres parmi les 40 ou 50 idées qu’on avait, et chapeauté les six mois passés dans quatre studios différents, depuis les bases posées à l’ICP jusqu’au mastering d’Abbey Road. » Michael: « Luuk nous a boosté pour aller au bout, nous a fait énormément bosser, quitte à nous provoquer un peu. Quand je venais avec une partie de guitare travaillée depuis des mois, lui me disait: « Non, tu vas jouer une nouvelle partie. » Ou alors allait chercher un vieil ampli et une guitare faisant bling bling dans les réserves de l’ICP et me les fourrait dans les bras. » Bidouillé en tous sens – « depuis l’iPad aux claviers vintage »-, l’album est plus direct, plus mature aussi, que leur « opéra-rock » de 2010 en grande partie inspiré par le génie malade de Brian Wilson. Michael: « Les textes sont parmi les plus personnels, les plus introspectifs que j’ai écrits, j’avais envie qu’ils aient plusieurs niveaux de lecture. Dans You Are Not Me, je raconte un couple à deux vitesses, pris entre celui qui veut tracer et l’autre qui ne veut pas tout à fait abandonner sa vie d’ado. Ce qui est un peu mon sentiment actuel. » Ça, on l’avait bien compris, mon grand dictaphone.

  • EN CONCERT LE 29 JANVIER AU BOTANIQUE ET LE 7 FÉVRIER AU THÉÂTRE DE LIÈGE, D’AUTRES DATES BELGES SUIVRONT. HTTP://MYLITTLECHEAP.NET/

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