L’album More signe le retour du groupe Pulp, et on en redemande (interview)

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Alors qu’Oasis se reforme et que Supergrass tourne pour fêter les 30 ans de I Should Coco, Pulp sort More, son premier album depuis le début du siècle. Débrief à Hambourg avec Jarvis Cocker et sa claviériste Candida Doyle.

En novembre 1985, alors qu’il tente d’impressionner une fille avec une imitation de Spider-Man, Jarvis Cocker tombe du premier étage d’un immeuble. C’est, raconte-t-il dans son ouvrage Good Pop, Bad Pop (Jonathan Cape, 2023), un moment charnière dans sa vie et l’histoire de Pulp. Quarante ans plus tard, alors que sa chanson Common People vient d’être élue «hymne ultime» de la Britpop par les auditeurs de BBC6, le groupe de Sheffield sort son premier album depuis We Love Life en 2001. L’occasion d’une longue conversation tout en classe et décontraction dans la ville allemande où les Beatles se sont fait les dents.

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Pourquoi avez-vous décidé de sortir un nouvel album de Pulp?

Jarvis Cocker: Un producteur nous a proposé il y a quelques années de donner des concerts. On a mis du temps avant d’accepter. Mais ils étaient bons. Et contrairement à la tournée de 2011, on a commencé à y interpréter une nouvelle chanson, Hymn of the North. J’avais écrit ce morceau pour une pièce de théâtre de Simon Stephens intitulée Light Falls. On a travaillé dessus lors d’une tournée au Royaume-Uni et on a fini par la jouer à la Sheffield Arena. Ça nous a fait du bien de bosser sur quelque chose de neuf et on a fini par se dire qu’on pourrait écrire de nouvelles chansons. Mais on a mis du temps avant de les penser comme un album.

Candida Doyle: On était au petit déjeuner lors d’une tournée aux Etats-Unis. On avait une réunion avec notre management. Je me suis dit que je devais te poser la question. D’autant qu’à l’époque, tu n’avais pas une mais deux nouvelles chansons. J’ai aimé le conditionnel de ta réponse. Les points de suspension.

J.C.: Je pense que tous les membres du groupe étaient un peu traumatisés. Parce que les deux derniers albums nous avaient pris un temps dingue. Je ne voulais pas qu’ils pensent repartir pour deux ans. Deux ans de leur vie. Deux ans de prison.

Quelles sont les questions qu’on se pose lorsqu’on décide de reformer un tel groupe?

J.C.: Il y avait déjà cette idée que ça s’éterniserait. Donc, si la musique n’était pas à la hauteur, on aurait eu l’impression de perdre notre temps. Quand on s’était reformé en 2011, l’idée était de mettre un terme à Pulp d’une plus jolie façon qu’au début des années 2000. Revenir a quand même été une solide décision à prendre. Vraiment. Parce qu’on avait tous nos vies. Le disque est le résultat de nos concerts et de notre plaisir à jouer ensemble. Je suis content que ça se soit passé comme ça. Que ça soit venu de nous. On n’était pas tenus de le faire à cause d’un contrat. Personne ne nous l’a demandé. C’était juste se dire qu’on avait des chansons que les gens pouvaient avoir envie d’écouter.

Votre album s’ouvre sur Spike Island. Pourquoi ce clin d’œil à ce concert des Stones Roses?

J.C.: Le groupe de Ian Brown y a donné ce concert légendaire, le 27 mai 1990, d’après Wikipédia. C’était à Widnes, pas très loin de Manchester. Un événement organisé dans un esprit rave, et pas un plan hype dans un club renommé. Beaucoup prétendent que ce n’était pas aussi bien que ça aurait pu et dû l’être. Mais je trouve que c’était une bonne idée. A l’époque, The Stone Roses étaient l’un des plus grands groupes d’Angleterre. Je n’y suis pas allé parce que j’habitais à Londres. Mais le mec avec qui je créchais à l’époque avait le premier album et le passait tout le temps. Mark Webber, notre guitariste, était là-bas. Et notre percussionniste, Jason Buckle, qui a écrit la musique de ce morceau, aussi. Il m’a parlé de cette expérience et de ce DJ qui n’arrêtait pas de répéter «Spike Island prend vie», «Spike Island prend vie», entre toutes les chansons. Il avait trouvé ça très irritant et c’est tout ce dont il se souvient du week-end.

Sur ce morceau, vous chantez «I was born to perform. It’s a calling». Il y a bien quelqu’un qui vous a donné envie de monter sur scène?

J.C.: A mon avis, ça doit venir de la télé. Je ne sais pas qui passait à Top of The Pops en 1970 quand j’avais 7 ans. Peut-être Gary Glitter. Pas la meilleures des références (NDLR: en 2015, la star déchue du glam a été condamnée à seize ans de prison pour pédophilie)Je me souviens avoir vu Jumpin’ Jack Flash des Rolling Stones dans une émission. Ils portaient des grandes lunettes de soleil et du maquillage. Ils étaient à la fois flippants et cool. Ça a vraiment fait une grosse impression sur moi. Ils avaient l’air de venir d’une autre planète.

C.D.: Moi, je ne me souviens pas avoir voulu être une pop star. En revanche, je me rappelle avoir craqué pour The Fall. A l’époque, une fille y jouait du clavier. Un clavier vraiment pourri. Mais je me suis empressée d’en acheter un du même genre dans un magasin de Sheffield. Quand le claviériste de Pulp est parti, mon frère, qui jouait dans le groupe, m’a mise sur le coup et j’ai participé à une répétition. Mon clavier était merdique mais comme c’était le même que dans The Fall…

J.C.: Je suis sûr que ça nous a impressionnés. Parce qu’on avait beau avoir des goûts très différents, The Fall, c’était vraiment le groupe à l’époque sur lequel tous les membres de Pulp étaient d’accord. Les morceaux semblaient sonner faux. Et tu ne discernais pas ce que Mark E. Smith chantait. Mais ils venaient du nord et te permettaient de comprendre que tu pouvais faire ton propre truc. Ça nous a vraiment encouragés et inspirés. J’ai été les voir avec ma sœur, à Sheffield. C’était un concert incroyable, mais elle a détesté. Elle a trouvé ça affreux. Pour elle, ce n’était même pas de la musique.

«La musique d’Oasis n’a pas très bien vieilli, je trouve.»

Entre la reformation d’Oasis, le retour de Supergrass et le vôtre, on pourrait très bien être en 1995. Qu’est-ce que ça dit de l’industrie musicale?

C.D.: Je ne suis pas vraiment connectée à l’industrie. Je ne sais pas comment elle fonctionne. Comment on arrive à bien se classer dans les charts. Ce qu’est un numéro un ou même si ça existe encore.

J.C.: C’est une bonne chose avec le disque qu’on a décidé de faire. Perso, je pense que je vais aller voir Oasis en concert. Peut-être aussi Supergrass, que je trouve très bon sur scène.

C.D.: J’ai récemment vu Badly Drawn Boy qui jouait The Hour of Bewilderbeast. C’était brillant. Mais perso, je ne compte pas aller voir Oasis. Il y a trois ou quatre chansons que j’aime mais leur musique n’a pas très bien vieilli, je trouve.

Jarvis, quelle était l’idée de votre livre Good Pop, Bad Pop?

J.C.: On est au bon endroit pour en parler parce que tout a commencé ici, à Hambourg. La dernière fois que je suis venu dans cette ville, c’était pour travailler avec Chilly Gonzales autour de l’album Route 29. Mon agent littéraire m’a appelé depuis une foire du livre et m’a demandé de résumer en une page un bouquin que j’aurais envie d’écrire. Le lendemain, elle m’a recontacté en me disant qu’elle avait un deal. A l’époque, je vivais dans une maison où j’entreposais tout un tas de trucs. Ça a servi de point de départ. Pourquoi un être humain collectionne-t-il toutes ces choses au cours de sa vie, déménage à Londres et emmène tout ce bazar avec lui, le déplace de squat en squat avant de l’entasser dans un loft et ne plus le regarder pendant 20 ans? Il y a peut-être des candidats ou des psychologues prêts à m’aider sur la question… Le livre est une tentative de réfléchir à tout ça. Je me suis rendu compte chemin faisant que si je regardais ces objets dans le bon ordre, ils raconteraient une vie. Et autrement que si quelqu’un me demandait de retracer mon existence. Ça m’a rappelé des histoires que j’avais totalement oubliées.

Une manière différente, singulière, d’accéder à ses souvenirs…

J.C.: Tout à fait. Parce que les souvenirs sont planqués dans l’obscurité et là il y étaient restés pendant 20 ans. J’avais conservé un tas de trucs. Certains délibérément et d’autres que j’y avais rangés quand je mettais un peu d’ordre à la maison avant de recevoir des invités. Maintenant, tout ça est dans des boîtes. Certaines sont même étiquetées. La maison doit être vendue d’ici à octobre. Donc, j’ai encore quelques mois devant moi pour m’en débarrasser, trouver un autre lieu de stockage ou peut-être une université qui voudrait les archiver… J’ai aussi dû vider une maison familiale début de l’année dernière après le décès de ma mère. C’était assez pesant et je n’ai pas envie de laisser tout ce bordel sur les bras de mon fils.

C.D.: Je pense que la génération qui a précédé la nôtre a conservé tellement de choses. Sans doute à cause de la guerre. Ils n’étaient pas autant dans le jetable que nous aujourd’hui. Ma mère gardait le moindre dessin. Je pense que ça a changé. On a été une génération qui jetait. Maintenant, on est sans doute davantage dans le recyclage.

J.C.: Les jeunes d’aujourd’hui gardent tout sur leur téléphone ou leur ordinateur. Je pense que tu te souviens d’un truc quand tu le télécharges la première fois mais comme il n’y a pas d’objet pour te le rappeler après, finalement, ça disparaît. On risque d’arriver à une génération complète qui ne laissera pas de trace d’elle-même. Pas de trace physique de sa présence ici parce que toute sa vie culturelle est une collection d’enregistrements conservés sur divers appareils à la durée de vie limitée. Ça pourrait rester un moment bizarre de notre histoire. Un moment mystérieux.

«Je ne m’imaginais pas en studio et sur scène à 60 ans. Je me voyais dans une maison en train de manger du porridge…»
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Vous vous imaginiez il y a 40 ans être encore en activité à 60 balais?

J.C.: On en parlait justement ce midi. A un moment, tu réalises que la majeure partie de ta vie est derrière toi. Alors, tu te demandes si tu as pris les bonnes décisions ou si tu en as fait assez. Comme je le chante dans la chanson Slow Jam, ce n’est pas ce que tu peux être qui est parti, c’est tout ce que tu as été. Je ne m’imaginais pas être encore en studio et sur scène à 60 ans. Je me voyais dans une maison en train de manger du porridge… Mais c’est une des vertus de la musique, elle n’obéit pas aux règles normales du temps. Tu peux écouter un disque des années 1950 et en ressentir l’excitation encore aujourd’hui. Je ne veux pas mourir. Mais j’en ai moins peur qu’avant.

Regardez Iggy Pop… Vous avez encore du temps devant vous. Son émission sur BBC6 a succédé à la vôtre, d’ailleurs.

J.C.: Je ne me souviens pas vraiment de comment ça s’est  passé. Je pense que j’ai dû partir en vacances. Il m’a remplacé et il a été tellement bon que quand je suis parti, la chaîne lui a proposé le poste. C’était génial à faire cette émission, je dois bien l’avouer. Deux heures de musique toutes les semaines. Avec un contrôle total et même pas de publicités… Le problème, c’est que ça ne me rapportait pas du tout d’argent. J’en perdais même, parce que je venais de Paris et que ça faisait cher en Eurostar… Je faisais beaucoup de recherches et j’étais davantage au fait de ce qui se passait dans la musique moderne. Pour l’instant, je la découvre essentiellement via Instagram et je suis pas mal branché japonais.

Dans la foulée de The French Dispatch, vous avez sorti en 2021 un hommage à la pop française des années 1960 et 1970…

J.C.: Wes Anderson m’avait demandé d’interpréter Aline, de Christophe, pour ce film. Un de ses personnages est une pop star et Wes a eu l’idée d’enregistrer un album de reprises pour accompagner le long métrage. Comme si Tip-Top existait vraiment. Le disque s’appelle Chansons d’ennui et m’a permis de jouer avec mes titres pop français préférés comme Mon amie la rose de Françoise Hardy. J’ai beau avoir vécu à Paris, je ne parle pas bien le français. J’ai eu peur de ruiner les chansons et j’ai donc embauché Laetitia Sadier, de Stereolab, qui a corrigé ma prononciation. On a repris du Serge Gainsbourg, du Nino Ferrer, du Jacques Dutronc… Quand j’ai vécu ma première histoire d’amour, je me suis senti trahi par la pop music anglophone parce qu’elle ne me semblait pas dire la vérité des relations romantiques. Alors qu’encore aujourd’hui, en France, je pense qu’on continue de chanter les relations d’adultes dans un langage qui leur est adapté.

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