
Moby: « En général, je préfère la compagnie des animaux, ils sont plus rationnels »
Avant de fêter les 25 ans de son blockbuster Play sur scène, Moby revient avec un nouvel album choral, Always Centered at Night. Entretien avec un rescapé.
Beau joueur, Moby fait tout de même mine de réfléchir à la question. Mais, non, « pour être très franc, je n’ai toujours pas de réponse valable à donner. » On a pourtant dû lui poser quelques milliers de fois: comment explique-t-il le succès de Play, album phénomène, qui, au début des années 2000, s’est incrusté dans la plupart des étagères Billy de la planète, avec quelque 12 millions d’exemplaires vendus, et dont il célèbre aujourd’hui les 25 ans?
Un disque dont il avait lui-même pensé à l’époque qu’il « finirait aux oubliettes ». Et que la presse avait largement étrillé à sa sortie. Même avec le recul des années, Moby reste perplexe. « C’est un disque tellement bizarre, très lo-fi, réalisé dans ma chambre. Donc, votre question est tout à fait valable. Mais même en ayant eu 25 ans pour y réfléchir, je n’ai toujours aucune explication à vous proposer. » Le mystère reste entier. À l’image de la discographie de Moby, où l’on trouve à la fois de la techno énervée, du punk bruitiste, de l’ambient ouaté, des sorties orchestrales ou de la pop équipée tout confort.
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Vient s’y ajouter aujourd’hui le nouveau Always Centered at Night, à ranger plutôt dans la dernière catégorie. Installé à Los Angeles, Moby en parle via Zoom. La voix reconnaissable entre mille. On ne l’a pourtant que rarement entendue sur ses disques –« J’ai réalisé très vite que j’étais un chanteur très moyen ». Le plus souvent, Moby s’est donc appuyé sur d’autres. Que ce soit sous la forme de sample -l’exemple Play, picorant dans des archives blues et gospel. Ou en invitant des chanteurs -comme c’est le cas ici, de l’artiste queer post-r’n’b Serpentwithfeet à la chanteuse neo-soul d’origine soudanaise Gaidaa. Avec un briefing précis? « Comme vous avez pu le remarquer, la pop a conquis le monde. J’ai expliqué à mes invités que ce disque était justement l’occasion d’essayer autre chose, de tester, d’être poétique, créatif. »
Les épiphanies de Moby
Au générique figure également le poète anglais Benjamin Zephaniah. Décédé en décembre dernier, il était, comme Moby, vegan et militant actif de la cause animale. Artiste afro-descendant, il expliqua un jour que son engagement avait notamment pris racine dans l’expérience qu’il avait pu faire du racisme, trouvant un réconfort chez les animaux, qui, contrairement aux humains, ne faisaient pas de distinction. Cela fait-il sens pour Moby? « Complètement. J’ai moi-même grandi au milieu du chaos. Mon père s’est tué quand j’avais 2 ans (dans un accident de voiture, ivre au volant, NDLR). Ma mère s’est débattue pendant des années avec la dépression. À la maison, il y avait beaucoup de violence, d’abus. Donc j’ai évolué dans un environnement où les humains étaient à la fois effrayants et imprévisibles. À l’inverse des animaux qui étaient « safe ». Encore aujourd’hui, j’aime certains humains. Mais en général, je préfère la compagnie des animaux. Ils sont plus rationnels. »
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De fait, la vie de Moby n’a jamais été un fleuve tranquille. Né à New York, le 11 septembre 1965, Richard Melville Hall, de son vrai nom (vaguement lié à l’auteur de Moby Dick), a grandi dans la pauvreté. L’élevant seule, sa mère a souvent dû compter sur les bons alimentaires pour boucler le mois, obligée de loger parfois dans des squats. Ado, Moby trouvera refuge dans la musique. Il étudiera la composition et le jazz, avant d’intégrer un premier groupe de punk hardcore. Au début des années 80, il tombe toutefois amoureux des musiques électroniques. »J’avais 15, 16 ans. Je me baladais dans Lower Manhattan, à l’époque où le quartier était encore désert et terrifiant. Je découvrais des disquaires comme le Sounds sur Saint Mark’s ou le Rocks In Your head sur Prince Street. Vous avez l’air assez âgé que pour avoir connu l’ambiance de ce genre d’endroit: vous poussiez la porte, et il y avait ce mec qui était à la fois le vendeur et le DJ. Pendant que vous vous baladiez entre les rayons, il pouvait passer ESG, Liquid Liquid, les Bush Tetras ou Manu Dibango. Des trucs incroyables que vous n’aviez jamais entendus ailleurs. Au fond, c’est un peu ce sentiment-là que j’ai voulu retrouver avec Always Centered at Night: le genre d’épiphanie que vous pouviez avoir ado, quand vous flashiez sur un morceau que ce soit chez un disquaire, en soirée, etc. »
A simple life
Nostalgique, Moby? « C’est plus compliqué que ça. Prenez la house music, par exemple. J’ai dû acheter mon premier maxi vers 1987-88, probablement un disque de Marshall Jefferson sur Trax Records. Quarante ans plus tard, force est de constater que cette musique n’a pas foncièrement changé. Donc, quand je fais un morceau comme Feelings Come Undone, il est autant inspiré par les sets de Tony Humphries que j’allais voir au Zanzibar que par des productions actuelles.«
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À en croire Moby, la nostalgie n’est pas davantage le moteur de sa prochaine tournée, qui passera par le Sportpaleis d’Anvers pour célébrer les 25 ans de Play. La raison est plus prosaïque que cela. « J’adore jouer de la musique. Si vous m’invitez, je veux bien venir jouer des reprises de Neil Young dans votre jardin. Mais je déteste les tournées. Je pensais même ne plus jamais en faire. C’est mon manager qui m’a piégé. Il m’a proposé de reverser tous les bénéfices à des organisations de protection des animaux. À partir de là, je ne pouvais pas dire non… »
Sans cela, Moby serait donc resté chez lui, fidèle à sa routine quotidienne. « Je mène une vie très simple. Je me lève tôt, je déjeune en lisant les nouvelles, puis souvent je pars marcher, en emportant avec moi une poignée de myrtilles bio que je picore au soleil. » Loin, très loin même, de sa période « gonzo », des années destroy durant lesquelles le musicien a agité frénétiquement le cocktail succès/excès…
Zen soyons zen
Dès 1991, le succès de son single Go! avait allumé la mèche. Huit ans plus tard, le carton interplanétaire de Play va le faire définitivement décoller. À sa sortie, le disque fait pourtant un flop. Snobé en radio, Moby va alors placer chacun de ses titres dans des publicités, préfigurant le business model de l’industrie musicale à venir. Résultat: six mois après sa sortie, Play commencera à grimper dans les hit-parades jusqu’à devenir incontournable.
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Moby devient la star que tout le monde s’arrache. Plus que jamais, il cède à ses pulsions (auto-)destructrices, mélangeant sexe débridé, drogue et alcool. Au point de louper les funérailles de sa propre mère, comatant dans son lit après une nuit trop arrosée… Cette histoire, et bien d’autres encore, il les a racontées lui-même dans deux ouvrages autobiographiques: Porcelain (2016) et Then It Fell Apart (2019). Maniant l’humour autoflagellatoire, Moby a le mérite de ne pas s’épargner. Ce qui lui a d’ailleurs peut-être permis d’échapper à un backlash trop violent (à l’exception de la sortie de Natalie Portman: non, elle n’a pas flirté avec Moby, comme il l’écrit, mais a plutôt fait l’objet de ses tentatives de séduction « creepy » alors qu’elle venait tout juste d’avoir 18 ans…).
Aujourd’hui, l’intéressé paraît en tout cas à mille lieues de tout dérapage. Moby ressemble un peu à un personnage d’un roman de Virginie Despentes: un quinqua toujours un peu tourmenté, mais qui a laissé tomber les outrances, pour préférer le thé bio et les séances de yoga trois fois par semaine. Il n’est pas dupe. Il sait bien que cela ne va pas sauver le monde. Ni même lui permettre simplement de comprendre pourquoi autant de gens dans son pays s’apprêtent à voter à nouveau pour Trump –« S’il est réélu, je ne suis pas certain de rester. » Mais si cela peut au moins un peu apaiser son esprit…
Confusion existentielle
Dans son podcast, lancé il y a un peu plus d’un an, Moby recevait Hunter Biden, le fils de l’actuel président des États-Unis. Un ami qui, outre des démêlés avec la justice pour des histoires d’évasion fiscale, a également connu des problèmes d’alcool et de drogues. Pendant l’émission, Moby lui a ainsi demandé comment il tenait le coup face aux attaques. On se permet de lui retourner la question. « J’essaie de me protéger en faisant la différence entre le monde physique et le monde virtuel. Quand vous comprenez que vous faites l’objet d’un raid d’une usine à bots, quelque part en Russie, ça devient plus facile de passer au-dessus. Mais j’admets que ce n’est pas toujours aussi évident. »
Ce détachement, on le retrouve aujourd’hui aussi dans sa musique. ça n’a pas toujours été le cas. Est-ce une impression ou, même en ne faisant pas l’impasse sur le chaos de l’époque, un disque comme Always Centered at Night évite de céder à la colère et l’ironie rageuse? « Je vois bien le changement climatique, la déforestation, l’agonie des démocraties, les fake news, etc. Mais même si on réglait tout ça, on devrait malgré tout faire face à la confusion existentielle, provoquée par le simple fait d’être vivant durant quelques décennies dans un univers vieux de 15 milliards d’années. »
Il précise un peu plus loin: « Ce que je veux dire, c’est qu’au bout du compte, on mourra. Donc il s’agit de faire tout ce que l’on peut pour régler les problèmes durant ce laps de temps. Mais en n’oubliant pas de faire parfois aussi un pas de côté et de profiter de l’expérience d’être vivant. C’est un peu ce que dit la phénoménologie: la question n’est pas tant de chercher à tout comprendre, mais de trouver la manière adéquate de vivre. Comment traverser l’expérience humaine? Qu’est-ce qu’on en fait? Je me dis que ça vaut peut-être la peine de se poser la question… »
Moby, Always Centered at Night, distribué par V2. En concert le 21/09 au Sportpaleis d’Anvers.
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