Martin Luminet : « Tout ce qui me fait peur doit m’attirer »

Le Lyonnais clôture le festival Francofaune en compagnie de la Bruxelloise ML ce dimanche au Cirque Royal. Rencontre.

Alors qu’il semblait promis à un avenir tout tracé à la tête de la chocolaterie familiale, Martin Luminet a d’abord accepté son destin avant de réaliser que ce choix s’éloignait en tous points de ses envies ou de ses émotions. Comme par instinct de survie, il a fait dérailler le train dans lequel il avait embarqué, laissant derrière lui ses études de commerce, pour se vouer à sa vraie passion : la musique. Sur des morceaux oscillant entre chanson française, spoken word et hip-hop, il récite ses tourments à la manière d’artistes comme Odezenne, Benjamin Biolay ou, plus près de chez nous, du groupe Glauque. Après avoir sorti en 2020 son premier EP, Monstre, il revient avec le premier single d’un album qui verra le jour en 2023, Revenir.

Quand avez-vous commencé la musique ? 

J’ai démarré après le bac, avec des copains. Mais je n’ai démarré mon projet perso qu’en 2017. Je m’y suis mis très sérieusement en me disant que j’allais en faire ma vie. Mais avant ça je n’avais jamais touché un piano ni même caressé le désir de faire quoi que ce soit de musical. 

Quel a été le déclic ? 

C’est venu de mes amis. On faisait toujours plein d’activités l’après-midi. Et l’année du bac, ils se sont dit qu’ils allaient se mettre à la musique. Ils ont chacun pioché un instrument, mais moi je me demandais un peu ce qu’ils faisaient. Mais vu que ça me privait de mes amis l’après-midi, je leur ai demandé si je pouvais jouer avec eux. Ils m’ont répondu que non puisqu’ils cherchaient quelqu’un pour chanter. Je leur ai rétorqué : “Mais moi je chante et je fais des textes”. Ce n’était pas vrai (rires). Donc le déclic était un mensonge à la base, mais c’était quand même une envie de partager des sensations fortes avec les gens que j’aimais. 

Le deuil est quelque chose qui doit nous aider à vivre et pas nous rappeler la mort.

Entre 2017 où vous avez démarré votre projet, et 2020 vous avez sorti votre premier single, qu’avez-vous fait ?

J’ai surtout écrit. J’ai aussi passé beaucoup de temps sur scène car j’avais envie de grandir par la scène et pas à travers les médias ou une communauté virtuelle. Je me sentais plus légitime d’attirer l’attention de gens avec qui je voulais travailler si je venais vraiment de la scène. Ça m’a fait un bien fou parce qu’aujourd’hui je me retrouve sur scène avec un seul EP mais je suis vraiment à l’aise et je prends du plaisir. 

Vous venez de sortir le premier single de votre premier album, Revenir. Il est résolument un peu moins sombre que l’EP ? À quoi peut-on s’attendre dans cet album ?
Ce n’est qu’une chanson (rires) ! Paradoxalement, c’est un album qui va parler du deuil, donc ça ne va pas être très gai. Mais je l’aborde et le vois d’une manière assez optimiste. C’est le terreau où tu vas trouver de la force pour te relever. C’est la période où tu vas puiser de la tristesse, mais tu vas aussi regarder ce qui ira mieux après. Il faut vraiment bien la négocier. Il ne faut pas être dans le déni de la tristesse. Le deuil est quelque chose qui doit nous aider à vivre et pas nous rappeler la mort. Donc il y aura beaucoup de sons qui vont regarder la mort droit dans les yeux, mais également d’autres qui seront assez optimistes. 

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez produit la majorité de tes anciens morceaux avec Benjamin Geffen. C’est toujours le cas pour cet album ? 

À la base, il venait seulement faire les arrangements sur l’EP. Mais j’ai énormément aimé la collaboration et on est devenus de vrais amis, ce qui fait que je lui ai demandé de composer pour l’album. Ça permettait de casser mes habitudes aussi, de pouvoir être surpris, de travailler différemment. Je ne suis pas fan de l’idée d’avoir trouvé une recette et de l’appliquer toute ma vie. J’ai envie de me mettre en danger, de remettre en question ce que je pense savoir. Lui et moi, on raisonne plus comme pour une musique de film, je lui parle d’une atmosphère, de choses que j’ai en tête à ce moment-là, sans avoir de texte définitif. Et lui, ça lui donne du grain à moudre pour créer des premières compositions. Et après on se fait des aller-retour pour terminer mutuellement. 

Pour revenir à votre premier EP, qui a tout de même rencontré un beau succès, comment avez-vous vécu son accueil par le public ?

J’étais heureux parce que je pensais qu’un EP c’était quelque chose qui passait un peu sous les radars. Ici en plus, il est sorti pendant cette grande tempête qu’était le covid. On l’a dévoilé au milieu de l’été et on ne pouvait pas savoir immédiatement s’il y avait quelqu’un au bout du fil. Quand on a repris les concerts, j’ai vu des gens chanter les paroles et je ne m’attendais pas du tout à ça. J’avais raconté quelque chose de tellement intime, que de me dire que j’ai pu toucher d’autres personnes, c’était de la science-fiction. Face à certains de ces sujets, on peut se sentir moins seul grâce au public et grâce à l’écho que ça peut faire chez d’autres. 

Raconter vos tourments comme vous le faites dans vos chansons, ça a quelque chose de thérapeutique ?

Oui clairement, mais il ne faut pas remplacer son psy par cela. Au début, j’écrivais mes chansons avec un prisme où je finissais comme le héros de l’histoire. J’avais des chansons où je me regardais droit dans les yeux en me disant : “Là, tu as été lâche, là abjecte, là tu as manqué de courage, etc.”. Et ma manageuse m’a dit cette phrase qui m’a marqué : “Dis toi que ce qu’il y a de plus intéressant, c’est ce que tu cherches à cacher”. Depuis, j’entretiens ça. Tout ce qui me fait peur doit m’attirer. 

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez dit dans une interview avoir une fascination pour Batman. Est-ce que vous vous sentez un peu comme lui dans la façon dont vous écrivez, un peu sombre, introspectif, voire nihiliste ?

À fond. J’ai grandi avec lui et il y a quelque chose qui m’obsédait chez lui. Je retombais sur des trucs, je lisais des comics, regardais des films… Et j’ai compris que le véritable monstre de ce personnage, ce n’était pas quand il se déguisait, c’était quand il essayait de se faire passer pour quelqu’un comme tout le monde. Et ça m’a beaucoup parlé, j’ai l’impression de porter un masque quand je suis dans la vie alors que quand je suis sur scène, je suis la version la plus dépouillée de moi-même, et donc la plus vulnérable, à vif. D’où le monstre. Et Batman a cette ambiguïté que j’adore. 

À part lui, où allez-vous chercher vos influences ?

Je ne raisonne pas en références musicales. Les gens te rapprochent d’untel ou untel et c’est tant mieux, ou tant pis pour certaines fois. Je suis inspiré par des parcours de vie, par le cinéma aussi. Je construis mes chansons un peu comme on construit des films, en essayant de les séquencer. Et je suis beaucoup influencé par les sportifs·ves, ce côté dépassement de soi, sortir de la case, se servir de son corps pour l’amener au plus haut niveau, souffrir pour ça. Et j’ai l’impression de faire ça pour mes musiques, de se dépasser comme pour sauver le monde alors qu’on fait des trucs de trois minutes. Après, je me sens forcément bien dans cette scène spoken work francophone, avec des Odezenne, Cabadzi. J’ai écouté beaucoup de rap conscient plus jeune, notamment des artistes comme Youssoupha. Et puis j’ai découvert après les chanteurs, Barbara, Alex Beaupain. Ma musique fait une petite salade avec tout ça.

Vous clôturez le festival Francofaune avec ML ce dimanche. Quel regard portez-vous sur la Belgique, musicalement ? 

On est très liés, on a plein d’artistes belges qui viennent chez nous. Si la frontière est poreuse, ça veut dire qu’il n’y a pas forcément de frontière. Je suis assez heureux qu’on ait cette parenté et qu’on puisse se répondre mutuellement car il y a dans la scène belge quelque chose de plus décontracté que chez nous. En tout cas, les artistes qui passent la frontière, tu les sens un peu plus libres. Et ça fait du bien. Je vois ça aussi beaucoup avec la scène québécoise. Elle est beaucoup plus premier degré, ne se pose pas forcément la question d’intellectualiser sa musique et y va avec les tripes. Après, j’espère qu’on apporte quelque chose aussi à la scène belge. Mais se dire qu’on remet la chanson francophone vers quelque chose d’un peu sexy, un peu engagé, un peu profond, je pense que ça n’a pas été fait que grâce à la France. Je ne vois plus la Belgique et la France comme une scène différente.

Martin Luminet & ML, ce dimanche 16 octobre au Cirque Royal. Tickets : https://www.cirque-royal-bruxelles.be/evenement/ml-martin-luminet-francofaune-2022-2022-10-16-2000

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content