Carte blanche
Lettre ouverte d’un oublié de la culture
Au lendemain du Comité de concertation annonçant de nouvelles mesures face au Covid, Vincent Hublet, travailleur du secteur du spectacle et de l’événementiel non subsidié, a eu besoin de réagir. Voici son coup de gueule.
Je suis un de ceux que l’on appelle les travailleurs du spectacle et de l’événementiel. Cela fait plus de 12 ans maintenant, j’ai commencé en bas de l’échelle. J’ai appris, de plus en plus jusqu’à gravir les échelons et arriver aux postes à grandes responsabilités. En 12 ans j’en ai rencontré du monde, des collègues, j’ai vécu leurs réalités, ri avec eux, râlé avec eux, pleuré parfois avec eux. Ce métier et ce secteur je le connais, je le connais même plutôt très bien.
Comme beaucoup d’autres Belges, j’étais derrière ma télévision ce 16 octobre. À écouter la conférence de presse suite au Comité de concertation. Et là, première gifle. « Je ne veux pas faire trop long donc le secteur culturel et événementiel je n’en parlerai pas ».
Celle-là passe encore. Vous savez, des gifles, on a l’habitude d’en prendre quand on fait ce métier. Par les conseillers en recherche d’emploi qui vous suggèrent de « trouver un vrai travail ». Par les gens autour de nous à qui on ne tente même plus d’expliquer ce que l’on fait. Par le fait que nous n’avons aucun cadre légal et très peu de protection… En bref, dans ce métier, on a l’habitude de ne pas exister.
Et pourtant, on existe et on est bien réels. Aussi réels que le concert de votre star préférée, que l’émission que vous ne rateriez pour rien au monde, que le film qui vous a tant ému ou vous a tant fait réfléchir. On est aussi réels que tous ces événements qui sont pour vous de beaux moments de partage et sûrement le contexte de beaucoup de vos meilleurs souvenirs. Parce que tout ça, c’est ce que l’on fait, on participe à créer ces souvenirs et sans nous, ils n’auraient tout simplement pas lieu.
Depuis mars 2020 notre réalité, c’est un long tunnel de silence et de vide. Et pour nous c’est plus assourdissant que tout sur terre, on n’est pas habitué à ça. Nous qui courrons d’un concert à l’autre, qui travaillons de très longues heures pendant de très longues journées et de très longues semaines, nous qui sommes là bien avant que vous arriviez et qui repartons bien après que vous soyez parti. Nous qui trouvons des solutions et mettons tout en oeuvre pour rendre la magie possible, qui ne lâchons jamais rien et ne reculons devant aucun défi.
Au début de cette crise, il y avait une lumière au bout du tunnel et les plus optimistes d’entre nous l’ont utilisée pour, une fois n’est pas coutume, nous éclairer un petit peu. Ça a donné des discussions, de petites victoires et certaines promesses pour l’avenir… si avenir il y a. Et ça franchement, on commence à en douter. Parce que la lumière, elle est de plus en plus petite, et le vide de plus en plus étouffant.
Au du0026#xE9;but de cette crise, il y avait une lumiu0026#xE8;re au bout du tunnel. Mais aujourd’hui, elle est de plus en plus petite, et le vide de plus en plus u0026#xE9;touffant.
La conférence de presse continue, on annonce la mauvaise nouvelle pour le secteur de l’Horeca. Tout de suite après on annonce aussi de nouvelles aides pour qu’ils puissent traverser ce nouveau reconfinement. On pense tout de suite que c’est une bonne chose d’aider ces pauvres gens qui sont dans cette situation. Et aussi dans un coin de notre tête une petite voix nous dit: « Mais en fait, nous, on est toujours par sorti du premier confinement! »
La conférence se termine et on arrive au JT de la RTBF et c’est à ce moment précis que la vraie claque arrive. Le secteur du spectacle soulagé de pouvoir continuer son activité avec interview du directeur du théâtre des Galeries qui se montre, effectivement, soulagé de ne pas devoir fermer. Ce reportage, au-delà de l’incrédulité, a simplement déclenché ma colère. Il n’est pas foncièrement mensonger: c’est vrai, certains théâtres ont rouvert et certaines petites salles aussi. Mais voilà, ils ne sont pas « le secteur de la culture et du spectacle ».
La réalité d’aujourd’hui, pour un très grand nombre d’acteurs du secteur, c’est que nous sommes toujours à l’arrêt. Qu’avec les restrictions en cours nous sommes dans l’incapacité totale de programmer des spectacles sans être en perte.
La réalité c’est aussi des faillites, des professionnels ultra qualifiés qui se retrouvent à faire steward sur des parkings de supermarchés, des gens pour qui on s’est battu pour obtenir des aides qui n’en ont toujours pas vu la couleur alors qu’ils détiennent tous les critères pour les recevoir, des indépendants au bord du suicide, car ils voient le travail d’une vie s’effondrer petit à petit.
C’est la perte d’emplois, le manque total de perspectives claires qui nous donneraient un espoir de retrouver notre travail. L’inquiétude pour nos collègues sans aucun statut qui ne savent toujours pas comment ils vont manger ce soir.
Dans ce contexte, présenter notre secteur, au JT, sur une chaîne nationale, comme un secteur soulagé de pouvoir continuer ses activités c’est tout simplement une insulte! C’est nier le travail de nombreuses personnes qui s’acharnent à essayer d’expliquer qui nous sommes et ce que nous faisons. Qui essaient de nous défendre et d’obtenir des droits. Qui luttent tout simplement pour notre survie. C’est encore et toujours nier notre existence et nier notre réalité.
Plus grave encore, faire croire au public que notre problème est réglé. C’est enlever tout espoir à un secteur, à des gens, qui sont en train d’asphyxier.
Et j’espère, sincèrement, que si un matin vous vous réveillez dans un long tunnel rempli de vide et de silence et que vous cherchez une petite lumière pour vous réchauffer un peu, vous donner un peu d’espoir. Nous serons encore là! Que nous serons encore là pour vous l’apporter, en faisant ce que l’on aime et ce pour quoi nous sommes qualifiés. Que nous pourrons tout simplement faire notre métier!
Merci à vous de faire le vôtre!
Vincent Hublet
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