« On espère que le public retrouvera le chemin des salles. Plus les mois passent, plus les habitudes se perdent… »
Si le confinement n’a pas suffi à sauver l’été, l’automne des salles de concert ne s’annonce pas beaucoup plus réjouissant. À moins que? Coup de sonde dans un milieu qui attend désespérément d’y voir clair.
Qui oserait encore s’avancer? Rappelez-vous, au début du confinement, il s’agissait de s’enfermer pour « sauver l’été » des festivals. C’est raté. À l’époque, certains prédisaient pourtant déjà qu’il ne fallait attendre aucun retour « à la normale » avant début 2021. Ceux-là passaient alors pour des oiseaux de mauvais augure, des avis bien trop alarmistes que pour être pris au pied de la lettre. Force est de constater que, près de six mois plus tard, le secteur du live n’est en effet plus très loin du worst case scenario.
La seule certitude actuelle est donc de ne pas en avoir -au moins à moyen et long termes. Paul-Henri Wauters, directeur du Botanique: « Alors que l’on déplorait le manque de perspectives, l’été a amené la confirmation que le politique n’allait pouvoir donner d’info, au mieux, qu’au mois par mois« . Le gastronome prend alors le relais chez le programmateur: « Vous avez beau faire le meilleur pesto du monde, si on vous annonce que vous pouvez en proposer dès le 1er septembre, mais que vous n’avez pas pu planter de graines avant le 25 août, ça reste compliqué… » Au Bota, on n’a donc pas planté, pardon, programmé de concerts cet été, mais bien des résidences, clôturées chaque fois par un live diffusé en streaming. Rebelote pour cet automne. De nouvelles résidences ont été annoncées -avec cette fois du public prévu pour le concert de fin: 50 personnes dans l’Orangerie, 25 à la Rotonde (pour y voir notamment River Into Lake, YellowStraps, Esinam, Nicolas Michaux, etc.). Pour le reste, l’agenda de septembre s’est réduit à peau de chagrin.
La voix du mètre
Certains signes sont pourtant encourageants. Certes, le retour des concerts debout, a fortiori en capacité pleine, est encore exclu. Mais de nouveaux assouplissements ont été décidés ces derniers jours. Dont celui concernant la mesure de distanciation sociale. Du mètre et demi, on est passé au mètre. Et cela change tout. Ou en tout cas pas mal de choses. Le sport, visiblement davantage entendu en haut-lieu, a d’ailleurs foncé dans la brèche. Le Standard annonçait récemment un accord avec la Ville pour accueillir jusqu’à 10.000 supporters à Sclessin… Cela étant dit, en culture aussi, Liège a donné le ton. Profitant de la marge de manoeuvre laissée par le Fédéral pour dépasser le nombre de 200 personnes en intérieur, les autorités communales ont rencontré les représentants de quatre grandes salles de spectacles -le Théâtre de Liège, l’Opéra Royal de Wallonie, l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège et le Forum- pour leur proposer de rouvrir, à raison d’un siège occupé sur deux.
Des signaux positifs mais qui ne concernent pas (encore) vraiment un endroit comme le Reflektor. Fabrice Lamproye, son cofondateur, également organisateur du festival des Ardentes, en juillet -« on est à fond sur l’édition 2021!« , ne se fait pas trop d’illusions sur les semaines à venir: « Le Reflektor est une salle assez compacte. En suivant les mesures sanitaires, on en arriverait à des jauges de 120 personnes (sur 600), placées autour de mange-debout, par exemple. Ça veut dire relancer toute une équipe pour ne tourner qu’à 20% de notre capacité. Avec, en outre, l’impossibilité de faire fonctionner le bar normalement. Tout ça ne cadre plus vraiment avec ce qu’on propose habituellement. Je ne dis pas qu’on ne va pas le faire, ou proposer un concept type « café-concert ». Mais il faudra que ce soit vraiment emballant. » Et se « délocaliser » dans un endroit plus grand, le temps de voir venir? « Ce n’est pas simple. On collabore avec la Caserne Fonck, par exemple, mais qui a son propre agenda, théâtral notamment. Ce n’est pas évident de trouver des périodes libres. »
Pour septembre, la programmation du Reflektor s’est donc bornée au strict minimum. Pareil à l’autre bout du sillon Sambre-et-Meuse, au Rockerill de Charleroi. Le festival maison a dû être annulé. Seules les sélections du Concours Circuit et la soirée prévue dans le cadre de la fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles du 27 septembre ont été maintenues. Julian Trévisan, son chargé de communication, explique: « Ces deux événements se dérouleront dans la grande salle, pour un public limité à 200 personnes, assises, avec le respect des distance, le masque, etc. Le bar sera ouvert, mais le service se fera à table. » Et pour la suite? Est-ce que ces deux soirées pourraient servir de « test » pour programmer d’autres concerts? « Oui, éventuellement. Mais il faut savoir que la grande salle n’est pas chauffée. Donc décembre et janvier, c’est déjà foutu. Et puis, si au niveau des concerts rock on peut peut-être encore imaginer des choses, du côté de la programmation techno, pour le moment, c’est inenvisageable. Franchement, la situation reste encore très floue… »
Entretenir la flamme
D’autant que le live est un écosystème complexe. Même si les salles peuvent rouvrir dans de meilleures conditions, quid des groupes? Les artistes belges, voire français, répondront a priori présents. Mais il faudra sûrement attendre avant que les formations anglo-saxonnes reprennent la route -a fortiori les Américains qu’on ne voit pas revenir en Europe avant l’été prochain. Mais il y a peut-être plus inquiétant. Fabrice Lamproye: « On espère surtout que le public retrouvera le chemin des salles. Parce que plus les mois passent, plus le contact se distend, les habitudes se perdent… »
La crainte est partagée par Paul-Henri Wauters. « La relation avec le public est quelque chose qui se tisse sur la longueur. Et ce n’est pas vrai de dire que les gens se rueront dans les salles dès qu’elles rouvriront. Bien sûr, au départ, tout le monde est motivé. Parce qu’il y a un vrai manque. Mais dès qu’on explique les conditions dans lesquelles les concerts auront lieu -assis, avec prise de température, pas de vestiaire, ni de bar, etc.-, beaucoup n’ont plus envie. » Même les artistes hésitent. « Thomas Van Cottom devait présenter son magnifique projet Cabane pour une date unique au Bota. Les places s’étaient très bien vendues. Mais pour avoir lieu, selon les mesures actuelles, il aurait dû jouer dans un endroit comme le 140. » Il a préféré annuler. Malgré cela, Paul-Henri Wauters veut y croire. On irait presque jusqu’à déceler une pointe d’optimisme dans le discours du directeur du Botanique. « On veut maintenir tout ce qui est possible de maintenir! » Y compris donc les Nuits Bota, reportées du printemps à la fin septembre, quitte à ce que la voilure soit réduite. « On essaie de convaincre les artistes qui veulent annuler, pour revenir par exemple avec un nouveau projet en 2021, de ne pas le faire. Parce que le public est là, il ne demande pas à être remboursé. Ce serait beaucoup plus difficile de re-remplir un concert. »
Pour la salle bruxelloise, l’objectif est donc de s’assurer de pouvoir rapidement passer au « mètre » étalon entre deux spectateurs assis. Y compris dans une configuration du public en « damier ». « C’est une petite ambiguïté à lever: car si en laissant un siège entre chaque spectateur, on a facilement un mètre, 1 mètre 20, ce n’est pas toujours le cas avec le siège placé dans la diagonale du dessus ou du dessous. » L’autre espoir est de pouvoir compter sur un plan qui tienne compte des zones de propagation du virus. « Que les conditions d’ouverture puissent évoluer selon que vous vous trouvez en zone verte, orange, rouge. » Certes, ce n’est pas demain qu’on pourra de nouveau communier au concert comme avant. Mais en attendant, il est essentiel de maintenir la flamme, Paul-Henri Wauters en est persuadé. « Chaque jour qui passe rend la pratique du concert plus difficile à réanimer. Donc dès que c’est possible, on a une obligation de réalisation. »
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