L’effet coronavirus: quel est l’impact du confinement sur le secteur musical?
À quoi ressemble l’industrie de la musique à l’ère du coronavirus? Réponse aux quatre coins du secteur. De Pias à l’Ancienne Belgique en passant par le Roots & Roses et Caroline Music.
Portes closes, volets tirés… Le monde entier tourne au ralenti. Et si l’industrie de la musique n’échappe pas à la règle, elle n’est pas pour autant à l’arrêt. Quel est, en ces semaines de confinement, le quotidien des labels, des salles de concert, des organisateurs de festival et des disquaires? Quels sont les effets du Coronavirus sur la vie au jour le jour du secteur? « Chez nous, quasiment tout le monde est au chômage technique, c’est du jamais vu, explique Kurt Overbergh, le directeur artistique de l’Ancienne Belgique. On avait déjà eu le lockdown après les attentats de Paris. Il avait duré dix jours, mais presque toute l’équipe avait continué à travailler. Ici, on a fermé pour trois semaines et on sait que ça va se prolonger. Pour les équipes techniques, pas de concert, ça veut dire pas de boulot. Il reste une personne au ticketshop pour gérer les demandes de remboursement et un programmateur qui bosse officiellement. Tout le monde est à la maison. Pour l’instant, il s’agit de trouver de nouvelles dates, de coordonner les agendas, de sauver ce qui peut l’être. »
L’AB, qui pour faire passer le temps propose chaque jour de regarder un de ses inoubliables concerts depuis son salon, a essayé de déplacer pas mal de ses événements à début septembre. Une période historiquement vide de son calendrier car plutôt calme avec la rentrée, la reprise du boulot et les lendemains un peu fauchés de vacances… L’offre déjà pléthorique du deuxième semestre lui laisse peu de marge de manoeuvre. « Il ne nous restait que sept dates libres d’ici la fin de l’année et on n’a pas voulu toucher à ce qui était déjà convenu. Il faut se montrer respectueux. On ne peut pas jeter un groupe dehors pour en faire jouer un autre. »
Scylla, Isha, IAM, Jordan Mackampa… Plus de 60 concerts (certains d’avril, d’autres de mai) ont quand même déjà trouvé une nouvelle place dans le calendrier. D’autres sont en attente, comme Einstürzende Neubauten et les Swans. Ce sera pour l’année prochaine. « Ce qui est bizarre et rassurant pour l’instant, c’est que personne ne nous parle d’argent. Tout le monde veut sauver les gigs, les tournées. Les Belges sont dans les parages et flexibles. C’est nettement plus compliqué avec les artistes internationaux. On s’inscrit dans des tournées internationales. Il faut qu’autour, ils trouvent des salles disponibles à Amsterdam, à Paris, à Londres. Tout le monde essaie de sauver ses concerts. Le Bota, Bozar, le Trix à Anvers… L’automne sera super chargé. Et il faut bien se dire qu’il y a une limite à la capacité d’absorption. »
Comprendre, parer, se repenser
Rien n’a encore été officialisé au moment où il s’exprime. D’un tempérament pourtant plutôt optimiste, Kurt Overbergh ne se fait pas trop d’illusions sur la tenue des grands rassemblements de l’été. « Glastonbury a déjà annulé. Cinquante pour cent des spectateurs de Tomorrowland viennent de l’étranger. Les gens pourront-ils sortir de leur pays? On ne sait pas ce qui nous attend. La vie normale ne va pas reprendre facilement. C’est un désastre pour tout le monde. Ce n’est pas comme si on allait profiter des annulations de festivals. Des carrières sont lancées là-bas et se prolongent dans nos salles. C’est un circuit. Tout est connecté. Il y a une question de timing, de momentum. Là, des concerts qui étaient censés être des premières vont devenir des dernières. Ça va fortement perturber le développement des groupes. »
Damien Waselle, le directeur de Pias Belgique, acquiesce. « L’an dernier, les Whispering Sons ont joué sur la Main Stage de Werchter à 13 heures le même jour que The Cure. Ils se sont produits devant 10 000 personnes. Le lundi midi, les chiffres d’écoute en ligne avaient solidement grimpé et on avait vendu 850 places pour leur concert à l’AB. » L’alignement des planètes, comme il dit. Ce dont on ne peut pas vraiment parler pour The Night Chancers, le nouvel album de Baxter Dury. « Le gros de la promo avait été fait. C’est un bon disque. On avait plein de retours, de la radio, une belle date. Mais les magasins sont fermés et son concert au Bota a été reporté au mois d’octobre. On ne parle pas d’une machine à streaming. À ce moment-là, les gens risquent d’être passés à autre chose. C’est pas super évidemment. Il essuie les plâtres. »
Pias a postposé quelques sorties d’albums mais finalement pas tant que ça. Le label continue d’occuper le terrain. « On n’écoule plus de disques dans le réseau habituel. Tous nos clients sont fermés. Quelques magasins comme Music Mania à Gand, la FNAC et le MediaMarkt font de la vente en ligne mais les commandes restent assez marginales. On est un label indépendant qui privilégie le format album et vend beaucoup de musique physique. 45% du business de Pias s’est volatilisé en un jour… Mais on a encore le digital et nos ventes en direct avec le Pias Shop qui marche pas mal. »
À de rares exceptions près, tout le monde bosse encore. Tous les départements. « Certaines campagnes d’albums ont été lancées. Il faut continuer à soutenir les artistes. Il y a moins de taf au stock, à la fabrication. Les gens font autre chose. On verra sur la longueur mais jusqu’ici il y a du boulot. Il a fallu comprendre ce qui nous arrivait, parer au plus urgent. Maintenant, on peut se repenser. Une fois le choc encaissé, l’entreprise réorganisée, on peut réfléchir au futur. Comment ça va être demain? Combien de magasins vont tenir le coup? Être déclarés en faillite? Certains labels vont-ils abandonner l’un ou l’autre support? Il ne faut négliger aucun aspect. Il y aura la réouverture et la relance. Un million et demi de personnes sont au chômage temporaire. La plus grosse difficulté, c’est qu’on n’a pas de deadline. On ne sait pas du tout sur quand tabler. »
Pias réfléchit, essaie d’être créatif, se coordonne au niveau international. « Il y a quinze ans, sans le digital, on se serait arrêtés. Perso, je viens de passer dix jours de fou à enchaîner les vidéoconférences. Comme on est toujours dans l’actu, l’urgence, le sprint, c’est l’occasion de bouger le curseur. La crise met en lumière des trucs à changer. On profite du confinement. On crée des groupes de travail. On se demande par exemple comment développer le magasin en ligne à l’international. »
Maga fermé, festival annulé
Jeudi après-midi, quand on l’a au bout du fil, Dédé, l’un des deux boss de Caroline Music, est justement passé y récupérer le courrier. La boutique de disques a fermé, comme beaucoup d’autres, le 18 mars. « Les derniers jours étaient relativement calmes. Les gens, inquiets, ne bougeaient plus des masses. On a réfléchi à la vente en ligne. Mais tu ne peux pas lancer ça dans une période de crise. Dans le meilleur des cas, on aurait vendu dix disques par jour. Ça n’aurait pas changé grand-chose. En plus, les distributeurs ont stoppé leurs activités. Les firmes ont arrêté de livrer. » Pendant les premiers jours de confinement, il a fallu continuer à réceptionner les colis. « On a passé des commandes. Des commandes de marchandises qu’on ne peut pas vendre dans un premier temps. C’est la merde totale. On a un stock en jachère qui attend la réouverture. » Du stock qui va se battre dans les rayons avec les nouveautés à venir. « Toutes les sorties de six ou sept semaines vont arriver en même temps. Et faut pas croire, la musique est aussi périssable qu’un steak-frites. Les gens ne vont-ils pas oublier ce qu’ils voulaient? Il y a d’autres inquiétudes au niveau économique que les problèmes de trésorerie. Va-t-on tout simplement récupérer un rythme normal quand tout ça sera terminé? » Pour l’instant, de manière générale, pas mal de dates de sorties changent. Le Record Store Day a évidemment été reporté. Du 18 avril au 20 juin… « Personne ne veut sortir un disque alors que les magasins sont fermés. Perso, je passe environ deux heures par jour sur le PC. Je suis les annonces, les changements de dates. Parce que des infos, on en reçoit encore. Je dois dire que je tourne comme un lion en cage. Je n’ai pas l’habitude de rien branler… »
« Le nombre de personnes qui travaillent dans la culture en Europe est plus important que celui de gens bossant dans le secteur de l’automobile », notait Kurt Overbergh pour faire prendre conscience des enjeux. Fred Maréchal, lui, sait déjà que son festival n’aura pas lieu: le Roots & Roses, qui devait se dérouler le 1er mai à Lessines, a été annulé. « Ça a d’abord été les craintes, dès février. Puis l’angoisse et l’éventualité de l’annulation. On a compris quand ça a dégénéré en Italie. On a alors discuté avec l’ensemble des artistes. Avec les politiques de la ville aussi et des autres événements prévus au même moment que nous comme les Nuits Botanique ou l’Inc’Rock. Les groupes ont pris conscience qu’il serait compliqué de voyager, d’entrer et de sortir de leur pays. À un moment, ce n’est plus une décision, c’est une fatalité. Les contrats prévoient des cas de force majeure. « Act of God » en anglais (rires). L’accord est annulé. Les avances perçues sont remboursées. »
Un report eut été compliqué pour l’événement hennuyer. Son affiche, transatlantique, est fortement tributaire des tournées. Et entre festival de musique classique et des arts de la rue, il était difficile dans une petite ville comme Lessines de trouver une date d’ajournement dans le calendrier. « Avant d’annoncer la nouvelle officiellement, on a prévenu nos partenaires, nos bénévoles, les sociétés qui nous livrent, les fermes de la région, les brasseries du coin… »
La quasi-totalité des artistes programmés cette année se sont engagés à jouer au Roots l’an prochain. « Ça risque de nous couper de l’actualité. On verra ce qu’on peut envisager pour y rester connectés… » Le plus dur actuellement, c’est l’incertitude. En août, Lessines doit accueillir Hooverphonic dans la cour de l’hôpital Notre-Dame à la Rose. « On travaille sur quatre ou cinq autres dates, mais personne ne répond. Personne ne sait à quoi s’attendre. »
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