Le portrait de Joëlle Sambi, autrice, slameuse et activiste LGBTQIA+
Elle est artiste associée au Théâtre National, autrice, slameuse et activiste LGBTQIA+. Avec Angles morts, Joëlle Sambi aborde ses sujets de prédilections, des discriminations aux violences policières, livrant un spectacle plus théâtral que le précédent, à l’esthétique affirmée. Plus personnel aussi.
Nous la rencontrons tout début septembre à la Balsamine. Elle y peaufine les derniers détails de son nouveau spectacle qui sera créé dans ce théâtre schaerbeekois. Entourée d’une krumpeuse -explosive et intensément sensible Kenza Deba- et d’une beat-makeuse -sobre et précise Sara Machine-, elle monte ce spectacle dont les Angles morts du titre font référence à ces micro-agressions subies par certaines personnes. “Ce sont ces choses qu’on ne perçoit pas d’emblée. Ces détails qui brisent, souvent issus des conflits de classes, explique l’artiste. Ces cases dans lesquelles nous nous enfermons nous-mêmes ou dans lesquelles on nous range, et qui peuvent générer violences ou profond mal-être. Je voulais m’intéresser aux conséquences des a priori.”
L’autrice tourne autour de ce sujet depuis un temps, avec son recueil de textes, Caillasses, et son concert-spectacle, Fusion. Ce dernier, uppercut de mots et de krump, duo scénique avec Hendrickx Ntela, était visible au week-end d’ouverture du Théâtre National, auquel les deux artistes urbaines sont associées. Il y était déjà question de discriminations et de violences policières. Un duo “engagé autant qu’enragé”, d’où sourdait l’urgence de dénoncer. Avec Angles morts, Joëlle Sambi va plus loin. “Le spectacle brasse mes thématiques habituelles, explique-t-elle. Mais j’ai voulu évoquer la notion de classe sociale. Car si dans nos combats (de militance LGBTQIA+, NDLR), on met en avant sexisme, racisme, ou genre, la question de classe reste le parent pauvre. C’est en ça que ce spectacle est plus personnel, nourri de mon histoire, celle d’une Belgo-Congolaise, femme, black, gouine, autrice. Celle qui, quand elle est agressée, se demande si c’est parce qu’elle est d’une minorité visible, lesbienne ou porteuse d’une parole publique.” D’où l’importance d’une parole intersectionnelle.
Cette parole multiple est portée sur scène par différents médias: spoken word, danse, sons. En terme d’esthétique, le spectacle est plus abouti scénographiquement. Loin de l’aspect brutal de Fusion, dans lequel krumpeuse et slameuse occupaient sans artifice la scène de leur corps et de leurs mots, Angles morts propose un travail sur la lumière. Au plateau, au début, trois espaces déterminés: un coin-case pour Joëlle Sambi d’où s’élèvera son premier texte, une mince bande de lumière stroboscopique à l’avant-scène, où se déploie la krumpeuse, et une console en retrait, derrière laquelle officie Sara Machine. On regrettera peut-être que ce souci esthétique lisse le propos, ou du moins s’éloigne de l’aspect rugueux de Fusion, où le krump pulsait des mots coups de poing. Mais gageons qu’Angles morts, après sa première, a déployé son urgence pour les représentations à venir.
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Râler, exister, slamer
Reste la choralité en sororité, croisement des expériences des trois protagonistes et des discussions en équipe. Une multiplicité d’angles… vivants, de réels vécus par une équipe quasi intégralement féminine. Un geste militant pour Sambi. “J’ai amené le corpus texte, nous explique-t-elle. Le résultat est porté par ce groupe de femmes, c’est une trajectoire de coupes, découpes, inserts de sons, mouvements. C’était une évidence de visibiliser leur parole, un choix d’avoir une assistante à la mise en scène, une productrice, deux créatrices sonores, une scénographe, une dramaturge. La seule exception, c’est Nicolas Pommier, à la régie sonore, avec qui je travaille depuis longtemps.”
Joëlle Sambi a découvert le slam après un burn out (elle était assistante de communication aux Femmes Prévoyantes Socialistes). Ses débuts furent fulgurants: stage en 2015, coorganisé par l’Erg et Bozar sur l’Atlantique noir; restitution publique en fin de stage, lors de laquelle elle se fait remarquer par Rosa Gasquet de Lezarts Urbains; mise en scène de son Congo Eza par cette dernière, avec Lisette Lombé et Badi; puis un parcours ascensionnel. Pour Joëlle Sambi, cet endroit de la parole que lui apporte le slam est une nécessité vitale. “J’ai découvert un lieu où faire exister une parole personnelle, son immédiateté, son adresse. Quand je travaillais, je parlais, mais pour les autres. Là, c’est moi qui parle. Avec le slam, tu peux râler, il y a un endroit pour.” Râler et s’inspirer. Mêler ses combats publics à sa parole intime. Car, enfin, c’est bien de son histoire qu’elle s’inspire pour créer ces Angles morts, hommage aussi aux femmes de sa famille, celles qui parlaient, matriarcales, avec leur lot de contradictions. “Ma famille est une famille d’illettrés, qui a produit ses premiers universitaires en trois générations. Mon arrière-grand-mère n’a pas fait d’études, les femmes s’y mariaient jeunes. Ce n’est qu’à partir de la génération de ma mère qu’on a commencé à faire des études… Mais le fait de savoir lire et écrire ne te déplace pas de ta classe sociale.” Sambi se dit pétrie par son éducation, “née en Belgique, d’une mère qui a étudié au Congo, et faisait des ménages à son arrivée en Belgique”. “Dans les années 80, on est retourné au pays. À l’école, j’étais entourée d’enfants de ministres, militaires, diplomates. Avec ma sœur, on était les seules Noires. Il fallait être bien habillées, mieux que les autres. On ne recevait pas nos amis à la maison, pour nos anniversaires. La différence de classe était gravée en nous.”
“Les personnes humiliées et tabassées sont généralement des personnes racisées”, martèle-t-elle encore. En hommage, cette ouverture du spectacle: “Je dois te parler. Je dois te dire. C’est un massacre…” Car Joëlle Sambi parle et dit. Et, de prises de parole en dénonciations, de colères qui se mettent en forme en essentielles collectivités, son chemin est à découvrir, de toute urgence.
Angles morts, de Joëlle Sambi, du 19 au 21/10, à L’Ancre, Charleroi, et les 10 et 11/11 au Théâtre National, bruxelles.
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