La scène belge, tout le monde l’adore, mais personne ne l’écoute? Echo d’un secteur en pleine gueule de bois

Stromae, l’arbre qui cache la forêt exsangue de la scène belge.
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Ce mercredi soir, l’industrie musicale (surtout flamande) remettra ses MIA’s. Une remise de prix programmée au milieu d’une Semaine de la musique belge, censée mettre la lumière sur une scène qui, au-delà de ses principales vedettes, a toujours plus de mal à garder la tête hors de l’eau.

C’est donc ce mercredi soir qu’aura lieu la traditionnelle cérémonie des Mia’s. Soit les Music Industry Awards, principale remise de prix musicaux du pays. Peu de chances cependant que vous suiviez le show. Pas seulement parce qu’il n’est diffusé que sur la VRT. Mais aussi parce que, même si la majorité des nommés chantent en anglais (dont pas mal d’entre eux loués dans ces colonnes), tous sont Flamands. A une exception près : Salvatore Adamo, qui recevra un prix honorifique pour l’ensemble de sa carrière. Pour le reste, les noms de Pommelien Thijs, Eefje de Visser, ou Berre ne diront probablement pas grand-chose de ce côté-ci de la frontière linguistique. Ce qui est bien logique: même si la cérémonie est présentée comme celle du secteur dans son ensemble, et placée au milieu de la Semaine de la musique belge, elle est organisée par le VI.BE (l’équivalent flamand de Court-Circuit) et la VRT. Et côté francophone? Rien ou presque, depuis feus les Décibels Music Awards – cinq éditions entre 2016 et 2020.

La seule vitrine mainstream de la scène belge, (très) vague équivalent des Grammys ou des Victoires, est donc flamande. Avec ce paradoxe très belge pour le coup: les artistes les plus récompensés de son histoire sont deux… francophones: Angèle et Stromae. Mais pourquoi donc un tel biais? It’s the economy, stupid! En l’occurrence, celle d’une industrie musicale menée par des majors qui ont surtout le regard tourné vers le Nord du pays.

Tout ne va pas si mal pour la scène belge

Comment se porte-t-elle d’ailleurs cette industrie? Côté face, a priori, tout roule. Même si les chiffres d’écoute globale du CIM sont en baisse, ceux des plateformes de streaming continuent de croître (lentement). En 2023, l’industrie musicale en Belgique a d’ailleurs encore augmenté ses revenus de 12,4%, selon l’IFPI (la Fédération Internationale de l’Industrie Phonographique)  – l’un des meilleurs scores de la zone Euro (4,4% seulement pour la France, par exemple).

A survoler l’actu musicale de ces derniers mois, on peut également se dire que la scène belge a réussi à tirer son épingle du jeu. D’Angèle qui redonne un coup de boost au hit de Kavinsky à l’occasion des JO à Stromae qui repasse deux secondes la tête pour sortir, avec Pomme, le titre Ma Meilleure ennemie, devenu le morceau francophone «le plus écouté en 24h sur Spotify», en passant par Pierre de Maere, s’offrant un duo avec l’une des plus grandes pop star du monde, Dua Lipa. Même si la bulle de 2017 a tendance à se dégonfler, le rap donne toujours le ton: de Damso trustant les médias pour la sortie de son album-surprise J’ai menti à Shay, dont le show spectaculaire se retrouve nommé aux Victoires de la musique. En passant par Hamza, qui a annoncé un concert en décembre prochain à la Défense Arena, la plus grosse salle de France. Ou même Youssef Swatt’s, gagnant de l’émission Netflix Nouvelle Ecole. Même sur des créneaux plus alternatifs, la vie est belge – à l’instar de Nala Sinephro, dont le sublime album s’est retrouvé dans les best of de fin d’année de médias internationaux parmi les plus prestigieux.

Sous les paillettes, ça grince

Côté pile, la situation est toutefois moins glorieuse. A l’automne dernier, le secteur s’était déjà alarmé dans une lettre ouverte sur le «licenciement par Spotify de son unique contact avec le marché musical belge». Une industrie qui se retrouve sans relais direct avec la principale plateforme de streaming mondiale: voilà qui ne présage rien de bon. A fortiori dans un paysage musical qui a tendance à muter en permanence. Comment encore «vendre» un artiste? Par quel canal organiser sa promo? Comment jongler avec une machine à hits aussi imprévisible qu’une plateforme que TikTok? Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les licenciements se sont multipliés ces derniers mois au sein des majors du secteur. Ou qu’un certain nombre d’artistes se posent de plus en plus de question sur leur avenir – comme cette chanteuse qui pense arrêter les frais, parce qu’elle ne trouve pas de concerts, malgré un nouvel album et une presse enthousiaste. Cela n’a jamais été un secret: il n’est pas simple d’être musicien en Belgique. Les conditions pour exercer le métier semblent toutefois devenues de plus en plus précaires…

Cette semaine, Playright, la société belge de gestion collective des droits voisins des artistes-interprètes, a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme dans un communiqué. Et fait ses comptes. «Les algorithmes favorisent la visibilité des grands hits internationaux, décuplant leurs nombres d’écoutes et marginalisant davantage la musique belge.». Exemple très concret: en Flandre, l’an dernier, jamais le classement des 100 meilleures ventes (lancé en 1995) n’avait compté aussi peu d’albums d’artistes belges – à peine 16, contre encore 48 en 2016.  «Plusieurs d’entre eux sont attribués aux mêmes artistes tandis que d’autres sont liés à des émissions télévisées. Par ailleurs, on ne compte qu’un seul nouvel artiste.» En Wallonie, la situation est encore plus inquiétante: à peine neuf disques du top 100 étaient le fait d’artistes locaux . «Pire encore, tous les albums du top 2024 étaient déjà listés dans le classement de l’année précédente», à l’exception du nouveau Damso «qui a publié à lui seul cinq des neuf albums belges.»

Bonne fête quand même? 

 

En Wallonie, la situation est encore plus inquiétante: à peine neuf disques du top 100 étaient le fait d’artistes locaux

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