Critique | Musique

[la réédition de la semaine] Leila – Like Weather

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Plus de 20 ans après sa sortie, le premier album de Leila n’a rien perdu de son étrange séduction. Un disque-culte, injustement oublié.

Pendant une (courte) période de l’Histoire de la pop, la marge conquit le centre. Souvenez-vous, c’était dans les années 90, la musique dite alternative devenait alors mainstream, Nirvana trônait au sommet des charts, Radiohead mutait avec OK Computer, Massive Attack et Portishead triomphaient avec une soul insulaire, tandis qu’Underworld évangélisait les masses avec de longs morceaux techno de 10 minutes. Dans ce bouillonnement, certains passèrent malgré tout entre les mailles du filet. Comment a-t-on pu par exemple laisser filer Like Weather, premier album de Leila, sorti en 1998? On se rappelle pourtant bien de la pochette à vélo. Quasi le même que dans le film E.T., pour un disque en effet complètement ovni. Peut-être l’étiquette trip-hop, qui lui a souvent été accolée, a fini par brouiller les pistes et gommer au fil du temps sa singularité…

Car en écoutant sa réédition, le constat est frappant. Plus de 20 ans après sa parution initiale, Like Weather s’impose à la fois comme une pièce unique, et comme la matrice secrète d’une bonne partie de la pop actuelle, de James Blake à Frank Ocean. Née en Iran en 1971, Leila Arab a fui le pays lors de l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini. La famille trouve alors refuge à Londres. C’est là que la jeune femme va tomber dans la musique, et la culture électronique en particulier. Elle est à l’université quand elle embarque sur la première mondiale de Björk, pour jouer des claviers et faire les choeurs sur la tournée Debut. Elle rempilera deux ans plus tard pour l’album Post, mais en se plaçant désormais derrière les machines pour mixer en live. La jeune femme a trouvé sa voie. Ou en tout cas ses outils pour imaginer et concocter la musique qu’elle a dans la tête. Elle est changeante, « comme le temps (Like weather)« , insiste Leila. Gourmande, elle peut passer d’une soul lo-fi (Feeling, Something) à un morceau r’n’b noisy (Don’t Fall Asleep), d’un funk tordu (So Low… Amen) à de fulgurantes rêveries électroniques (Underwaters (One For Keni), Space, Love). Planquée derrière ses machines, la productrice laisse le micro à Luca Santucci, Donna Paul et sa soeur Roya, augmentant encore un peu plus le flou: chaque morceau de Like Weather sonne comme une entité en soi, à la fois indépendante des autres et liée par une même étrangeté.

En 1998, l’album reçoit des critiques dithyrambiques -le Sunday Times le présente comme le « chef-d’oeuvre » caché de Prince. Nombreux sont ceux qui en font même leur favori pour le prestigieux Mercury Prize -si Leila n’avait pas omis d’aller chercher son passeport britannique, indispensable pour pouvoir être retenu… Soit. Le disque est publié par Rephlex, le label d’Aphex Twin (son ombre plane sur le morceau Melodicore). « En tant qu’enfant de la révolution et « étrangère », j’ai apprécié cette incongruité de proposer un album à moitié-chanté sur un label spécialisé techno« , rigole aujourd’hui l’intéressée. Un art du contre-pied, voire de l’autosabotage, qu’elle ne cessera de cultiver. Quitte à devoir attendre une réédition pour remettre la lumière sur un disque miraculeux par bien des aspects.

Leila, « Like Weather », distr. Modern Love. ****

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