La K-Pop prend toute la place dans les rayons des disquaires? On vous explique pourquoi

SEOUL, SOUTH KOREA - JUNE 24: (EDITOR'S NOTE: Special filter on camera was used to create this image.) Fans reacts as Kyuhyun of Super Junior performs Seoul Park Music Festival 2023 on June 24, 2023 in Seoul, South Korea. (Photo by Justin Shin/Getty Images)
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Qui a dit que l’amour (du) physique était sans issue? Dans un business converti au streaming, un genre continue de faire de la résistance: la K-Pop. 
À coups de coffrets inédits et de gadgets collectors. Quitte à faire passer la musique au second plan?

Les chiffres ont parlé. Ceux de l’IFPI, l’organisation représentant l’industrie musicale dans le monde, sont clairs. Sur les 20 albums les plus achetés l’an dernier en format physique (ou téléchargement), pas moins de… 19 étaient l’œuvre d’artistes K-Pop. Une seule artiste non-coréenne est parvenue à se glisser entre les mailles du filet: l’inévitable Taylor Swift…

Que la K-Pop soit devenue une force incontournable sur l’échiquier musical mondial n’est pas un scoop. Depuis le Wembley complet du groupe BTS (90 000 tickets écoulés en moins de deux heures, en 2019), ou le tapis rouge déroulé pour Blackpink au très hype festival de Coachella l’an dernier, c’est même l’évidence. Que sa domination soit à ce point écrasante reste toutefois interpellant. Du moins dans les ventes physiques. Sur les plateformes de streaming, les places sont davantage disputées. Quand il s’agit cependant d’écouler du vinyle et du CD, les stars K-Pop sont les premières sur la balle.

Folie K-pop

Illustration concrète chez les disquaires et autres grandes surfaces culturelles: des albums qui ne se dénichaient jusqu’ici que dans des magasins spécialisés ou en import, occupent désormais une place importante. Dans une enseigne comme la Fnac, c’est frappant. Dans ses points de vente bruxellois, par exemple, les références K-Pop bénéficient d’un grand rayon -là où la place du pop/rock a fondu comme neige au soleil… Pierre-Marc Meli, responsable des produits éditoriaux de la chaîne, confirme: « ça a été assez progressif. Il y a trois ans, les albums de K-Pop ne généraient encore que quelques pourcents du chiffre du rayon musique. Mais en 2023, ils ont représenté 15 % du montant, et on devrait monter jusqu’à 20 cette année. »

En Belgique, la Fnac s’est branchée sur le phénomène il y quatre, cinq ans d’ici. « L’un de nos acheteurs avait une fille fan de K-Pop. C’est comme ça qu’on a pu se positionner assez tôt sur le secteur. La vague se tassera peut-être à un moment. Mais pour l’instant, le phénomène continue de prendre de l’ampleur. Fin avril, il y a encore eu un grand festival K-Pop au Sportpaleis (le Music Bank, NDLR): notre magasin anversois a été « dévalisé » par les fans… »

L’effet collector

En l’occurrence, des acheteurs souvent (très) jeunes. D’où la question à 5 wons: comment expliquer que la K-Pop vende autant d’exemplaires physiques à un public majoritairement digital native, a priori plutôt porté sur le streaming? La réponse est simple: l’effet collector. Rares sont en effet les albums de K-Pop qui se contentent du boîtier plastique basique. La plupart multiplient les versions, notamment sous la forme de coffrets remplis d’extras et de goodies en tous genres. Assistante marketing au sein de la major Warner, Rania Gammouch explique: « Comparés aux artistes occidentaux où il n’y a peut-être qu’un CD et les paroles des chansons, 
les albums de K-Pop sont accompagnés d’une grande variété de produits dérivés différents.«  Comme par exemple « des affiches, des livres de photos, des autocollants, des cartes en carton découpées, des livres de lyrics, des bracelets, des pins, des sacs fourre-tout, etc. »

Trafic de cartes du groupe NCT dans le métro Séoul, façon vignettes Panini (AFP)

Ou encore les fameuses photocards des stars, un peu à la manière de vignettes Panini à collectionner. « Même si vous avez quelques photos où, dans le cas d’un groupe, tous les membres sont représentés, vous pouvez aussi avoir des photocards avec un seul membre particulier de ce groupe. Comme la culture de la fanbase dans l’industrie de la K-Pop est très dédiée, chaque fan peut avoir un membre de groupe préféré, également appelé « bias ». Et donc les fans les plus fidèles peuvent continuer à acheter des albums jusqu’à ce qu’ils tombent sur la photocard de leur « bias ». »

L’amour (du) physique

L’industrie musicale n’a évidemment pas attendu la Corée du Sud pour inventer le concept de goodies et d’exclusivité -au hasard, Jul et son édition de C’est pas des lols incluant une paire de chaussettes (à combiner avec les claquettes)… Au « Pays du Matin calme », la collectionnite est cependant une « déviance » assez généralisée. « Ado, j’achetais par exemple le même album de Madonna en CD, vinyle et cassette », s’amuse Haetal Chung. Responsable de la communication au Korean Cultural Center à Bruxelles, il confirme le goût coréen pour l’objet physique. « Dans l’univers du webtoon (manga conçu pour être lu sur le Net et les smartphones, NDLR), par exemple, les albums finissent aussi souvent par être imprimés, avec des éditions collector. »

La révolution digitale n’a pas pour autant épargné la Corée du Sud. « Comme partout ailleurs, au début des années 2000, l’industrie musicale coréenne a été lourdement impactée par le téléchargement illégal. » Mais avec l’aide des pouvoirs publics, elle va rapidement se relever. Notamment en remettant l’accent sur des contenus exclusifs. Mieux encore: alors que la nouvelle donne numérique avait laminé le business, elle va aider les artistes coréens à se propager aux quatre coins du monde.

Autrice de L’Énigme K-Pop, histoire inexplorée d’un phénomène mondial (aux éditions K!World), Christelle Nabor explique: « La Hallyu (la culture pop sud-coréenne, NDLR), côté K-Pop, est incontestablement portée par des plateformes digitales comme YouTube, Spotify et autres services de streaming gratuits. La K-Pop est un enfant de la digitalisation et pourtant, l’industrie sud-coréenne continue de produire des albums physiques à une vitesse impressionnante. » Dès 2004, un groupe comme Shinhwa propose par exemple deux versions de leur album Brand New. Depuis, l’offre n’a cessé d’enfler. Et de devenir systématique.

Être fan

Pour Haetal Chung, la multiplication des contenus prolonge aussi des univers qui se veulent « totaux ». « Dans la K-Pop, les stars ne se contentent jamais de seulement chanter. Elles dansent, jouent souvent d’un instrument, composent. Et proposent aussi des chorégraphies, un look, des visuels. » Autant de dimensions qui permettent aux artistes coréens de nourrir abondamment leurs fanbase.

La pop culture a toujours soigné et cultivé la figure du fan. Rares sont cependant les genres qui, comme la K-Pop, ont mis le fan à ce point au centre du jeu. Haetal Chung: « Quand je suivais des stars comme Madonna ou Whitney Houston, elles sortaient leurs albums, montaient sur scène, proposaient des clips. Mais la relation était à sens unique. Chez les artistes K-Pop, il y a l’idée de créer un rapport réciproque et immédiat, presque en temps réel. »

Blackpink, tête d’affiche du festival de Coachella (Getty)

Tout pousse à l’engagement du fan, quasi investi d’une mission. « Au début, les BTS par exemple n’étaient pas des énormes vedettes. Mais ils ont pu s’appuyer sur leurs fans, appelés The Army (acronyme d’Adorable Representative M.C. for Youth, NDLR), pour devenir de plus en plus populaires. Artistes et fans ont grandi en quelque sorte ensemble. » Rania Gammouch, chez Warner, ajoute: « Les fans de K-Pop croient au fait d’aider leur groupe préféré à atteindre une place élevée dans les classements. À cet égard, la première semaine où l’album est publié est cruciale. Et donc beaucoup pré-enregistrent l’album en avance pour être sûrs de pouvoir mettre la main dessus. Et quand il est publié, ils continuent à acheter des copies physiques » pour booster toujours plus les ventes. Haetal Chung: « Si mon artiste préféré se retrouve numéro un du Billboard par exemple, c’est aussi mon accomplissement. »

Le CD, prétexte au bonus

En même temps que le Net a éclaté les écoutes, il a donc aussi chamboulé la représentation du fan. Du côté de Séoul, on a ainsi réussi à s’appuyer sur les deux mondes. Avec d’un côté, le Web pour entretenir la relation idole-fan. Et de l’autre, les albums pimpés, envisagés comme de vraies pochettes-surprises, pour rendre ce lien plus concret.

D’où des coffrets toujours plus copieux, garnis de gadgets en tous genres. À la Fnac, Pierre-Marc Meli: « En juin, on attend la sortie d’un album de NewJeans, qui sera proposé notamment avec un sac en toile, des cartes postales, un livret photos, etc. » Et même… un CD! L’industrie K-Pop a poussé en effet la démarche tellement loin que le disque lui-même a parfois l’air de devenir presque subsidiaire dans le geste d’achat. Christelle Nabor ne dit pas autre chose: « Le CD contenu dans le package K-Pop n’est plus la pièce centrale, il devient un simple accessoire secondaire », présent presque « par hasard ». Confirmation du côté de Pierre-Marc Meli: « On observe pas mal de vols dans le rayon K-Pop. Mais jamais du CD. Ils vont plutôt ouvrir le coffret, piquer la carte collector, peut-être le livret des paroles. Mais la musique en elle-même ne les intéresse pas. »

L’industrie musicale coréenne a pris conscience du problème et cherche la parade. Cela ne devrait toutefois pas stopper sa marche en avant -même freinée par la pause de ses plus gros blockbusters comme BTS ou Blackpink. En Belgique, en tout cas, la marge de progression est réelle. Haetal Chung: « Avant, quand les stars du genre se déplaçaient en Europe, elles passaient par Amsterdam ou Paris. Désormais, elles incluent aussi une date à Anvers ou Bruxelles. » Avant de s’inviter bientôt à Rock Werchter ou aux Ardentes? Les paris sont lancés… ●

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