Joanna, le rouge et le noir

Joanna, l'amour à la machine. © EMMA PANCHOT
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur son premier album, Sérotonine, la Française Joanna malaxe des chansons pop-r’n’b aussi sombres que langoureuses, disséquant les relations amoureuses au temps du digital et du féminisme 2.0. Rencontre.

Ce jour-là, le trafic bruxellois a retrouvé ses bonnes vieilles habitudes prépandémie. Il en a profité pour faire dérailler le planning promo de Joanna. Quand on rencontre la jeune femme, la valise est prête, le Uber commandé: le Thalys n’attendra pas. Pas le temps de gamberger, il s’agit de rentrer directement dans le vif du sujet: c’est quoi, ce premier album au coeur coulant, froid à l’extérieur, chaud à l’intérieur? Ce disque de pop-r’n’b, soufflant le torride et les nappes polaires, le sombre et le charnel, où chaque track est sous-titrée, balisée par un thème? « Pour moi, c’est d’abord comme une thérapie, même s’il reste du boulot (rires). J’avais envie de découper la relation amoureuse en étapes. Parce qu’il y a souvent un schéma qui a tendance à se répéter, surtout au sein de ma génération. » C’est-à-dire? « J’ai l’impression que l’on ne prend pas toujours le temps pour créer une vraie communication avec l’autre, pour réussir à l’accepter, etc. En gros, quand ça ne va pas, ça ne va plus… » On creuse encore, en partant du titre qui a tout déclenché en 2018 et qui s’appelait, déjà, Séduction, pour remonter le fil jusqu’au premier album sortant cette semaine, s’intitulant, lui, Sérotonine. Tiens, comme le dernier roman de Houellebecq, qui se penchait sur les « déboires affectifs et sexuels d’un homme s’enfonçant irrémédiablement dans la dépression et la solitude« . Dans un coin de sa tête, l’intervieweur se promet d’y revenir. Trop tard, le taxi est déjà là…

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Déclaration d’indépendance

Quelques jours plus tard, la discussion se prolonge, par écran interposé. C’est l’occasion de repartir du début. Née à la fin des années 90, Joanna Fouquet a grandi en Bretagne. Fille unique, elle passe une enfance pas forcément solitaire, mais isolée, dans un petit lotissement, loin de tout, « à me raconter des histoires que je ne pouvais partager avec personne. Du coup, on se retrouve facilement centré sur soi-même« , mettant du temps « à comprendre ce qu’est une relation« .

Gamine, sa mère l’inscrit au cours de piano. Mais ce n’est qu’à l’adolescence que ses envies artistiques se précisent. Au lycée, elle s’inscrit en section cinéma, et découvre Rennes. Une ville qui a toujours réussi à se faire une place sur l’échiquier culturel. Dans les années 80, par exemple, l’endroit a accompagné la naissance de la scène punk-pop-new wave française, de Marquis de Sade à Étienne Daho. Aujourd’hui, c’est le collectif rap Columbine qui donne un nouvel écho à la ville. « On était ensemble au lycée. Je les voyais faire leurs trucs, réaliser leurs clips, etc. Ça m’a motivée. Je me sentais moins seule. »

Joanna creuse sa passion pour la musique, s’intéresse à l’image. Sur le Net, on retombe sur son premier court métrage, l’histoire d’une « jeune fille obsédée par la Sonate au clair de lune de Beethoven« . Une autofiction?  » Disons que si je peux être obsessionnelle, je tiens malgré tout à garder le contrôle, contrairement au personnage. » Quelles sont alors ses fixettes musicales? « Je suis fascinée par Sevdaliza« , la chanteuse néerlandaise d’origine iranienne, dont le dernier album s’ouvrait par un morceau intitulé… Joanna. « Quand j’ai vu ça, j’ai pété un câble! (rires) J’adore son univers, sa posture très spirituelle, et puis le fait qu’elle propose quelque chose de très cohérent. J’aime que les choses soient spontanées et en même temps très carrées. Parce que vous ne pouvez pas faire n’importe quoi avec ce que vous créez. »

Cette leçon, Joanna l’a rapidement apprise. Quand elle poste Séduction, il y a trois ans, les chiffres s’emballent très vite. Et attirent l’attention des labels. « J’ai débarqué dans un monde que je ne connaissais pas du tout. D’un côté, on me faisait comprendre que si je ne prenais pas la balle au bond, je n’aurais pas de seconde chance. De l’autre, on me mettait en garde sur la manière dont fonctionnait l’industrie, a fortiori avec les femmes. Au final, j’ai pris la décision de monter ma propre société, pour avoir mon mot à dire sur tout. »

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Il y a un an sortait l’EP Vénus, produit avec le beatmaker Sutus, et enregistré notamment chez Yelle -« Ils m’ont donné beaucoup de conseils sur les pièges à éviter« . La thématique relationnelle y est déjà omniprésente, où l’amour est à la fois un propos intime et politique, nourri de ses convictions féministes. Dans le clip de Démons, avec le rappeur Laylow, Joanna joue l’offensive, lady killeuse à la Uma Thurman dans Kill Bill. Tandis que la vidéo de Sur ton corps met en scène le couple d’acteurs porno amateurs Leolulu, citant en préambule le Strass, le syndicat du travail sexuel en France.

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Dans une scène musicale hexagonale qui se débat toujours avec les termes r’n’b, urbain, pop, etc., Joanna évolue à la marge. Sur Sérotonine, la jeune femme rumine plus qu’elle ne roucoule. Et l’amour ressemble moins à une balade romantique qu’à une inévitable impasse communicationnelle. A fortiori pour une génération retranchée derrière les écrans? On le sait bien, les réseaux sociaux créent moins du lien qu’ils n’alimentent le narcissisme, à coups de clic et de like, déclenchant des poussées de dopamine… Tant qu’à rester dans les neurotransmetteurs, Sérotonine sonne d’ailleurs souvent comme un univers clos, comme renfermé sur lui-même. Dans plusieurs de ses clips revient le motif du miroir. Un hasard? Joanna sourit, énigmatique: « Dans une relation, on a trop souvent tendance à choisir une personne qui nous correspond, comme pour y voir notre propre reflet. Alors que l’amour, c’est au contraire accepter quelqu’un qui est différent de vous, qui peut éventuellement vous blesser, mais qui est vivant et libre. »

Joanna, Sérotonine, distr. Joanna Club. ***(*)

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