Gorillaz: Damon Albarn nous dévoile les secrets de Song Machine

Murdoc Niccals, Russel Hobbs, Noodle et 2D, humains malgré tout... © DR
Kurt Blondeel Journaliste Knack Focus

Avec Strange Timez, Gorillaz livre la première « saison » de son nouveau feuilleton musical, baptisé Song Machine. Explications exclusives avec Damon Albarn, toujours aussi boulimique de musique.

Ce mois de novembre, Gorillaz fêtera ses 20 ans, sans que ses créateurs Damon Albarn et Jamie Hewlett ne ralentissent la cadence. Avec Song Machine, les quinquas balancent un nouveau projet musical et visuel, qui ne pense plus en termes de disques, mais bien d’épisodes. Même s’ils clôturent cette première saison avec… un disque, Strange Timez.

L’explication? Le chanteur, musicien, producteur et yogi, Damon Albarn en avait marre de bosser pendant six mois sur un disque et de devoir attendre six mois supplémentaires pour que la maison de disque mette la stratégie marketing en place. D’où l’idée d’une websérie: sortir toutes les six à huit semaines un single avec son clip (autrement dit un épisode), et créer ainsi un flux de travail ininterrompu.

En janvier, Gorillaz a donc inauguré Song Machine en sortant le morceau Momentary Bliss. Ont suivi, malgré le confinement et un décès (la légende de la batterie afrobeat et ami d’Albarn, Tony Allen), six autres épisodes. Finalement, quand le vase a commencé à déborder, avec toujours plus de nouvelles chansons, Albarn & Co ont quand même décidé de tout regrouper sur un bon vieux LP.

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La version deluxe de Song Machine, Season 1: Strange Timez compte 17 morceaux. Avec un casting impressionnant. Même selon les normes habituelles de Gorillaz, qui sur ses six disques précédents a quasi repris le concept de featuring à son compte. La liste des invités mélange jeunes loups (Slowthai, le girl band japonais Chai, le rappeur 6LACK), noms établis (Beck, St. Vincent, Joan As Police Woman) voire iconiques (Robert Smith de The Cure, Peter Hook de New Order, Elton John) et surprises (Leee John, oui, du groupe synth-soul eighties Imagination).

Il est 17h30, un brumeux lundi soir d’octobre. Damon Albarn a terminé son boulot de la journée dans son studio londonien (« de 10h à 17h, c’est le job, et ce sont les heures »), quand il apparaît sur l’écran de l’ordinateur.

La journée a-t-elle été productive?

Certainement! On a continué à travailler sur le mix de Le Vol du Boli, l’opéra que j’ai présenté à Paris avec le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako (César pour Timbuktu , NDLR). La chanteuse malienne Fatoumata Diawara est notamment de la partie. Elle participait déjà au morceau de Gorillaz Désolé, que l’on a sorti au mois de février. Je suis très fier d’avoir réussi à monter cet opéra en à peine six semaines.

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Pouvez-vous expliquer les avantages de travailler en « saison », notamment aux pauvres âmes qui croient encore au format album traditionnel?

Le titre Song Machine est explicite. C’est l’idée de pouvoir produire de la musique, sans deadline et sans qu’il y ait forcément besoin de lien entre les morceaux. Le problème, c’est que l’animation, qui demande bien plus de temps que la musique, traîne un peu le pas.

Chaque morceau est un single et donc aussi un clip. Jamie doit être débordé, non?

Mon Dieu, oui. Il y a six semaines, je lui ai demandé de combien de temps il avait besoin pour récupérer après le bouclage de la première saison. Il m’a demandé un mois. J’ai bien l’intention de nous y tenir, parce qu’en janvier je veux commencer directement la deuxième saison.

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Les invités ont toujours été incontournables chez Gorillaz. Pour Strange Timez, sur certains morceaux, vous les avez carrément regroupés par duos: The Pink Phantom avec Elton John et 6LACK, Aries avec Peter Hook et Georgia, Momentary Bliss avec Slowthai et Slaves. Jusque dans les bonus de l’album, où vous associez le regretté Tony Allen avec Skepta.

À partir du moment où vous n’avez pas l’intention de faire un album conventionnel, vous pouvez vous permettre de choisir vos invités de manière arbitraire. Une saison comme on vient d’en réaliser amène une nouvelle manière de travailler, qui est très excitante d’un point de vue musical. Que ce soit une bonne chose pour notre carrière, par contre, c’est encore une autre question (Rires). La continuité reste importante. Le fait de ne plus être limité dans le temps et l’espace rend aussi le processus d’autant plus fluide. Un moyen de tenir le tout ensemble réside dans le choix des invités. Vous parlez de duos, mais pour être honnête, je ne suis pas là en train de compter. Je fais juste de la musique. Même si je peux imaginer que quelqu’un qui a grandi avec Elton John sera peut-être irrité de l’entendre chanter à côté d’un jeune rappeur comme 6LACK. Personnellement, je ne trouve pas ça absurde. Je me dis seulement: est-ce que ça peut marcher? Si la réponse est oui, alors allons-y, et passons au morceau suivant! Qui pourra être complètement différent. Du point de vue de la texture sonore -ou peu importe comment vous voulez appeler ça-, ça n’a peut-être rien de logique, mais je m’en contrefiche. Pour moi, chaque morceau peut sonner autrement que le précédent. Même si je pense qu’il existe malgré tout un fil rouge qui traverse tout l’album.

Les créateurs (Jamie Hewlett et Damon Albarn) et leurs créatures:
Les créateurs (Jamie Hewlett et Damon Albarn) et leurs créatures: « Gorillaz est devenu plus grand que nous. »

Personnellement, je peux tout à fait appréhender les onze morceaux de l’album. Mais si je continue ensuite avec les six bonus, je perds un peu le fil.

C’est intéressant ce que vous dites, parce que j’en parlais justement avec notre équipe presse. Apparemment, tout le monde envisage la version deluxe, en discutant donc aussi des chansons que nous considérions nous-mêmes, sans que ce soit dénigrant, comme de simples « bonus ». Évidemment que l’on aurait pu glisser sur l’album le morceau avec Moonchild Sanelly à la place, par exemple, du titre avec St. Vincent. Mais il se trouve qu’on ne l’a pas fait. Dans ce sens, je préférerais que l’on voie Strange Timez comme un ensemble solide de onze chansons plutôt que de 17. Je suis donc 100% d’accord avec vous.

Est-ce que vous envoyez toujours une lettre manuscrite aux gens avec qui vous voulez collaborer?

Tout à fait. Même si ces derniers temps j’ai vraisemblablement dû envoyer l’un ou l’autre e-mail. J’ai appris entre-temps comment il fallait faire (Rires).

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Je me demandais comment des jeunes artistes comme Octavian ou Georgia réagissaient à votre courrier…

Probablement en se demandant ce que c’est exactement? Ils doivent avoir l’impression de tenir une relique (Rires). Ah, les jeunes… (distrait, il met la main sur une série de photocopies) Je me permets de vous lire un extrait d’une super review de l’album. À propos de The Lost Chord, un des nouveaux morceaux, le journaliste a écrit: « Irritating for different reasons -an eighties slow jam pastiche that was dated about five words ago. » (Rires) Je porte l’art d’écrire sur la musique en très haute estime, même si on sait tous que c’est une occupation complètement subjective. Mais c’est très bien comme ça, certainement si on y met un peu d’humour. Et en l’occurrence, je trouve ce passage fucking funny.

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À propos du morceau Pink Phantom, avec Elton John: celui-ci a précisément conduit la Rolls-Royce rose dont il est question, non?

Un jour, je devais avoir sept ans, on est venu me chercher à l’école avec cette même voiture. Ce n’était pas Elton John au volant, évidemment. L’histoire remonte à 1979. Il revenait d’une tournée dans ce qui s’appelait encore l’URSS et il n’avait pas de cash pour payer son percussionniste Ray Cooper. Il a décidé de faire cadeau de la Rolls à Ray, qui était alors un ami de mes parents, et qui est venu me chercher à la sortie de l’école. C’était dingue de pouvoir rouler avec une telle voiture (Rires). C’est un souvenir précieux, encore très vivant. Quand j’ai raconté l’anecdote à Jamie, il m’a pratiquement obligé à contacter Elton John. Vous voyez à quoi ça peut tenir. Vous vous retrouvez à écrire à un grand artiste en lui demandant: dis, il y a un truc que je voudrais évacuer… (Rires)

Qu’espériez-vous évacuer en contactant Robert Smith?

Figurez-vous que la première fois que je l’ai rencontré, c’était dans les toilettes de la Brixton Academy, en 1990. (Sourire) C’est aussi la dernière.

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Vous aviez un peu discuté ou vous avez juste jeté un coup d’oeil au-dessus de l’urinoir?

(Rires) En réalité, c’était assez bref, je me suis juste retrouvé à côté de lui et j’ai dit: « Oh, mais vous êtes Robert Smith. I love you! » À quoi il a répondu: « Thank you very much. » (Rires)

Quand vous l’avez contacté pour Gorillaz, a-t-il directement embrayé ou a-t-il été difficile à convaincre?

Je trouve toujours important de faire tout de suite écouter un bout de musique aux gens, pour qu’ils puissent au moins avoir une idée d’où je veux en venir. Dans son cas, je lui ai juste envoyé une ligne de piano jouée à un doigt, un beat de batterie assez simple, et un solo de trompette de ma nièce de neuf ans, que je voulais un peu occuper lorsque son école était fermée durant le confinement.

Apparemment, Robert Smith a été époustouflé.

Disons que ça a été le début d’une longue correspondance par e-mail (Sourire). Jusqu’à ce que je me prenne le mur en pierre de mon studio dans le Devon en pleine figure, un soir un peu bourré – don’t ask! Quand je me suis réveillé vers 5 h du matin, j’avais une grosse bosse et la tête qui vrille. Mais j’ai quand même pensé à checker mes e-mails. Pour y trouver quoi? Une première version assez brute de Strange Timez que m’avait envoyée Robert Smith. Je l’ai jouée, couché dans mon lit, complètement groggy mais en même temps, de manière bizarre, très lucide. J’avais l’impression d’avoir été renvoyé directement dans les années 80, simplement parce que la voix sonnait terriblement comme celle de Robert Smith (Rires). Vous savez, j’aime l’idée que Gorillaz peut être ce qu’il veut, avec qui il veut. Il n’y a pas de règles. Donc si je veux faire -c’était comment encore?- un « eighties slow jam pastiche that was dated about five words ago », je peux le faire. Par ailleurs, il était directement très clair pour moi que ce journaliste n’était même pas né quand Leee John a enchaîné les tubes avec Imagination: Just an Illusion! Body Talk! Music and Lights! Vous n’imaginez même pas le plaisir que j’ai eu d’enregistrer et de danser avec lui en studio. Fucking mindblowing. C’était comme si l’ado en moi, qui regardait religieusement toutes les semaines Top of the Pops, rentrait directement dans l’écran télé (Rires).

Le mois prochain, cela fera 20 ans que Gorillaz a sorti son premier EP. Est-ce que ça éveille quelque chose de spécial chez vous?

À part la pensée assez déprimante que je suis 20 ans plus vieux, non, pas vraiment. J’ai évidemment consacré une grande partie de ma vie à Gorillaz, mais ça n’a pas beaucoup de sens de ruminer ça, non?

Ça sonne presque comme la phrase de quelqu’un qui est resté trop longtemps marié…

(Rires) Le fait est que Gorillaz est devenu plus grand que nous. À l’époque, on était pratiquement les seuls à concevoir des vidéos d’animation et à inviter des tas d’autres artistes à chanter avec nous. Entre-temps, on est devenus des suiveurs. Quoique: la manière d’envisager nos collaborations est peut-être si bizarre que l’on se retrouve toujours en tête de peloton.

Ne pas pouvoir voyager, donner des concerts, inviter des gens dans votre studio: jusqu’à quel point la pandémie vous impacte?

Pas tant que ça. Tout le monde sait comment faire fonctionner Zoom ou n’importe quelle autre plateforme, tout le monde peut travailler à la maison. Évidemment que c’est toujours plus chouette de bosser avec les gens en se retrouvant dans le même espace. Mais si ce n’est pas possible, on peut facilement trouver des solutions pour avancer autrement. Puis, malgré tout ça, j’ai quand même pu monter cet opéra à Paris. Cette année, j’aurai pu accomplir ça et un disque: franchement, je peux juste me considérer comme le plus grand des veinards (Sourire). Cela étant dit, je vis dans un pays où le gouvernement a choisi de nier la situation critique dans laquelle se retrouvent les artistes. C’est dommage, on sous-estime le capital culturel. Ne me comprenez pas mal: nous, les artistes, sommes prêts à faire des sacrifices pour l’intérêt général. Mais j’ai l’impression que nous devons surtout nous attaquer à l’incompétence des politiques et aux agendas cachés.

Trad: L.H.

Gorillaz, Song Machine, Season 1: Strange Timez, distr. Parlophone/Warner. ***(*)

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