Les personnages de Gorillaz laissent tomber la distance sociale: sur Song Machine, ils n’ont jamais paru aussi concrets et réels.
On ne l’a pas vu venir: cette année, Gorillaz fête ses 20 ans! Le 27 novembre 2000, très précisément, l’entité virtuelle drivée par Damon Albarn et l’illustrateur Jamie Hewlett sortait un premier EP, Tomorrow Comes Today. Un titre on ne peut plus pertinent. Avec son cartoon band, Albarn proposait en effet non seulement un détournement caustique de la téléréalité, alors en plein boom, mais aussi une fenêtre sur le futur proche, annonçant par exemple le tout-virtuel du Net et des réseaux. Six albums plus tard, force est de constater que le groupe de 2-D, Murdoc Niccals, Russel Hobbs et Noodle a vu juste. Quand il ne s’est pas fait carrément rattraper, voire dépasser par la réalité. Rencontré il y a trois ans pour Humanz, Damon Albarn expliquait avoir déjà pensé à refiler les clés de Gorillaz à d’autres: « Il y aura des codes, à partir desquels chacun pourra imaginer la suite. On ne devra plus être là. Peut-être était-ce d’ailleurs déjà le cas? Ai-je vraiment réalisé ce disque? Ou s’agissait-il d’un robot? » À l’heure où les intelligences artificielles sont capables de pondre un édito ou composer une symphonie, Gorillaz sort donc un nouvel album intitulé logiquement… Song Machine. Comme d’habitude, l’exercice est l’occasion de convier une liste d’invités bluffante, de Robert Smith à Slowthai, de St. Vincent à Schoolboy Q, etc. Contrairement à un album comme Plastic Beach, le nouveau Song Machine se passe par contre d’un fil narratif clair. Le scénario se construit ici en direct, greffé sur l’actu -« Surgical glove world/bleach thirsty world« , glisse Albarn sur Strange Timez. C’était bien l’idée de départ: proposer (quasi) chaque mois un nouveau titre, histoire de coller au plus près d’une époque qui s’emballe. À la manière d’une playlist Spotify, le résultat est forcément inégal, le touchant (The Pink Phantom avec Elton John et 6LACK) côtoyant le plus attendu (The Valley of the Pagans).
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Malgré cela, on ne peut s’empêcher de trouver Song Machine terriblement attachant. Peut-être parce qu’il laisse tomber les grands plans. Peut-être surtout parce qu’il réalise que, à une époque où l’exigence de vérité compte finalement plus dans la fiction que dans la réalité, dans l’art que dans la politique, ses créatures virtuelles sont bien réelles. Il suffit de voir les clips de Momentary Bliss ou Désolé (Fatoumata Diawara et Albarn naviguant sur le lac de Côme), dans lesquels les personnages sont intégrés aux prises de vue réelles. Dans un disque qui se termine avec le rire de feu Tony Allen, ils sont plus que jamais les compagnons de mélancolie d’Albarn, dépassés comme lui par le chaos du moment, nostalgiques à leur manière -la vidéo d’ Aries, reprenant le filtre sépia new wave des années 80, appuyé par la basse-signature de l’ex-Joy Division/New Order Peter Hook. Dans un communiqué de presse, Russel Hobbs déclarait ainsi: « Peu importe ce qui doit arriver, on est équipés et prêts pour produire comme s’il n’y avait pas de lendemain. » Le futur n’est décidément plus ce qu’il était…
Gorillaz , « Song Machine Season 1: Strange Timez ». Distribué par Warner. ***(*)
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