DJ Lefto fête ses 30 ans derrière les platines!

Après 30 ans de carrière, Lefto n’est pas près de lâcher l’affaire. Avec le luxe d’avoir une audience toujours assez jeune. 
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

En 2025, Lefto fête ses 30 ans derrière les platines! Un anniversaire que le DJ bruxellois célébrera toute l’année. Avec, dès ce 1er février, une soirée exceptionnelle avec les 2ManyDJ’s. Rencontre avec un gourmet musical, toujours aussi avide de grooves dansants et aventureux.  

Bruxelles, parc Royal. Malgré le froid hivernal, ils sont plusieurs attablés dehors, assis sur les rondins de bois, devant la cabane/studio de Kiosk Radio. C’est ici que Lefto a donné rendez-vous. Quelques jours auparavant, le dimanche, il officiait encore de l’autre côté de la vitre de la webradio pour son mix hebdomadaire. A destination de toutes les personnes «around the shack and online, from Brussels to the world»Une «messe» dominicale pour clôturer le week-end avec la garantie d’un groove curieux à large spectre: du rap au jazz, en passant par la house, le funk, la musique latine, etc. Le genre de grand écart que Lefto peaufine depuis maintenant 30 ans! Cet anniversaire, le DJ compte bien le fêter avec une série de sets exceptionnels, tout au long de l’année. A commencer par celui qu’il partagera ce 1er février, avec Stephen et David Dewaele aka les 2ManyDJ’s, lors d’un soirée 100% vinyles au Wintercircus de Gand.

«J’ai appris sur le tas, en regardant les autres faire ou en étudiant les mouvements de platine sur les vidéos de MTV ou les cassettes VHS.»

Avant cela, Lefto profite d’un de ses rares jours off. Cet après-midi-là, on croise également Jim Becker et Mickey, les patrons de Kiosk Radio. «C’est pour parler avec Lefto? J’espère que vous avez quelques heures devant vous…» De toutes façons, l’intéressé a un programme. Après l’interview, il a prévu de se rendre au parc Astrid, pour le match de Coupe opposant Anderlecht et l’Antwerp. «J’y ai encore joué le mois dernier, à l’invitation du Fuse, pour un DJ set d’après match.» Mauve, Lefto l’est par la force des choses. C’est là, à l’ombre de Saint-Guidon, que Stéphane Lallemand de son vrai nom est né (en 1976). Il y a passé une bonne partie de sa jeunesse –avant de déménager à Molenbeek. Puis, plus tard, à Ternat, au-delà du Ring –«C’était l’époque où je commençais à faire un peu des conneries, mon père pensait que c’était mieux de s’éloigner…»

BX vibes

L’an dernier, Lefto sortait l’album Motherless Father, dans lequel il évoquait sa mère absente. Flamand bruxellois parfaitement bilingue, il est élevé par son père solo, employé pour une agence de voyage –il lui doit son goût de la bourlingue. Et fan de jazz. «Il me laissait piocher dans sa collection de vinyles. C’est aussi lui qui m’a acheté ma première platine Technics. C’était quand même un très beau geste de sa part. Cela me touche quand j’y repense. A la maison, on n’était pas forcément très à l’aise financièrement: ce n’était pas rare qu’on nous coupe l’électricité ou que l’on doive se chauffer au four. Pour m’offrir cette platine, il a dû s’endetter et faire un emprunt.»

Lefto a alors 18 ans. Et des velléités de DJ de plus en plus affirmées. «J’ai appris sur le tas, en regardant les autres faire ou en étudiant les mouvements de platine sur les vidéos de MTV ou les cassettes VHS.» Trente ans plus tard, Lefto est devenu l’un des DJ les plus respectés du royaume, et à l’international. D’ailleurs, puisqu’on est là pour célébrer un carrière, se souvient-il de la toute première fois? «Bien sûr. C’est parti de mes potes d’école. Des gars comme Akro (NDLR: membre de Starflam, aujourd’hui patron de Tarmac), avec qui je traînais après les cours. On allait chez lui écouter des vinyles de rap, il me faisait découvrir l’art du mixage. Ce sont ces mêmes amis qui organisaient la boum de fin d’année au collège –aux Etats-Unis, on appelle ça les proms. Je me rappelle que l’on passait même encore des slows.» (rires) 

«The Hop n’était plus seulement une émission de rap, mais un programme qui reflétait plus largement mes goûts.»

Ce jour-là, Lefto glisse ses premiers disques. Avec directement une séquence d’anthologie, presque trop belle pour être vraie, zwanze comprise. «Les flics ont fini par débarquer. Sand doute qu’on jouait trop fort… Quand ils sont rentrés dans la salle, j’ai joué Sound of da Police de KRS-One (NDLR: classique du rap US, repris par DJ Cut Killer dans une scène du film La Haine). Tout le monde est devenu fou. C’était encore l’époque où les policiers étaient normaux (sic) et se contentaient juste de te gueuler d’arrêter tout de suite, avec un gros accent bruxellois.» (rires)    

Planète rap

Lefto sera donc DJ. Catégorie hip-hop. «C’est comme ça que j’étais perçu au début.» Au milieu des années 1990, le rap vit justement un véritable âge d’or. Par contre, il ne passe que rarement la porte des clubs. Lefto joue donc surtout «en after de concerts de rap, ou dans des maisons de jeunes». Il officie également de temps en temps comme DJ pour Starflam –«Je me suis même retrouvé au micro avec L’Enfant Pavé.» A Gand, il finit par organiser ses propres soirées, au Democrazy et «au Chocolate, un club sur la Beestenmarkt». Il bosse également au sein du label B9000, qui produit essentiellement du belge, «mais qui m’a permis également de rentrer en contact avec un tas de personnes aux Etats-Unis», comme Madlib, J Dilla ou Flying Lotus».

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Un peu avant, Lefto a réussi à mettre un pied dans la porte de Music Mania, disquaire essentiel de Bruxelles (aujourd’hui remplacé par un restaurant coréen…). «La maison-mère est à Gand. Mais ils avaient aussi des magasins à Courtrai et Bruxelles. J’étais un très bon client. Au point qu’on me laissait passer de l’autre côté du comptoir. Jusqu’au jour où les gens ont commencé à me prendre pour un vendeur, et à me demander des conseils. Je les aiguillais: «Si vous aimez ceci, ça aussi c’est très bien», etc. Un jour, le boss m’a vu faire. Il cherchait justement à engager un mi-temps. Quand j’ai commencé il y avait un seul bac de vinyles de rap. J’ai mis la main dessus, pris en charge les commandes, notamment. Quand je suis parti, il y en avait une quinzaine!» (sourire)

«En tant que DJ, j’ai toujours cherché à partager la musique qui me touchait. Même si ce n’est pas toujours ce que les gens sont venus écouter à la base.»

A la source, Lefto se gave. Il ne va pas seulement agrandir sa culture musicale. Music Mania va également lui servir de marche-pied vers la radio. «Studio Brussel voulait mettre en place une émission sur le rap. Et comme ils venaient la plupart du temps se fournir chez moi, ils ont fini par me proposer de m’en occuper.» En 1999, Lefto lance The Hop, programmé tous les dimanches soir, sur la radio jeune de la VRT, encore toute-puissante. Il occupera la case jusqu’en 2020, avant de quitter Reyers pour atterrir sur Kiosk Radio. «Pendant les quatre ou cinq premières années, à Studio Brussel, j’étais vraiment axé quasi uniquement sur le rap local et international. Et puis, petit à petit, quand j’ai senti qu’il était temps, j’ai fait évoluer la setlist vers des styles qui ont une influence sur le rap, que ce soit le jazz, la soul, le funk, etc. Pour finir par inclure des musiques électroniques plus up tempo. Ce n’était plus seulement une émission de rap, mais un programme qui reflétait plus largement mes goûts.»

Lefto Travel tour

Qui a écouté une émission de Lefto ou assisté à l’un de ses sets en festival –invité régulier de Dour, Horst, Couleur Café– le sait bien: l’endroit de départ est rarement celui d’arrivée. La palette est large. Au programme par exemple de son dernier mix pour Kiosk radio: funk seventies japonais, ambient made in Belgium, jazz spiritual, rap indie, r’n’b déconstruit, house euphorisante, etc. Une manière d’envisager la musique sans œillères, qui est aussi celle de quelqu’un comme Gilles Peterson. Fondateur des labels Acid Jazz, Talkin’ Loud et Brownswood, le célèbre DJ anglais officie toujours sur BBC 6. «Gilles est comme un père pour moi. J’ai appris à le connaître via son show radio. Il m’a découvert avec le mien. Il est tombé dessus un jour qu’il venait jouer à Bruges. Il m’a contacté: «J’ai adoré ta transition entre John Coltrane et Lil Wayne. Est-ce que tu ne veux pas venir jouer à mon festival (NDLR: le Worldwide festival, au mois de juillet, à Sète, en France)?» Depuis, on ne s’est plus jamais perdus de vue. J’ai fait plein de mixes pour lui, il a publié mon dernier album, etc. On s’échange encore chaque mois un fichier ZIP avec plein de morceaux. Et puis, c’est quelqu’un qui connaît le jazz comme personne. Il est vraiment loin. Vous pouvez lui parler de tel live de, au hasard, Ornette Coleman, et il sera capable de vous citer le nom de chaque musicien.»

Ce qui confirme ce dont on se doutait depuis un moment: il faut bel et bien une mémoire d’éléphant pour être DJ. Sinon comment réussir à retrouver dans sa discothèque mentale «le» morceau adéquat, celui qui convient le mieux au moment, assurera la transition la plus fluide? «Je ne sais pas… Je crois qu’il faut surtout avoir confiance en ses goûts.» A l’instar de Peterson, Lefto est d’ailleurs souvent présenté comme un tastemaker. Une sorte de curateur ou d’influenceur dont le seul algorithme serait sa passion pour les grooves, du plus dansant au plus décalé. «En tant que DJ, j’ai toujours cherché à partager la musique qui me touchait. Même si ce n’est pas toujours ce que les gens sont venus écouter à la base.»

Micro ouvert

Quelques jours auparavant, on tombe sur une story Instagram de Simon LeSaint, autre DJ emblématique de la capitale. Une petite pique raillant gentiment les collègues qui prétendent «proposer un voyage, raconter une histoire» avec leur mix. Au lieu de simplement vouloir faire danser le public. «Ah ah ah, je connais bien Simon. On a souvent des avis divergents. Je me rappelle que, quand il venait au magasin, il me demandait qui pouvait bien acheter tous ces disques underground. Mais ça existe, il y a un public pour ça! De toutes façons, tu ne peux pas te contenter de passer que ce que « les gens » ont envie d’entendre. Sinon, on mangerait tous les jours des frites… Donc je joue aussi bien de la musique latine que de la house, du rap ou de la musique psychédélique turque… L’idée est qu’à la fin, sans s’en rendre compte, les gens dansent quand même. C’est ça, le vrai voyage.» Ce qui n’empêche pas de s’adapter: au public, au club, à l’horaire… «Cela reste important de voir pour qui vous jouez. Et si je suis programmé de 5 heures à 7 heures, je ne vais évidemment pas passer les mêmes disques que si je faisais le warm up à 23 heures. Mais dans tous les cas, il y a des histoire à raconter…»  

«Tu ne peux pas te contenter de passer que ce que “les gens” ont envie d’entendre. Sinon, on mangerait tous les jours des frites…»

De toutes façons, comme chacun le sait, la seule distinction qui existe parmi les DJ, c’est celle entre ceux qui prennent le micro pendant leur set et les autres. Lefto appartenant à la première catégorie. «Je ne sais pas si ce sont deux écoles différentes. Je constate juste que beaucoup de DJ ne sont pas toujours assez à l’aise dans leur pratique que pour parler en même temps. Moi, cela m’a pris des années pour l’être… Après, je ne fais pas non plus de grand discours, je ne suis pas en train de raconter des blagues. Mais pour moi, un DJ qui prend le micro, c’est quelqu’un qui est vraiment en connexion avec son public et qui n’a pas peur de se dévoiler.»

A 49 ans, Lefto n’est en tout cas pas près de lâcher l’affaire. Avec le luxe d’avoir une audience toujours assez jeune. Un public 20-35 ans, qu’il a su régulièrement renouveler. «Je me rends compte finalement que c’est avec les potes de mon âge que je me sens le plus décalé, parce qu’ils ont souvent un peu quitté ce monde-là, celui du club, de la fête.» Quelques jours plus tard, Lefto précise par mail: «Je me sens plus comme un nouveau DJ avec un bagage musical important pour la nouvelle génération qu’un ancien DJ avec de l’expérience.»

«Un DJ qui prend le micro, c’est quelqu’un qui est vraiment en connexion avec son public et qui n’a pas peur de se dévoiler.»

Pour ses 30 ans derrière les platines, Lefto s’est concocté un programme assez chargé. Avec des dates à l’étranger –de Los Angeles. à Tokyo, etc. Mais évidemment aussi à Bruxelles. En salle et à son QG de Kiosk Radio. «Je pense à un set solo de 30 heures, par exemple. Mais je me dis que c’est peut-être aussi l’occasion d’amener des invités. En même temps, si je suis quand même sur place…»

Pour ses 30 ans derrière les platines, Lefto s’est concocté un programme assez chargé. Avec des dates à l’étranger mais évidemment aussi à Bruxelles.

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