DJ, homme de radio, patron de label… Gilles Peterson a plusieurs casquettes. Mais une seule obsession: les musiques black. Rencontre avec un guide génial, avant son passage aux Ten Days Off.

Brownswood Road, à quelques encablures du stade d’Arsenal. Une petite maison typiquement londonienne. C’est ici que sont logés les bureaux du label de Gilles Peterson, Brownswood Recordings. « Avant cela, j’y ai habité pendant plusieurs années », précise le patron. Jusqu’au jour où la place a commencé à manquer, la famille s’agrandissant. La collection de disques surtout, envahissant un peu plus chaque jour les pièces de vie. Il fallait faire un choix: revendre une partie des vinyles ou quitter les lieux. « On a déménagé un peu plus loin… »

Aujourd’hui, l’endroit sert donc d' »entrepôt » pour les disques et de QG pour le label. Quand on y débarque, un meeting se déroule dans la cuisine. Au salon, une table de mixage et deux platines ont réussi à s’intercaler entre les étagères, remplies de vinyles. Traînant devant les platines, un double 33 tours corné des deux premiers albums des Jacksons pour CBS et un exemplaire d’ Impressions, l’un des chefs-d’£uvre de John Coltrane… Entre soul-funk et jazz. Le terrain d’exploration est large: c’est celui qu’a choisi de creuser Gilles Peterson. Que ce soit comme DJ, homme de radio – son programme Worldwide de la BBC est diffusé dans le monde entier (en Belgique, sur Studio Brussel) – ou à travers les différentes maisons de disque qu’il a montées depuis plus de 20 ans. Dernière et récente pièce du puzzle: le festival Worldwide, lancé à Sète, dans le sud de la France. Et puis, il y a les compilations que l’homme sort régulièrement. Du miel pour les oreilles des amateurs de black music, où opère un sens du groove imparable, jamais très éloigné d’un feeling jazz. Ecouter ses mix peut ainsi vous faire vous balader de la diva nu soul Erykah Badu à Herbie Hancock, de Claude Nougaro à Carlos Jobim, du rappeur Mos Def au père du jazz éthiopien Mulatu Astatke… « C’est comme un bon restaurant. Le genre d’endroit dont vous refilez l’adresse à vos potes, sans trop le crier sur tous les toitsà En fait, je me vois un peu par moments comme un ambassadeur de cette culture, un relais. Pourtant, au départ, je n’étais pas forcément la personne la mieux placée pour cela. » De fait.

Soul boy

Gilles Peterson naît en France (Caen, 1964). Une mère française, un père suisse, que le boulot d’ingénieur emmène à Londres, deux ans plus tard. « Quand j’ai eu 10 ans, on m’a inscrit à la John Fischer School. C’est là que je suis « devenu » anglais », explique-t-il dans un français toujours parfait. Ses passions de l’époque: le rugby et le football (il passe des tests pour Crystal Palace). « Mais il y avait ces trois gars dans la cour d’école qui écoutaient de la soul. L’un d’eux était un bon copain. Sa s£ur avait des disques de Cameo, Earth Wind And Fire… On a commencé à sortir au même moment. Au pub, il y avait deux, trois DJ qui mixaient cette musique funky… Cela faisait partie de toute une scène casual, celle des soul boys. J’avais trouvé mon uniforme… Alors, j’ai commencé à chercher des disques. Un week-end, mes parents sont partis à deux, pour leur anniversaire de mariage. Dans la cabane au fond du jardin, il y avait un train électrique. Quand ils sont rentrés, j’avais installé des platines et une table de mix à la place. C’était la fin de ma première vieà » (rires)

La deuxième peut commencer: comme DJ lors de fêtes, mariages, bar mitzvah, avant les premières soirées en club… Il y a les radios pirates aussi. A 17 ans, il fait partie de l’aventure Invicta, la première radio soul de Londres. « J’avais plusieurs atouts. D’abord, je pouvais emprunter la Mini de ma mère. Et puis j’étais petit, assez sportif, je courais vite. Du coup, c’était moi qui plaçais les antennes sur les toits des immeubles », rigole-t-il. Plus tard, il y a encore le passage par Kiss FM, jusqu’à l’arrivée sur les ondes de Radio One.  » En Angleterre, la plupart des animateurs des radios pirates jouaient également en club. L’un complétait l’autre. Encore aujourd’hui, j’ai besoin des deux. Jouer en boîte ou en festival me permet de garder le contact avec le public. D’un autre côté, posséder une vitrine en radio donne l’occasion aux gens de mieux vous connaître, et de pouvoir alors pousser les choses un peu plus loin en soirée. »

L’autre costard, celui de patron de label, Gilles Peterson l’a enfilé également très tôt. Par exemple, avec Hardback Records. En 86, son associé Andros Georgiou lui propose de sortir Jive Talkin’, une reprise des Bee Gees chantée par son cousin, un certainà George Michael, déjà leader de Wham! « Ce n’était pas trop mon truc. Donc je me suis retiré. Et le disque a évidemment fait un tube. Je n’ai pas été très malin sur ce coup-làà » (rires) Il a davantage de flair deux ans plus tard. En pleine vague acid house, Peterson lance comme une blague le concept d’acid jazz. Il fonde le label du même nom. Avant de se retirerà « Au bout d’un moment, certains en ont fait un truc très rétro, soul vintage. » La major Phonogram (aujourd’hui sous la bannière Universal) lui propose alors de monter l’étiquette Talkin’ Loud. S’y retrouvent des gens comme Galliano, Young Disciples, Roni Sizeà « Mais bosser avec une major a été un enfer. Tout ce qu’on a pu récolter comme succès l’a été en dépit d’eux. »

Aujourd’hui, Peterson assure que Brownswood Recordings tient plus du hobby. « Le but est de ne pas perdre de l’argent. » Et de perpétuer une certaine idée du groove. « Aujourd’hui, tout le monde downloade, se pose comme DJ, producteur, etc. Alors, au final, mon rôle est d’essayer d’être un peu au-dessus de la mêlée, de jouer le guide. Je devais avoir 20 ans quand j’ai eu la chance d’interviewer en l’espace de trois semaines des gens aussi incroyables que Wayne Shorter, Jalal des Last Poets, et Mark Murphy. Cette période m’a servi d’écolage. D’une certaine manière, j’ai compris que c’était ce que je voulais être: un passeur. Quelqu’un qui ouvre une première porte; après, c’est à vous d’aller voir plus loin ou pas. Parfois les puristes ne me trouvent pas assez pointu. Mais ça me va. Après tout, c’est comme ça que je suis aussi tombé dedans: en allant en soirée, quand, au milieu de tubes, le DJ a passé Herbie Hancockà »

Le 18/07, aux Ten Days Off. Dernière compilation en date pour le compte du label brésilien basé à Londres, Far Out: Brazilika: Explorations Deep Inside the Vault.

Rencontre Laurent Hoebrechts, à Londres

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