Disparités hommes-femmes dans le secteur musical belge: un premier rapport éloquent

Alice on the roof et Claire Laffut aux Francofolies de Spa cette année. © belga

Lancé en début d’année, le projet Scivias présente son plan d’action pour que les femmes passent au premier plan de la scène musicale en Fédération Wallonie-Bruxelles. Explications.

Jeudi dernier, l’Atelier 210 ouvrait ses portes au projet Scivias qui avait donné rendez-vous à la presse et à ses sympathisants pour leur présenter son premier rapport. Ambiance chaleureuse du hall, bières et discutions animées, précédaient une entrée en matière semblable lorsque dans la salle de spectacle commençait la discussion-débat: « Agir pour une meilleure représentation des femmes dans le secteur de la musique en Fédération Wallonie-Bruxelles« .

Scivias y va sûrement

Médiatrice du débat, Charline Cauchie est celle par qui tout est arrivé. En octobre 2018, elle publie pour la RTBF un article mettant en cause le manque de représentation des femmes dans la musique alternative en Fédération Wallonie-Bruxelles. Lors du dernier Concours Circuit (important tremplin dénicheur de talents organisé par l’association Court-Circuit), consacré aux groupes « alternatifs », parmi les 270 candidats de l’édition, à peine un quart étaient des femmes. Pourquoi? Plusieurs raisons sont évoquées dans les témoignages récoltés: les femmes auraient peur de subir des discriminations, elles ne se sentiraient pas légitimes, à cause d’un manque de représentation ou encore, certains groupes n’auraient pas suffisamment de financements pour se développer. Un trop-plein qui a fait réagir Elise Dutrieux, à l’origine du projet Scivias.

Elle qui étudie la place des femmes dans la musique électronique ne peut tolérer plus longtemps les discriminations (implicites et explicites) à l’égard des femmes dans le milieu – et dans la société en général, ça va de soi. Le 26 avril dernier, à l’occasion des Nuits du Botanique, le projet Scivias (qui doit son nom à Hildegarde de Bingen) est pour la première fois présenté au public par les 7 membres fondateurs: l’association Court-Circuit, le Conseil de la Musique, le Studio des variétés, le Service des musiques non-classiques, Wallonie-Bruxelles Musiques, le Botanique et le FACIR (Fédération des Auteurs Compositeurs Interprètes Réunis), collaborateur. Ensemble, ils ont pensé une charte dont le but est d’affirmer l’existence de discriminations envers les femmes dans le secteur de la musique, de donner de la visibilité à cette problématique de manière active et de rapporter les actions de luttes entreprises. Le protocole d’action est libre, « pour que chaque structure puisse élaborer des plans d’actions propres à son activité et ses besoins. »

Alors que la récolte d’informations devait débuter au mois de septembre, les acteurs ont rapidement constaté qu’il était déjà possible de produire un état des lieux significatif de la situation. En effet, plusieurs des organisations disposaient de données genrées permettant de rendre compte à leurs différentes positions de profondes disparités. Mais, récoltés sur base de statistiques que les différents membres ont eux-mêmes formulées, les chiffres disparates ne sont pas vraiment comparables et servent juste à « donner une idée« . C’est donc après 5 mois de travail et rejoint par seize autres structures – signataires ou adhérentes selon le fait qu’elles soient financées par le secteur public ou non -, que le SCIVIAS sortait de son chapeau, le 26 septembre, son rapport #0.

La musique au masculin

Collectées entre 2018 et 2019, les données disponibles rendent compte sans surprise d’une profonde différence entre le nombre d’artistes hommes et femmes programmés lors d’évènements organisés par les structures adhérentes. À part le Brass (Centre Culturel de Forest), qui entre l’année dernière et cette année a augmenté le nombre de femmes qui sont montées sur sa scène, les artistes féminines sont peu présentes. Membre fondateur, le Botanique recense pour les deux dernières éditions (2018-2019) des Nuits environ 30% de femmes programmées pour 70% d’hommes, mais s’en explique en donnant comme exemple que dans les 200 derniers mails de propositions reçus, 31% sont des artistes femmes et 69% des hommes. Leur programmation est donc cohérente avec ce qui leur est soumis.

Si une profusion de chiffres récoltés rend compte d’un manque de femmes sur scène, c’est peut-être parce qu’elles ne sont pas non plus présentes dans les coulisses – où alors pas équitablement. En effet, si le festival Francofaune pouvait se vanter de faire la parité concernant ses bénévoles lors de sa dernière édition, c’est au détriment de bien d’autres structures dont les hautes sphères (rémunérées) sont incontestablement masculines. Par exemple, l’association Court-Circuit compte 4 employés, deux femmes et deux hommes, mais ce sont les messieurs qui occupent les postes décisionnels, tandis que leurs collègues s’occupent de la communication. Juliette Demanet, responsable presse chez Luik Music fait part dans le rapport du triste constat que dans les festivals, la plupart des postes de billetterie et d’accueil sont tenus par des femmes tandis que les hommes sont bookers ou programmateurs – exception faite de Gilke Vanuytsel, programmatrice au Beursschouwburg présente lors du débat à l’Atelier 210. Mais c’est aussi le soir de cette rencontre que Elise Dutrieux lançait un appel à l’assemblée afin qu’une agence de booking rejoigne la troupe, car il n’y en avait pas parmi les membres.

Quotas ou pas?

Mais alors comment remédier à ce manque de femmes? Récemment entrée en fonction, Bénédicte Linard (Ecolo), la nouvelle ministre de la Culture (des Droits des femmes, des Médias, de la Santé et de l’Enfance) déclarait, lors de sa première sortie publique aux prix Maeterlinck, avoir comme priorité de valoriser la place des femmes dans la culture et la création, et de faire attention à ce qu’elles parviennent à des postes de direction. Raccord, l’Atelier 210, membre signataire, dit s’engager à ce que son Conseil d’Administration, actuellement presque paritaire (5 femmes pour 7 hommes), n’accueille plus de nouveaux membres avant qu’il ne le soit réellement. Au regard de compétences équivalentes, la mise en place de quotas au sein des institutions semble être le moyen le plus efficace pour que la présence de femmes devienne une habitude. Cependant, lorsque s’ajoute la subjective dimension artistique, il est plus difficile de quantifier. A ce propos, Caroline Lambert, chargée de communication chez Court-Circuit, expliquait à Charline Cauchie en octobre dernier qu’« on s’est déjà demandé s’il fallait imposer des quotas. Mais on n’a pas envie de prendre des femmes pour des raisons de quotas, mais pour leur talent. » De même, pour Olivier Vanhalst du Botanique, « une logique de quotas n’est souhaitable ni pour l’organisateur de concerts ni pour les artistes mais une attention à la représentation féminine dans la programmation est une nécessité. Les données objectives telles que la représentation ne dépendent pas que de l’intention, mais également des projets qui sont proposés d’une saison à l’autre et donc des partenaires. » Ainsi, le centre culturel souhaite-t-il mettre l’accent sur la communication et s’engage à donner le maximum de visibilité aux artistes qu’il choisit de programmer ainsi qu’à celles en résidence. Plus regardant sur la forme que le fond, le FACIR promettait quant à lui de relayer absolument tous les futurs projets portés par des femmes.

Il faut qu’elles se voient!

Dans la conclusion du rapport Scivias, Isabelle Bonmariage, rédactrice pour le webzine Shoot Me Again, remarquait qu’arriver à la parité dans le nombre de personnes interviewées ne serait pas être fidèle à la réalité du milieu de la musique, majoritairement, et regrettablement, masculin. Néanmoins, elle estime qu’il est impératif de donner de la visibilité aux femmes, et cela de manière égale et correcte, c’est-à-dire sans entretenir de clichés sexistes. Le changement passerait donc en premier par l’image: celle que le monde de la musique donne aux femmes, qui par ricochet changera les regards extérieurs. Beaucoup de structures participantes aux projet ont effectivement choisi d’entreprendre des changements dans leur manière de communiquer. A commencer par l’utilisation de l’écriture inclusive. This Side Up, agence de promotion d’évènements culturels et artistiques, propose carrément un service de community management à des organisations pour que les femmes aient une meilleure visibilité. Luik Music et Court-Circuit envisagent tous deux la création de magazines, dans lesquels les femmes seront, compte tenu de leurs convictions, justement mises en avant.

Si mieux représenter les femmes peut conduire à ce qu’elles soient plus présentes dans le secteur musical, il faut également chercher à comprendre d’où vient ce sous-effectif. Attentif, le FACIR souhaite mettre en place un questionnaire pour sonder les obstacles auxquels font face les femmes dans le secteur de la musique, et conformément aux engagements de la charte, rendre les résultats visibles par la suite. Prenant le problème plus à la racine, les Jeunesses Musicales vont quant à elles entreprendre une campagne de sensibilisation au sexisme auprès de leur jeune public.

Le rapport complet du Scivias sera bientôt disponible sur leur site.

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