« Comment la musique change le monde » : un podcast pour faire la révoluson

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

En six épisodes, le podcast Comment la musique change de monde part à la rencontre d’acteurs de terrain, mêlant engagements musical et politique, fêtes et revendications sociales, son et mobilisation. Explications avec sa réalisatrice, Camille Loiseau

Allez, avant de plonger dans 2025, un dernier petit coup d’oeil dans le rétro : que retiendra-t-on de l’année musicale écoulée ? Le clash entre les deux rappeurs superstars, Drake/Kendrick Lamar  ? L’été Brat très dance et déluré de Charli XCX ? La tournée à plusieurs milliards de dollars de Taylor Swift ? Et, tiens, dans la foulée, l’échec des artistes américains à mobiliser contre la réélection de Donald Trump ? Ce qui pose la question : la musique a-t-elle encore un impact sur la société ? Vaste débat… On voit en effet bien ce qu’elle a pu provoquer comme bouleversements dans les années 60, par exemple. Mais aujourd’hui ? La musique peut-elle être encore autre chose qu’une matière à algorithme ? Et générer des discussions plus politiques, voire des engagements ? Pour la journaliste Camille Loiseau, la réponse reste positive. Elle le démontre avec le podcast Comment la musique change le monde.

Produit pour Jam, il est décliné en six volets. Impliquée dans le Brussels podcast festival, animatrice de feu l’émission Podcast + sur BX1 (dont la dernière a été diffusée le 20 décembre), Camille Loiseau se penche ainsi sur les questions d’environnement, de sexisme, d’antiracisme…, à travers la musique. Avec, à chaque fois, des témoignages très concrets de musiciens/activistes engagés sur le terrain. A l’instar, par exemple, du collectif féministe antiraciste Fatsabbats, qui organisera sa toute dernière soirée, ce 31 décembre, aux Halles de Schaerbeek…

Comment est né le podcast?

J’ai toujours été intéressée par les liens entre musique et société, musique et politique, musique et sociologie, etc. J’aime l’idée que la musique soit un prétexte pour aborder des thématiques larges. Par ailleurs, à la RTBF, Jam avait déjà produit un premier podcast musical intitulé En Backstage, présenté par Zoé Devaux (aka Zouzibabe). Je l’avais écouté et j’avais trouvé le contenu vachement intéressant. Mais j’avais aussi l’impression qu’on pouvait aller un peu plus loin dans la forme proposée. Par exemple, en multipliant les sources sonores, en poussant l’écriture d’une voix off qui assume une plus grande subjectivité, et puis surtout en intégrant beaucoup de « field recordings », du reportage, etc.

Personnellement, ce sont ces éléments qui me plaisent toujours beaucoup dans le format podcast. C’est ce que j’ai voulu proposer avec ce projet. Après ce sont des négociations et des discussions: sur le budget, le nombre d’épisodes, etc. Au final, on s’est arrêté sur six thématiques. Mais j’en avais encore au minimum trois autres dans les cartons – la santé mentale, le handicap, la lutte anticarcérale. Cela reste dans un coin de ma tête. Pour une saison 2, qui sait ? (sourire)

« Comment la musique change le monde ? », c’est très large et casse-gueule comme programme. Par quel bout le prendre ?

C’est vrai que le titre peut même sonner un peu pompeux. D’ailleurs, comme je le raconte à la fin du podcast, je n’étais pas du tout fan au départ. C’était vraiment un titre de travail, un pitch pour « vendre » un peu le projet. C’est une amie à moi qui l’a trouvé. Et je me souviens lui avoir même dit : « tu te la pètes un peu quand même ! » (rires).

Donc, oui, c’est un programme « ambitieux ». Au départ, je pensais que la plus grande difficulté allait être de faire les liens entre les épisodes: entre écologie et antiracisme, collectifs et écologie, etc. Mais tout s’enchaîne très bien, parce que toutes ces problématiques sociales sont finalement très liées. Je pense qu’il y avait aussi l’envie d’arriver avec des propositions, de ne pas faire un truc trop déprimant. Ce n’est évidemment pas un podcast exhaustif. Ce n’était d’ailleurs pas le but non plus. L’idée était davantage d’ouvrir des portes, de donner des clés pour que ceux qui ont envie puissent continuer à creuser ensuite par eux-mêmes.

Pourquoi avoir choisi le podcast pour traiter ces questions? Qu’est-ce que le format amène ?

Au-delà de la thématique, c’est un format qui me plaît en tant que tel, et que j’ai envie de creuser. J’ai de plus en plus de facilités à travailler avec le son, là où je me torture parfois à l’écrit pour trouver le mot juste. J’adore aussi faire entendre les voix. Et là aussi, passer par l’écrit peut être frustrant, parce que cela rajoute une étape. Et puis quitte à parler de musique, autant la faire entendre et ressentir, à travers les extraits de reportage sur le terrain : en soirée, lors de concert, etc. Cela rend le propos plus direct et concret, à partir d’une question qui peut paraître parfois très abstraite.

J’aime bien l’idée que, quand on est par exemple avec Roza (NdR : chanteuse/musicienne partie en tournée en vélo, pour diminuer son empreinte carbone) et qu’elle fouille dans sa carriole, on entend vraiment le sac d’outils, on sent que c’est le bordel (sourire). Ou quand j’arrive à la soirée Fatsabbats et qu’on me prévient que c’est un événement qui donne la priorité aux POC (Ndr : people of color), et que si je rentre, je risque donc de prendre la place de quelqu’un, on entend la gêne dans ma voix. C’est quelque chose que j’aurais eu beaucoup de plus de mal à transmettre à l’écrit.

C’est l’épisode qui t’a le plus marquée ?

Oui, absolument. Parce que je crois que c’est celui qui m’a fait le plus sortir de ma zone de confort. J’ai lu beaucoup de choses sur l’antiracisme, et je me considère comme une alliée de la lutte, etc. Mais je ne peux pas du tout parler en tant que personne directement concernée. Je ne vis pas ces discriminations, ces violences.. Donc il faut que j’apprenne à me taire, et adopter une certaine humilité et prendre du recul.

Au début, quand je me lance sur le sujet, je pense dérouler l’épisode comme je l’ai fait pour les autres. Mais je tombe sur Ophélie de Fatsabbats. Je la connaissais un peu, mais je ne l’avais jamais interviewée. Quand on réalise l’entretien, on parle pendant 2h, 2h30. Je suis pendue à ses lèvres tout du long, parce que cette femme est brillante et son discours limpide. Je suis très émue aussi. Donc je voulais lui donner de la place dans le podcast. Parce que si elle provoque ce genre de déclic chez moi, cela risque d’interpeller aussi d’autres personnes.

Quel genre de réactions as-tu reçues ?

Les gens se sont beaucoup attachés aux « personnages ». Ce qui est cool, parce que l’idée était vraiment d’avoir des intervenants à la fois brillants, experts dans leur domaine, mais qui soient aussi sans filtre, spontanés, attachants, etc. A nouveau, ils étaient un peu les guides, pas forcément pour faire à chaque fois tout le tour de la question, mais pour l’éclairer d’une certaine manière…

J’ai notamment fait écouter le podcast à mon père, qui est un peu mon public crash-test (sourire). Je l’aime énormément, mais c’est un homme qui a son âge, bouleversé dans ses privilèges, etc. On a beaucoup de discussions parfois houleuses sur le féminisme, l’antiracisme… Mais il a donc quand même écouté le podcast. Evidemment, il n’était pas d’accord sur toute une série de choses. Mais par contre, il a vraiment adoré le dernier épisode, celui qui traite des violences sexistes et sexuelles. Notamment à cause de la personnalité de Sarah (NdR : Lovisetto, du collectif Osmose, qui cherche à créer des lieux festifs plus inclusifs)  qui est très rentre-dedans. Il a été touché par son engagement très brut et sa pratique de terrain.

Au fond, que t’a appris ce podcast ?

Disons que je n’avais pas anticipé le fait que les épisodes soient autant tournés vers les solutions. Je voulais que cette dimension soit présente. Mais je ne m’attendais pas forcément à trouver chez mes intervenants autant de joie et d’énergie dans leur envie de faire bouger les choses. Alors que beaucoup se trouvent dans des situations économique souvent précaires ou compliquées. J’ai l’impression que le fait d’avoir pu parler de leur activité dans ce podcast en a remotivé pas mal. Cela leur a donné un coup de boost. Rien que pour ça, cela valait le coup. Et apparemment, chez ceux qui écoutent, cela provoque aussi un peu cet effet-là, très galvanisant. Donc si j’ai retiré quelque chose de ce travail, cela doit être ça, quelque chose qui tient de la joie militante.

Pour revenir sur l’intitulé du podcast, la musique a pu longtemps donner l’impression, sinon de changer le monde, en tout cas d’accompagner au plus près ses bouleversements. Aujourd’hui, on peut avoir au contraire le sentiment qu’elle est devenue une commodité comme une autre, un simple produit. Et que si elle contribue à changer les choses, ce n’est plus qu’à la marge.

Sans doute. Après, dans mon travail, c’est toujours ce qui m’a intéressé le plus : documenter les marges. Même si les thèmatiques que je traite sont très générales : ce sont des discussions que je vais avoir souvent avec mes proches. En tout cas, dans mon petit « microcosme », ce ne sont pas des thèmes si « bizarres » que ça…

Mais c’est peut-être là que « le bât blesse », dans le sens où je pose une question très globale. Le titre n’aurait pas dû être « comment la musique change le monde », mais comment elle peut le faire évoluer à un niveau plus individuel ou à une plus petite échelle collective. C’est peut-être là que les choses se jouent aujourd’hui. On peut aussi imaginer, même si ce n’est pas vraiment la tendance du moment, que ces pratiques des milieux associatifs alternatifs finissent par irriguer des politiques publiques. Peut-être pas à chaque fois en reprenant la totalité de leur programme, mais en bougeant quand même quelques lignes…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content