Céline Dion à Anvers: une séance de deuil public entre extase et ennui

Céline Dion à Anvers © Freya Goossens Photography

Malgré la pleine lune, on n’a pas vu se déchaîner la bête de scène canadienne pour son premier concert à Anvers consacré en grande partie à son époux regretté et à la chanson francophone.

Adele n’est pas la seule à remplir deux fois le Sportpaleis. Céline Dion fait de même cette semaine. Bien entendu, ses spectacles au Ceasars Palace à Las Vegas assurés jusqu’en 2019, ainsi que son absence de la scène européenne depuis 2013, n’y sont pas pour rien. À Paris, la chanteuse donnera pas moins de neuf concerts aux AccorHotels Arena à Bercy – une belle prestation pour quelqu’un dont le dernier album studio Loved Me Back To Life date de 2013 et donc le dernier single Encore un soir – tiré de son album francophone qui sortira en août – ne caracole en tête des hit-parades qu’en France.

Sur les marchés américain et britannique, ses derniers tubes sont même encore plus anciens: son duo avec R. Kelly I’m Your Angel (1998), That’s The Way It Is (1999) et A New Day Has Come (2002). Le gigantesque tube My Heart Will Go On de la bande originale du film Titanic (1997) a fait de Céline Dion l’artiste canadienne la plus populaire de tous les temps, un succès qu’elle n’a plus égalé depuis.

Il était inévitable que la soirée soit consacrée en grande partie à son mari René Angélil décédé en janvier. Sa part dans son succès est difficile à sous-estimer: en 1981, Angélil a pris une hypothèque sur sa maison pour financer le premier album (La Voix du bon Dieu) de la chanteuse âgée de 13 ans à l’époque. C’est lui aussi qui a corrigé son image en vue d’une percée internationale, qui l’a envoyé au cours d’anglais et chez le dentiste et qui l’a entourée d’auteurs et de producteurs renommés.

Sobriété

Aussi le retour de Céline Dion en Europe est-il particulièrement émouvant pour ses fans. Quand elle ouvre le concert a capella dans le noir par un « Ne t’en fais pas, j’ai confiance. Tout ira bien tu le sais. Puisqu’à la fin, où tu vas, je vais », extrait de Trois heures vingt, un titre de 1984 qui a aussi retenti aux funérailles d’Angélil, le public lui offre une standing ovation. Ensuite, les spots dévoilent une Céline Dion visiblement émue qui entonne Encore un soir, un titre écrit par Jean-Jacques Goldman.

« Les enfants et moi, nous allons bien », déclare la chanteuse. « Des millions de personnes vivent la même chose », ajoute-t-elle avant d’annoncer que sa tenue sobre – un tailleur-pantalon noir et une longue blouse en dentelle – sera la seule de la soirée. « Je veux profiter chaque seconde de votre présence. »

La Québécoise, accompagnée par un orchestre de 29 musiciens, n’a d’ailleurs pas besoin de beaucoup de tralala: sa voix est toujours impressionnante et elle atteint les plus hautes notes sans aucune peine. En matière de présence scénique aussi, Dion supplante beaucoup de concurrents et se passe d’ascenseurs hydrauliques et autres astuces techniques. Si les grands écrans et les effets de lumière sont efficaces dans une salle comme le Sportpaleis, les images de campagnes désolées et d’éléments graphiques en toile de fond sont aussi intéressantes qu’un papier peint.

Nombrilisme

Par contre, la setlist est plus problématique. La chanteuse a effectivement choisi des titres moins connus, et en abondance après Pour que tu m’aimes encore. Un numéro rythmé comme Terre et la symbolique tragique du titre Ordinaire emprunté au monument québécois Robert Charlebois (« Il faut que je pense à ma carrière, je suis une chanteuse populaire ») captent l’attention, mais avec Le Vol d’Ange et Apprends-moi, l’ennui s’empare de la salle.

Contrairement aux spectateurs de Las Vegas, nous sommes privés des chansons entraînantes comme Where Does My Heart Beat Now (1990), le premier hit américain de Dion, Think Twice (1994), son deuxième gros succès dans les charts britanniques ou A New Day Has Come (2002), le titre rythmé qui l’a relancée après les trois années sabbatiques prises pour la naissance de son fils aîné. Pas de trace non plus de la reprise à succès de Cyndi Lauper I Drove All Night (2003) ni de ses collaborations en anglais avec les artistes Sia et Ne-Yo.

On apprécie que la chanteuse fasse des choix audacieux et que la setlist corresponde aux événements de sa vie privée. Chanter en français lui permet de mettre plus de sentiments, de nuance et d’authenticité dans son interprétation, ce qui n’est pas sans importance pour une artiste souvent traitée de professionnelle impersonnelle ou de cliché ambulant. Au Sportpaleis, elle laisse une impression sincère et désarmante, même si on s’est posé la question si un hommage aussi long et laborieux ne sert pas son travail de deuil plutôt que son public.

Outre la setlist composée aux trois quarts d’oeuvres francophones, Dion s’adresse au public uniquement dans sa langue maternelle. Oui, on sait que l’artiste aime le français – en 1990 elle a refusé un Félix, un prix québécois, dans la catégorie « artiste anglophone de l’année » – et qu’elle prend son rôle d’ambassadrice culturelle au sérieux. Mais quand on s’adresse à un public international après onze albums anglophones et que le schéma limité de la tournée oblige les fans à voyager, ne pas prendre la peine de s’adresser aux spectateurs qui ne maîtrisent pas la langue de Molière tend au nombrilisme. Sur les deux concerts, les fans non francophones de la star venus des Pays-Bas, d’Allemagne et d’autres pays ont acheté près de 9.500 des 34.000 places. La part de fans francophones dans le public est d’environ 40%.

Vers la fin de la soirée, la Canadienne interprète Love Can Move Mountains et River Deep Mountain High, avant de se lâcher pour The Show Must Go On, un titre parfaitement d’actualité vu les circonstances.

À l’occasion des bis, on a pu constater que Dion chantait toujours My Heart Will Go On impeccablement, comme si le temps n’avait pas d’emprise sur elle. Mais c’est la dernière chanson, S’il suffisait d’aimer, qui marque le moment le plus touchant des rappels. Malgré les applaudissements de 17.000 spectateurs, la chanteuse a l’air si seule et fragile qu’elle fait douter de ses paroles rassurantes en début de soirée. Immédiatement après, elle disparaît derrière une grande photo sur laquelle elle embrasse Angélil. « La musique guérit toutes les blessures », aime dire Céline Dion. La gloire et le succès probablement pas.

Intro: Trois Heures Vingt / Encore Un Soir / Je Crois Toi / Qui Peut Vivre Sans Amour / Immensité / Et Je T’aime Encore / Pour Que Tu M’aimes Encore / Terre / Ordinaire / Un Garçon Pas Comme Les Autres (Ziggy) / Medley: Because You Loved Me – It’s All Coming Back To Me Now – The Power of Love / Le Vol D’un Ange / L’Amour Existe Encore / Medley: Apprends-moi – Tous Les Secrets – Ne Bouge Pas – Valse Adieu / Tous Les Blues Sont Écrits Pour Toi / Dans Un Autre Monde / Naziland (Ce Soir On Danse) / Purple Rain / Medley: Love Can Move Mountains – River Deep Mountain High / The Show Must Go On / My Heart Will Go On / S’Il Suffisait D’aimer / Outro: Vole (a cappella)

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