Bonnie Prince Billy évoque son rapport à la country… et l’élection de Trump

Bonnie Prince Billy, que nous rencontrons à l’occasion de la sortie de son nouvel album, The Purple Bird, évoque son rapport au berceau de la country et l'arrivée de Trump.
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

En ce mardi de décembre, Will Oldham, alias Bonnie Prince Billy, est aux antipodes de l’image qu’en brossent souvent les médias –bougon, taiseux… Le chanteur compositeur américain termine de se sustenter à une table du Art’Otel, un centre d’art, de design et de gastronomie qui réinvente l’hôtellerie à Amsterdam. L’établissement compte plus de 120 sculptures de l’Atelier Van Lieshout et accueille des expositions et des événements art beats. «Avant, je pouvais compter sur le bouche à oreille, le disque trouvait son public. Mais maintenant que 75.000 nouvelles chansons arrivent tous les vendredis sur les plateformes et que les gens se font dicter par une entité non vivante la prochaine chanson qu’ils vont écouter, je fais tout ce que je peux et ne trouvais pas nécessaire auparavant pour les amener à ma musique.»

Né le 15 janvier 1970 à Louisville, l’icône folk du Kentucky, la moustache de fer des musiques américaines, d’habitude rare en interview, est passée défendre The Purple Bird. Affable, il raconte en long, en large et sans travers la fabrication du disque, sa rencontre avec Johnny Cash et son rapport au berceau de la country.

Qu’est-ce qui vous a amené à Nashville pour mettre en boîte The Purple Bird?

Bonnie Prince Billy: Après Keeping Secrets Will Destroy You, mon album précédent, j’ai commencé à accumuler des bouts de chansons. Ça faisait un bail que je n’avais plus vu mon vieil ami David Ferguson. Et quand j’ai décidé d’aller lui rendre visite chez lui, à Nashville, il m’a proposé une session de songwriting comme on en mène là-bas. Je n’avais jamais participé à ce genre d’exercice. Et j’ai eu raison d’accepter. Ça a été si magnifique et si différent de tous les disques dans lesquels j’ai été impliqué. C’est la plus surprenante et organique manière que j’ai connue de réaliser un album. Totalement dénuée de conflits et de controverses, de stress, de drame et de tension.

En quoi consistent ces sessions d’écriture?

Bonnie Prince Billy: Nashville est le centre névralgique de tout un pan de la musique américaine. On y trouve historiquement beaucoup de musiciens et de studios d’enregistrement, mais aussi des sociétés et des maisons d’édition. Des auteurs-compositeurs sont arrivés dans cette ville il y a bien longtemps et on leur a dit: «Ok, on va vous donner un peu d’argent. On possédera vos chansons. Vous allez travailler pour nous durant les trois prochaines années. Et tout ce que vous écrirez nous appartiendra.» Ces songwriters iraient du lundi au vendredi dans les bureaux de l’éditeur, s’enfermeraient dans une pièce et parfois donneraient rendez-vous à d’autres auteurs. Ils s’assiéraient autour d’une table et écriraient des chansons, espérant les vendre aux stars qui se bousculaient en ville.

«Au fur et à mesure, des idées sont jetées. Les chansons naissent. Un refrain ou un couplet se forme. »

Comment se déroulent ces sessions?

Bonnie Prince Billy: C’est une expérience extraordinaire, où on se rencontre en dehors du temps. Nous, on a tout fait à trois au minimum. Chacun a sa guitare, un carnet, un stylo et de quoi enregistrer. Les 15 ou 20 premières minutes, on ne fait rien. C’est juste des conneries. «Comment va ta mère?» «T’as vu au journal ce que ce trou du cul a fait l’autre jour?» Et puis, quelqu’un se met à jouer quelque chose ou à balancer quelques paroles. Au fur et à mesure, des idées sont jetées. Les chansons naissent. Un refrain ou un couplet se forme. La session a commencé à 10 heures. Elle est censée se terminer à 13 heures. Et à midi et demie, on a une chanson que tout le monde enregistre. Ça se reproduit encore et encore. Parce que ces gens ont l’habitude. Je ne pense pas qu’on trouve la même chose à Los Angeles ou à New York. Il y a eu le Brill Building, mais je ne sais pas si ça existe encore et si ça fonctionnait avec la même intégration entre travail et vie sociale.

Que représente Nashville pour vous?

Bonnie Prince Billy: La première fois que je m’y suis rendu, j’étais encore enfant. Je faisais du cinéma. Et le premier rôle que j’ai décroché, c’était dans un film intitulé What Comes Around (1985), conçu et réalisé par Jerry Reed, que vous ne connaissez sans doute pas mais qui est un incroyable guitariste. Ce singer-songwriter très charismatique, qui a écrit des chansons géniales, a aussi joué dans des films avec son grand ami Burt Reynolds. Et il a un jour décidé d’en faire un. Mauvais, soit dit en passant. Mais c’est ce qui m’a amené à Nashville pour la première fois. Ma mère m’y a conduit. Ça devait être en 1982 ou 1983. Je connaissais la country. Et j’ai ressenti le besoin d’être dans une ville dont l’identité était à ce point liée à la musique. On la surnomme d’ailleurs toujours Music City USA. Juste en face de l’hôtel où on dormait, il y avait le magasin Hank Williams. Et un peu plus loin, on pouvait acheter la nourriture pour chiens de George Jones (NDLR: une star de la country qui allait acheter sa picole sur une tondeuse quand sa femme planquait les clés de voiture). Les musiciens faisaient la culture de la ville.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Ensuite, vous avez commencé à y faire de la musique. 

Bonnie Prince Billy: David Berman (Silver Jews) s’est installé à Nashville et a commencé à y enregistrer des disques au début des années 2000. J’avais du mal avec un de mes albums qui a fini par devenir Master and Everyone. Je l’ai appelé en lui expliquant la situation et je l’ai rejoint. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler avec Mark Nevers. Mark avait débuté dans le registre country mais il s’était mis à bosser sur des disques bizarres avec David, Lambchop ou encore Vic Chesnutt… Il connaissait le système et les gens qui gravitaient autour. Quand j’ai cherché une choriste, il m’a dit: «Mon pote est à la tête du syndicat des chanteurs. Je vais l’appeler. Quel genre de chanteuse tu veux?» J’ai répondu: «Une voix entre Sandy Denny et Dolly Parton.» Et une heure après, on l’avait. T’as tellement de musiciens incroyables à portée de main. C’est vraiment magique.

David Ferguson, ex-ingénieur du son de Johnny Cash, a joué à votre mariage et tenu compagnie à votre fille pendant l’enterrement de votre mère… D’où vient cette complicité?

Bonnie Prince Billy: Je pense qu’il n’est pas compliqué pour quiconque s’intéresse un tant soit peu à la musique populaire d’avoir un avis sur Johnny Cash. Une idée de qui et comment il est. De ce que vous pouvez ressentir quand vous allez être amené à le rencontrer. Il avait enregistré une démo de ma chanson I See a Darkness (NDLR: aussi depuis reprise par Rosalia) pour son disque de reprises Solitary Man. Rick Rubin, qui produisait l’album, m’avait invité au piano mais je ne savais pas en jouer. Johnny Cash et June Carter Cash ont été importants pour moi en tant qu’auditeur. Je lui ai dit: «Je ne sais pas ce que vous aller faire de la chanson. Si même vous allez l’utiliser. Mais si je pouvais juste passer les rencontrer, ce serait génial.» Rick a accepté. Quand il m’a présenté, il a expliqué que j’avais écrit cette chanson et Johnny a répondu: «Travaillons sur ce morceau maintenant alors.» J’ai eu l’impression d’être sous psychotropes, d’halluciner. Je ne savais plus quoi penser ou ressentir. Nous sommes descendus dans le studio. J’essayais de rester concentré. D’être présent. Mais c’était compliqué. La seule autre personne dans la pièce, qui a été comme un phare pour moi, parce qu’il me rappelait des gens dont j’étais proche, c’était Ferg. Ça m’a beaucoup aidé à fonctionner et m’a permis de vivre une des expériences musicales les plus significatives de ma vie. Etre installé juste à côté de Johnny Cash et lui expliquer comment chanter ma chanson.

«Etre installé juste à côté de Johnny Cash et lui expliquer comment chanter ma chanson. Une des expériences musicales les plus significatives de ma vie.»

Country de son, votre album est moderne dans les thèmes qu’il aborde. Sur la chanson Downstream notamment…

Bonnie Prince Billy: C’est marrant parce qu’on l’a écrite avec Ferg et John Anderson. Anderson est un chanteur classique de country et un songwriter qui a atteint le pic de sa popularité et de son succès financier dans les années 1980 avec quelques hits et une voix très particulière. Il est né en Floride mais c’est un vieux mec blanc du Sud. Quand on a écrit la chanson, il nous a cuisiné un repas avec tout le poisson qu’il avait pêché la veille. C’était son idée d’écrire Downstream. Je sais qu’il est plutôt de droite, mais il a compris qu’il se passait quelque chose avec le climat et qu’il fallait s’emparer du sujet.  

Quid de Guns Are for Cowards?

Bonnie Prince Billy: Cette chanson, je l’avais déjà et j’étais curieux de la présenter à Ferg, qui est un détenteur d’arme à feu. Je me demandais ce qu’il en penserait. Il ne m’a pas vraiment dit. Il a juste proposé qu’on en fasse une polka. Il avait envie de participer et sa manière de le faire sans que cela lui semble trop critique a été d’attirer l’attention sur un arrangement plutôt fun. Ces morceaux insufflent un esprit au disque et on finit pas se dire qu’on l’entend dans d’autres titres. A la fin, ça devient un album qui «sonne politique» même s’il ne l’est pas.

Depuis que vous avez écrit et enregistré ces chansons, il y a eu l’élection de Donald Trump…

Bonnie Prince Billy: Ce n’est qu’un événement parmi d’autres. La vérité était déjà la même au moment où on planchait sur cet album. Tout le monde était conscient de ce qui était en train de se produire. On savait. En tout cas, je n’ai pas été surpris. L’élection de Trump est le résultat d’un processus. Ce n’est pas tant la volonté des gens qui est représentée par le résultat de ces élections qu’une manipulation active et constante à travers les médias digitaux. Les citoyens ne votent pas la même chose aux présidentielles que lors des élections régionales. Aux présidentielles, ils se disent ce mec a l’air d’être le bon parce que mon ordinateur me le dit. Mais sur du plus local, ils donnent leurs voix à des candidats qui les aident, qui amènent un changement perceptible et concret dans leur quotidien.

Que disent ces élections de votre pays?

Bonnie Prince Billy: Je ne sais pas si elles signifient quelque chose. Je suis peut-être fou. Mais je pense que ça en dit davantage du pouvoir, du système et de la manipulation que de ce que les gens pensent et ressentent.

Le 10 mai au Depot (Louvain), le 11 mai à l’Arenberg (Anvers) et le 15 mai au Depart (Courtrai).

FOLK / COUNTRY

The Purple Birdde Bonnie Prince Billy

Distribué par Drag City/V2.

3,5/5

Derrière le titre du nouveau Bonnie Prince Billy, qui rappelle autant le Kid de Minneapolis que la nature (le violet est l’une des couleurs de plumage les plus rares), se cache une peinture réalisée par le producteur du disque David Ferguson quand il avait 7 ans et qui orne aujourd’hui sa chambre d’amis à Nashville. Feedle, piano, mandoline… C’est dans le temple de la country que Will Oldham s’en est allé enregistrer son (plus ou moins) vingtième album solo. Un vrai disque, collectif dans sa conception, de singer songwriter qui questionne l’amour (One of These Days I’m Gonna Spend the Whole Night with You), le port d’arme (Guns Are for Cowards) et le dérèglement climatique (Downstream). Ça sent bon l’Amérique, les westerns, Gram Parsons et le générique de L’Homme qui tombe à pic

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content