La country, selon Grandaddy: « La musique a toujours été thérapeutique »

Jason Lytle, Grandaddy de la country. © Dustin Aksland
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Sept ans après la sortie de Last Placeet la mort de son bassiste Kevin Garcia, Jason Lytle réveille Grandaddy et chausse ses bottes de cow-boy.

Ça sonne toujours comme du Grandaddy. Mais la pedal steel et la lenteur du disque le rendent assez différent pour que je me sente heureux.” Jason Lytle est chez lui sur sa terrasse. Souriant. Pour Blu Wav, le nouvel album de Grand Papa, le premier en sept ans, il s’est aventuré du côté de la country.J’ai toujours été jaloux des groupes qui arrivaient à tenir une certaine ambiance sur tout un disque. Parfois, tu te lèves, tu es dans un certain état d’esprit et tu ne veux pas écouter un truc qui part dans tous les sens, qui est partout sur la carte. Donc, tu te passes un de ces albums qui va s’accorder à ton humeur. Je n’avais jamais sorti ce genre de disque avec Grandaddy.

L’idée lui est venue en entendant Tennessee Waltz de Patti Page à la radio alors qu’il errait dans le Colorado. “Quand les gens entendent le terme bluegrass, ils pensent à un truc roots et entraînant. Mais il y a aussi des chansons plus douces dans cette catégorie. Comme j’avais du mal à les trouver, je me suis dit que j’allais m’en occuper. Et plutôt que de sonner trop traditionnel, j’ai glissé un tas d’éléments avec lesquels j’étais à l’aise. Des synthés, des touches électroniques.” Ils se marient en toute simplicité et en douceur avec la pedal steel et quelques mandolines. Puis aussi quelques riffs typiques. “Si j’étais resté sur l’idée initiale, l’album aurait été particulièrement lent et chiant. Comme un exercice de méditation. Il a fini par devenir un mélange de cette idée de départ et de là où j’aime aller quand je fais de la musique. Le résultat est très différent, je dois dire, de ce que j’imaginais. La pedal steel ne figure sur aucun de mes albums précédents. J’ai embauché Max Hart (The War On Drugs, Melissa Etheridge). Je peux jouer de pas mal d’instruments, mais là, c’est comme si je rentrais dans un atelier informatique et que tu me demandais de tout réparer.

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Originaire de Modesto, une ville agricole de Californie, Jason Lytle a de la country dans les oreilles depuis qu’il est tout petit. Aujourd’hui, la ville a l’air de lutter avec son identité, comme il dit. Mais c’est la musique que les gens écoutaient la plupart du temps dans leur ferme. Celle que passait l’un de ses grands-pères dans le camion quand il l’emmenait à la pêche et en randonnée.

Ça n’a pas eu un grand impact sur moi étant enfant. Mais plus tard, quand j’ai commencé à graviter autour de la musique qui me semblait la plus sincère, neuf fois sur dix, c’était là que j’allais. Si j’aime autant la country, c’est parce qu’elle est authentique. Tu ne dois pas deviner si les songwriters te disent la vérité ou pas. Tu l’entends. Tu comprends vraiment qu’ils racontent leur histoire. De manière très simple en plus. J’ai l’impression d’écouter l’âme de ces gens me parler. Peu de musiques te donnent ce sentiment. Je pense que tu dois vivre un certain type d’existence pour avoir la capacité de délivrer ces messages de manière aussi honnête. Ce côté terre à terre me réconforte.

Planche de salut

Symbole vivant d’un certain rock indé, Lytle sourit en parlant des gens qui disent adorer la country tout en ne jurant que par Johnny Cash, Hank Williams et Willie Nelson. Lui affectionne les vies étranges, les parcours cabossés. “George Jones était vraiment dérangé mais il faisait de la musique magnifique qui exprimait ses tourments intérieurs. Je pense aussi à Merle Haggard, qui venait de Californie et passait son temps à entrer et sortir de prison. La musique était pour eux l’unique planche de salut. Le seul moyen d’échapper à une vie médiocre et merdique.” Pour lui aussi, le skateur empêché, la musique a joué ce rôle. “Elle a remplacé les séances de psy (rires). Je ne suis pas quelqu’un de très affectueux, de très expressif, de très bavard dans la vie de tous les jours. Même avec les gens dont je suis le plus proche. Je pense que l’endroit où je m’exprime le mieux, c’est ma musique. Pas spécialement dans mes textes. Dans ma musique. Elle a toujours été thérapeutique.

© National

Le Grandaddy en chef a du mal avec la country d’aujourd’hui. Il la trouve vilaine et excessivement produite. Trop paillettes, trop glamour. Quand elle n’est pas trop prévisible, noyée dans les clichés. “Le camion, les bières dans les champs… C’est affreux. Il y a encore des jeunes qui en écoutent. Mais c’est lié à des régions rurales, conservatrices, républicaines. Ce n’est pas juste l’esthétique et le son qui me dérangent, c’est le côté artificiel et sans substance. Ça me donne envie de vomir parfois. Il y a une nouvelle génération d’artistes country qui est arrivée. Aussi ulcérée que moi par ce constat et par ce qui domine sur les stations de radio dédiées au genre. Je pense à Jason Isbell, à Sturgill Simpson.”

Lytle est un amateur de randonnées et de VTT dans les grands espaces. On repense à l’histoire de cet alpiniste qui s’est barré sans prévenir, est resté coincé après une chute et a dû se couper un bras pour rester en vie. Danny Boyle l’a racontée dans 127 heures. “Ma copine déteste quand je pars à l’aventure comme ça. Maintenant je laisse un mot, avec l’heure à laquelle je suis parti, la direction que j’ai prise. J’ai connu quelques mésaventures. Si tu arrives en haut d’une montagne et que les nuages débarquent, ton téléphone ne marche pas, le GPS déconne. Tu ne sais plus par où aller. Le soleil se couche. Tu te retrouves dans le noir. C’est à ce moment-là que les choses commencent à être vraiment intéressantes…

Il y a quelques années, il annonçait que Grandaddy pourrait mettre la clé sous le paillasson. Il sort désormais un nouveau disque et a déjà le prochain. “J’ai retenu la leçon. Je ne m’avancerai plus sur ce genre de choses. Je me disais que ça amènerait un petit peu de dramaturgie à la promotion. Mais ça ne sert à rien en fait. J’ai juste tellement de chansons. Le problème, c’est que j’ai des soucis d’oreilles. Des soucis aux yeux aussi. C’est pour ça que je porte des lunettes de soleil. Différentes parties de mon corps sont en train de me lâcher. Je n’ai plus la même résistance qu’avant. J’essaie de créer une situation dans laquelle je peux me concentrer sur la musique. J’ai de sales acouphènes. Ça rend dingue à un moment…

GranDaddy, Blu Wav, distribué par Dangerbird Records.

***1/2

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