Nos journalistes musique ont fait le point sur 2025. Voici leurs tops 10 des meilleurs albums sortis cette année, avec leurs critiques en lien.
Le Top 10 de Laurent Hoebrechts
1. Rosalía – Lux
Avec Lux, Rosalía propose un album de 18 titres, découpé en quatre « mouvements ». Le tout porté par de grands arrangements classiques, gorgés de cordes, cuivres, et autres hauts-bois, appuyés par des chœurs opératiques. A l’instar du single Berghain, improbable tube de l’automne. Certes, on est loin de Motomami, son best-seller de 2022, mix ultra-moderniste de pop latino, reggaeton, jazz, et électroniques. L’audace de Lux épate pourtant tout autant. S’exprimant dans une douzaine de langues différentes, l’Espagnole est bouleversante, la voix, sublime, louvoyant entre le profane et le sacré. Dans un monde de plus en plus obscur, Rosalía cherche la lumière (Lux). Et la trouve. Comment s’en passer?
2. Bad Bunny – DebÍ Tirar Más Fotos
Que faire quand, comme Bad Bunny, on a atteint les sommets, devenu l’une des pop stars les plus populaires de la planète (l’artiste le plus streamé sur Spotify, entre 2020 et 2022)? Peut-être simplement revenir aux sources. Avec DeBÍ TiRAR MáS FOToS, le Portoricain a réussi à pondre un nouveau blockbuster mondial, tout en se recentrant sur ses terres natales, dénonçant le bashing de son île par les troupes trumpistes, l’incurie politique locale ou la gentrification galopante. Le tout en mélangeant brillamment pop latino, reggaeton, bachata, salsa, etc.
3. Theodora – Mega BBL
Si sa mixtape, sortie fin 2024, avait déjà allumé la mèche (portée par le tube Kongolese sous BBL), sa réédition a permis de confirmer l’irrésistible ascension de Theodora. A tout juste 22 ans, la jeune Franco-Congolaise balance toutes les vieilles habitudes par la fenêtre. Mutante pop, elle dessine le futur d’une musique qui peut passer d’un rythme amapiano (Fashion Designa) aux guitares indie rock (Mon casque), d’une ballade poignante (Ils me rient tous au nez) à une cavalcade afro (Masoko Na Mabele), d’un duo avec Juliette Armanet à une collaboration avec Jul. Theodora superstar!
4. Dijon – Baby
Dijon n’a pas seulement réussi la gageure d’apparaître à la fois sur le dernier album de Justin Bieber (Swag) ET sur celui de Bon Iver (Sable Fable). Il a également sorti un second album perso épatant. Quatre ans après l’inaugural Absolutely, Baby est un disque de R&B immersif au cœur vibrant. Expérimentale à sa manière – mais toujours accessible -, la musique de Dijon vous monte moins au nez (…) qu’elle ne vous remue le palpitant. Il y a forcément du Prince dans le funk chahuté de Another Baby ! Difficile aussi de ne pas entendre l’influence du Blonde de Frank Ocean dans loyal & marie, superbe ballade lo-fi, où la voix granuleuse de l’Américain évolue toujours sur le fil.
5. Femtogo, Ptite Sœur, Neophron – Pretty Dollcorpse
Attention choc! Réalisé à trois –FEMTOGO et Ptite Sœur derrière le micro, et le Bruxellois neophron aux productions–, Pretty Dollcorpse est le genre de disque qui vous prend à la gorge, pour mieux vous retourner dans tous les sens et vous laisser complètement sonné. Un album de rap aux ambiances oppressantes, mais d’une intensité assez folle. Récit white trash, prolo et drogué, Pretty Dollcorpse crache son mal-être dans les toilettes du collège ou sur des parkings déserts de province, abordant tour à tour les questions des violences sexuelles, de pédophilie, ou d’homophobie. Les oreilles (averties) ne s’en remettront pas.
6. Blood Orange – Essex Honey
Musicien touche-à-tout, réclamé un peu partout (Solange, Britney Spears, FKA Twigs, Kylie Minogue, etc.), le Britannique, basé aux Etats-Unis, Devonté Hynes a réactivé cette année son alias Blood Orange. Et ce, de la plus belle des manières. Disque à combustion lente, Essex Honey propose une série de morceaux en apesanteur, entre pop alternative, post-R&B et new wave pastel. Pas de pression au tube ici ou de gros hameçons à algorithmes. Mais juste des chansons qui louvoient entre chien et loup, à la fois limpides et sinueuses, d’une beauté trouble.
7. Iliona – What If I Break with U?
Cinq après le premier buzz de Moins joli, et deux EPs salués par la critique, la Bruxelloise a enfin sorti son premier album en 2025. C’est peu dire que les attentes étaient élevées. Vraie réussite, What If I Break With U est bourré de morceaux intimistes et volontiers cinématographiques, ranimant les archétypes d’une certaine chanson pour mieux les plonger dans un bain de modernité. Joliment cabossées (le single Rater une rupture pour les nuls), mais toujours accessibles, les mélodies ne cachent pas leur part d’ombre. Au contraire, elles en jouent. Brillant.
8. Oklou – Choke Enough
Prix Joséphine 2025, choke enough est le premier véritable album de Marylou Mayniel, aka Oklou. Cela fait cependant un moment que le nom de la Française résonne à l’avant-garde de la pop (et de l’hyperpop). Nourrie au Web, la musique d’Oklou reflète moins l’hystérie de l’ère numérique que sa façon de flouter les limites entre réel et virtuel. En ouverture, par exemple, Endless avance dans un brouillard ambient. Plus loin, sur Ict, la voix sous autotune plane dans l’espace, tandis qu’une trompette résonne en fond. A la fois intemporel et complètement ancré dans son époque.
9. Nourished By Time – The Passionate Ones
Sous le nom de Nourished by Time, le chanteur-musicien-producteur américain Marcus Brown concocte une musique qui parvient à sonner à la fois de manière familière et étrange, chaleureuse et insulaire. On avait déjà beaucoup aimé son premier essai, Erotic Probiotic 2, convoquant aussi bien Prince que Oneohtrix Point Never. Avec The Passionnate Ones, il pousse encore plus loins sa formule. Celle d’un sorte de post-r’n’b qui disséquerait autant le chaos amoureux que les ravages du capitalisme sauvage. Un morceau comme When the War Is Over, par exemple, est une magnifique ballade soul à la patine eighties, tandis que le funk trépidant de Baby Baby grince sur l’état du monde.
10. Annahstasiah – Tether
Il est des voix qui captent instantanément l’attention. Sans forcément hurler, ni se lancer dans de grandes acrobaties. Mais en imposant un grain, une personnalité. Malgré cela, Annahstasia Enuke a dû attendre ses 30 ans pour sortir son premier véritable album. Après un premier contrat foireux et une expérience dans le mannequinat, l’artiste pluridisciplinaire – photo, danse, sculpture, etc -, se révèle avec Tether, collection de chansons folk à la chaleur soul, portées par une voix grave fascinante, rappelant le magnétisme d’une Nina Simone ou d’une Tracy Chapman.
Le Top 10 de Julien Broquet
1. Horsegirl – Phonetics On and On
A sa sortie le jour de la Saint-Valentin, déjà charmé, on qualifiait Phonetics On and On de merveilleux petit disque. Produit par Cate Le Bon (Deerhunter, Kurt Vile, St. Vincent), largement écrit à New York et enregistré dans le Loft de Wilco lors d’un hiver glacial chez elles à Chicago, le deuxième album d’Horsegirl est devenu un disque de chevet. Les petites sœurs américaines d’Electrelane ont assurément de beaux jours devant elles.
2. The New Eves – The New Eve Is Rising
C’est encore à un gang de filles, anglaises celles-là mais profondément influencées par les New-Yorkais du Velvet Underground, que l’on doit le meilleur premier album de l’année. Chez les New Eves, guitare, basse et batterie côtoient violon, violoncelle et flûte… John Cale et Moe Tucker rencontrent Patti Smith, les Violent Femmes, les Raincoats et les Slits pour créer un univers intense, habité et hanté. Le quartet de Brighton est aussi convaincant sur scène que sur disque.
3. Micah P. Hinson – The Tomorrow Man
Né à Memphis au sein d’une famille chrétienne fondamentaliste en 1981, Micah P. Hinson est à 44 ans un miraculé de la vie. C’est que le chanteur et guitariste amérindien a survécu aux addictions, aux dépressions et à un terrible accident de van pour pouvoir tutoyer Tom Waits, Leonard Cohen et Kurt Wagner (Lambchop). Enregistré sous la direction du producteur Asso Stefana, croisé aux côtés de Marc Ribot, de Joey Burns (Calexico), de PJ Harvey, de Mike Patton (Mondo Cane) et du siffleur Alessandro Alessandroni, The Tomorrow Man a été mis en boîte à Milan avec des membres d’un grand orchestre. Splendide.
4. Damon Locks – List of Demands
Artiste visuel, activiste, éducateur (du genre à donner cours dans des prisons), musicien et producteur de Chicago, Damon Locks est l’un des membres fondateurs de The Eternals et le leader du Black Monument Ensemble. Sur List of Demands, véritable tour de force qui mélange jazz, samples et spoken word, Locks fait se rencontrer des bouts de speech historiques afro-américains et des croyances, buts et demandes d’artistes incarcérés. Un peu comme si DJ Shadow faisait équipe avec Gil Scott-Heron.
5. Forever Pavot – Melchior Vol. 1
Avec Melchior, Emile Sornin, le petit prince du psychédélisme à la française, s’est inventé un robot et un alter ego. Ce disque de pop spatiale et de science-fiction vintage emmène Francis Lai et Jean-Claude Vannier sur les terres de Kraftwerk, de la French touch (Air en tête), de Grandaddy, des Flaming Lips voire de Beak> le temps d’une odyssée rétrofuturiste polyglotte. Ou quand Forever Pavot prend un virage électro bricolo…
6. Lael Neale – Altogether Stranger
Composé et enregistré avec son compagnon Guy Blakeslee (Entrance) dans le calme des petits matins californiens, le dernier album de Lael Neale a été inspiré par John Lennon, Joni Mitchell, Dionne Warwick, les Spacemen 3, le gospel primitif américain et l’irrésistible pianiste éthiopienne Emahoy Tségué-Maryam Guèbrou. Altogether Stranger marie la solitude rurale et le chaos urbain sur neuf titres minimalistes et magnétiques emmenés par sa voix hantée et son omnichord.
7. Six and Seven – Here Comes the Man with the Gun
Tour à tour journaliste musical aux Inrockuptibles, invité régulier de Bernard Lenoir sur France Inter, boss culture puis rédacteur en chef de Télérama et grand reporter, Emmanuel Tellier (Chelsea, Melville, 49 Swimming Pools) a fait équipe avec Antoine Chaperon (The Apartments) pour enfanter ce remarquable disque de pop anglo-saxonne qui rend hommage à Arthur Lee, évoque The Auteurs et rappelle au bon souvenir de Syd Matters qui, pour la petite histoire, s’apprête à reprendre la route.
8. Anika – Abyss
Ancienne journaliste anglaise aujourd’hui installée à Berlin, Annika Henderson a enregistré au mythique studio Hansa (Low, Heroes, The Idiot…) avec son pote Martin Thulin d’Exploded View un disque plus dur, urgent et nineties que ses illustres prédécesseurs. Abyss lorgne du côté de Hole, PJ Harvey, Garbage, Savages ou encore Courtney Barnett. Non contente de participer à la B.O. de Father Mother Sister Brother, le nouveau Jim Jarmusch, Anika a signé l’album parfait pour les enfants de la génération MTV.
9. Ditz – Never Exhale
Groupe préféré de Joe Talbot («le meilleur de Brighton sinon du monde,» affirme le chanteur d’Idles) et digne héritier du Gilla Band, Ditz n’est pas qu’une hallucinante bête de scène. Les Anglais ont aussi enregistré avec Never Exhale un album claustrophobe et à bout de souffle qui colle plutôt bien à l’air sinistre du temps. Never Exhale est le disque d’un monde qui suffoque, d’une société qui s’époumone et d’une démocratie qui s’étrangle. L’un des albums vénères les plus intéressants de l’année.
10. Backxwash – Only Dust Remains
Rappeuse trans canadienne d’origine zambienne autant nourrie par la musique de Black Sabbath que par les sonorités africaines et les films d’horreur, Ashanti Mutinta explore la santé mentale et la foi, les tragédies personnelles et les injustices mondiales sur des productions complexes qui mélangent horrorcore, musiques industrielles, hip-hop expérimental, samples en tous genres (Nina Simone, Anna von Hausswolff) et références à la musique indienne. Un disque de combat et de résilience.