Nicolas Bedos (Mascarade) : « J’avais besoin de traduire en récit mon rapport à notre époque »

“En tournant Mascarade, j’ai découvert une Côte d’Azur que j’aime encore plus et une Côte d’Azur que j’aime encore moins”, se plaît à souligner Nicolas Bedos. © LES FILMS DU KIOSQUE/PATHÉ FILMS/SOFINERGIE CAPAC/TF1 FILMS PRODUCTIONS/FILS PROD/HUGAR PROD/UMEDIA
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Dans Mascarade, sa quatrième réalisation, Nicolas Bedos orchestre un tourbillon retors d’arnaques et de faux-semblants sous le soleil brûlant de la côte d’Azur.

En ouverture, Bedos rappelle la formule de Somerset Maugham: “La Côte d’Azur est un endroit ensoleillé pour des gens sombres”. Manière, déjà, de dire que ce qui l’intéresse vraiment ne tient pas tant au déploiement glamour de richesses dorées qu’aux petits arrangements sordides dissimulés sous le vernis lissé des apparences. Et le réalisateur de Monsieur et Madame Adelman, de La Belle Époque et de OSS 117: Alerte rouge en Afrique noire s’emploie assez énergiquement, en effet, dans Mascarade, son nouveau long métrage, à faire tomber les masques de la bienséance. Parti sur des bases assez virevoltantes, le film raconte comment un jeune gigolo (Pierre Niney) épris d’une séduisante arnaqueuse (Marine Vacth) se met à échafauder avec elle un plan machiavélique sous le soleil brûlant de la Côte d’Azur. Leurs victimes? Un agent immobilier naïf (François Cluzet) et une vieille gloire égocentrée du cinéma (Isabelle Adjani)…

Baignant dans une atmosphère délétère de petites jalousies et de grandes trahisons, cette ambitieuse fresque sentimentale où tout le monde, ou presque, est appelé à se brûler les ailes, aurait dû à l’origine être un roman. Rencontré lors du dernier festival de Cannes, où le film était présenté hors compétition, Nicolas Bedos se souvient: “Comme je l’avais fait pour La Belle Époque, j’ai d’abord commencé par vouloir écrire un roman, oui, et puis finalement ça s’est transformé en scénario. Le point de départ de cette histoire tient avant tout à un sentiment d’inquiétude. Disons que j’avais besoin de traduire en récit mon rapport à notre époque, que je trouve à la fois passionnante et extrêmement douloureuse. De là naissent et s’agrègent des personnages dans une quête d’équilibre entre quelque chose qui va pouvoir me divertir, ainsi j’espère que le public, et des considérations plus intimes, très personnelles et parfois même un peu graves sur le monde.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Et le cadre luxuriant de la Côte d’Azur de rapidement s’imposer comme toile de fond idéale pour le grand tourbillon de passions exacerbées que Bedos entend orchestrer. “Je connais bien la Côte d’Azur. J’y ai très tôt accompagné mon père qui y jouait comme humoriste. Et puis j’ai fait mes débuts en tant que dramaturge au théâtre national de Nice. J’avais beaucoup de préjugés, et pourtant j’ai fini par tomber amoureux de cette région que j’avais déjà effleurée à travers mes lectures: Fitzgerald, Sagan, Somerset Maugham et d’autres. Cet endroit m’a très vite semblé défiguré, et en même temps il en restait parfois les vestiges de ce qui m’avait passionné. La Côte d’Azur est pour moi un lieu qui hypertrophie le réel. C’est un peu comme la vie en trop. Ce rapport à l’argent, au soleil, à la fête… Les manigances, la corruption… Ça m’a paru être un terrain de jeu très intéressant. Mascarade, c’est le rêve de l’amour, mais l’amour est saccagé. Ce film est un cauchemar. Et la Côte d’Azur est la métaphore parfaite de ce qui arrive aux personnages.

Nicolas Bedos
Nicolas Bedos © Magali Bragard

Adjani et son double

S’en donnant à cœur joie au rayon aphorismes et bons mots, le film, hélas, s’essouffle considérablement sur la distance. Mais il n’en épingle pas moins avec une appréciable férocité l’indécence et la vulgarité des ultra-riches, les turpitudes et les lâchetés des parvenus, dans un récit en poupées russes où manipulations et escroqueries se succèdent en cascade. “Après avoir beaucoup parlé dans mes films de choses non-substantielles, du couple, de l’amour, j’avais envie de me coltiner avec un aspect plus matériel de l’existence, en me basant sur des réalités que j’ai pu observer de près à une époque où j’ai énormément traîné la nuit. Le personnage de Margot, joué par Marine Vacth, m’a par exemple été inspiré par une escort que j’ai croisée à l’époque où j’étais pianiste du bar d’un célèbre hôtel parisien. D’une manière générale, la nuit m’a beaucoup mis en rapport avec une faune pour laquelle l’argent est l’alpha et l’oméga des rencontres. La plupart des personnages du film sont des combinaisons de gens que j’ai connus ou dont on m’a beaucoup parlé. Je les présente souvent d’abord comme des caricatures parce que j’ai envie qu’on s’amuse, et puis très rapidement je vais aller chercher ce qui se cache derrière cette image-là. Prenez Martha, jouée par Isabelle Adjani: c’est un personnage insupportable et grotesque. Mais derrière cette façade, il y a quelqu’un d’humain et de vulnérable… Mon travail, c’est ça aussi: dire la complexité de nos vies.

En diva moquée et trahie, Adjani donne en tout cas singulièrement de sa personne dans Mascarade, jusque dans cette scène retorse où le personnage joué par Pierre Niney lui fait l’amour en regardant des images d’elle jeune sur un écran pour réveiller son désir en berne… “Isabelle avait très clairement manifesté son envie de travailler avec moi après avoir vu mes films précédents. Mais quand elle a lu le scénario, j’ai dû faire preuve du peu de psychologie qu’il me reste pour lui faire comprendre que je n’allais pas me jouer d’elle. Ça ne s’est pas très bien passé au départ parce qu’elle a eu tendance à mettre de la distance entre elle et le personnage. C’est-à-dire à le jouer de façon très comique. Je me suis alors attelé à la convaincre que mettre de la sincérité ne ferait pas du rôle un miroir d’elle-même. Et très rapidement, c’est devenu passionnant. Mais je lui suis très reconnaissant du cadeau qu’elle me fait en m’offrant, au-delà de son talent, toute l’ambivalence que le public va avoir dans le regard en découvrant Martha. Parce qu’évidemment, on ne va pas pouvoir s’empêcher de mélanger les choses. Sur le plateau, d’ailleurs, il nous arrivait aussi d’être dans cette sorte de délicieuse confusion. Alors même qu’Isabelle n’a rien à voir avec Martha.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content