L’esprit de Jason

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

LE PLUS INTERNATIONAL DES AUTEURS NORVÉGIENS EN PÈLERINAGE? UN VOYAGE INTÉRIEUR ET EXTÉRIEUR QU’IL RACONTE À SA MANIÈRE -DRÔLE ET DÉPOUILLÉE.

Un Norvégien vers Compostelle

DE JASON, ÉDITIONS DELCOURT, 192 PAGES.

8

« C’était ça, ou acheter une Porsche. » Jason, de son vrai nom John Arne Saeteroy, le dit lui-même, un peu gêné, aux premiers pèlerins qu’il croise dans son premier gîte, le premier jour: « Je viens d’avoir 50 ans, et je veux marquer le coup.« Le coup sera donc une longue marche de 32 jours et de plusieurs centaines de kilomètres sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, ce célèbre pèlerinage qui sillonne la France et l’Espagne et qui attire chaque année des milliers de marcheurs, pas tous catholiques, avec des milliers de raisons différentes d’emprunter le chemin. Celles de Jason sont confuses: s’offrir une longue introspection et beaucoup de solitude; en profiter pour paradoxalement essayer de s’ouvrir aux autres; converser avec d’autres marcheurs venus des cinq continents; laisser son esprit vagabonder; prendre des notes. Et éventuellement en tirer, peut-être, un livre. Trente-deux jours de marche. Et au final, 192 pages en noir et blanc, profondes parfois et toujours teintées d’un humour à froid typiquement scandinave, qui fait ici merveille.

Buen camino!

Le dernier album en français de Jason datait déjà d’il y a deux ans (Le Perroquet de Frida Kahlo, chez Carabas), mais on retrouve dans ce Norvégien vers Compostelle tout ce qui fait son identité, son talent et qui lui a déjà valu un record de trois Eisner Awards aux États-Unis, de 2007 à 2009, avec respectivement Hemingway, J’ai tué Adolf Hitler et Le Dernier Mousquetaire. Si Jason semble à l’aise dans tous les styles, de la fiction loufoque à l’auto-bio plus introspective, on y décèle chaque fois son goût très nordique pour une narration simple, répétitive (ici, quatre cases par page) et souvent silencieuse, un graphisme extrêmement dépouillé, nourri de ligne claire et de comics indépendants, et des personnages croqués sous forme d’animaux anthropomorphisés qui sont sa marque de fabrique, tout autant que son redoutable humour à froid, surgissant souvent dans les instants de gravité. Ce cocktail est ici parfaitement dosé pour nous faire vivre sa longue marche, rythmée par les ampoules aux pieds, les dortoirs remplis de ronfleurs, les menus du pèlerin avalés seul ou en groupe, et la lessive quotidienne de ses chaussettes. Une longue marche, épuisante et répétitive, mais qui voit le narrateur se détendre et s’évader un peu plus à chaque étape et à chaque rencontre, s’amusant à sa manière, glacée, de lui-même plutôt que des autres. Tout en gardant un solide bon sens au moment de conclure pèlerinage et dialogue intérieur: « Personne ne change à 180 degrés. Sur le chemin, tu as parlé à une nonne, tu as engagé des conversations. Ça fait au moins un degré, non? Un degré, c’est déjà un changement. »

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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