Les Brigittines : le festival de danse qui se veut « prescripteur et partageur »
Cette année, le Festival international des Brigittines met l’imaginaire à l’honneur. «Une nécessité», comme l’affirme Patrick Bonté, son directeur artistique.
Rendez-vous estival incontournable de la danse en Belgique francophone, le festival des Brigittines, qui se déroule dans les chapelles jumelles du même nom en lisière des Marolles, est aussi plus que ça. Patrick Bonté le décrit comme un «panel de créations contemporaines aux formats hybrides qui mettent le corps au centre». La rencontre d’univers singuliers, au-delà de la danse telle qu’on se la figure. Et ce, de l’ouverture du festival, avec Le Cri des méduses, grande fresque de groupe pour une réinterprétation fantasmatique du tableau de Géricault, jusqu’au final, Inferno, vision chaotique de l’enfer où l’enchaînement de séquences déconstruit l’unité de style du spectacle.
L’important est que les pièces proposées amènent le spectateur à modifier sa vision du monde, lui offrent une porte sur l’imaginaire.
Le thème du festival annonce la couleur: «Spirale du songe». «Cette thématique s’est imposée naturellement au fur et à mesure de la sélection des œuvres, souligne Patrick Bonté. Nous nous voulons curieux de ce qui se crée aujourd’hui, en présentant des œuvres singulières, notamment de nombreuses premières belges. J’aime être happé par un créateur qui donne à voir un rapport au monde très spécifique. Souvent, ça passe par l’étrangeté. Pour moi, le Festival international des Brigittines n’est pas seulement un festival de danse. Il se veut prescripteur et partageur. L’important est que les pièces proposées amènent le spectateur à modifier sa vision du monde, lui offrent une porte sur l’imaginaire.»
Paroles, paroles
Cette manière spécifique de repenser le monde passe par plusieurs canaux. C’est la particularité de l’art chorégraphique aujourd’hui. Il est hybride, fait de mots autant que de chair: «La scène dansée actuelle emploie beaucoup la parole. Même si l’utilisation de la langue dans les chorégraphies ne date pas d’hier, elle est mieux intégrée que jadis, atteste Patrick Bonté. Cela vient aussi de l’écolage pluriel que reçoivent les chorégraphes, formés auprès de professeurs qui utilisent des techniques variées. Ils sont plus à l’aise avec les mots et les différents langages. En outre, la jeune génération aborde des sujets qui vont au-delà des intérêts purement chorégraphiques. Des sujets portant sur l’intime, mais aussi des sujets de société et d’actualité. Le mouvement ne suffit pas toujours dans ce cas, il doit s’adjoindre la parole, du texte.»
Les mots qui parlent des gestes, ce sont aussi les entretiens avec les artistes à l’issue des spectacles, organisés par le festival. Mais est-ce vraiment nécessaire au pays du corps? «De nombreux spectateurs restent pour ces rencontres, affirme le directeur. C’est plutôt un échange sur le mode de l’explicitation, qui donne des pistes et permet de voir l’œuvre autrement. Evidemment, pour le créateur ou la créatrice, le spectacle doit se donner à voir comme il est, au spectateur de faire son propre trajet. Mais ce dernier est souvent curieux de comprendre comment on donne naissance à l’œuvre, comment d’un rien on peut arriver à un indicible qui parle, à une œuvre apparemment irrationnelle qui touche et émeut. Les chorégraphes parlent d’aujourd’hui et d’eux. Mais avec le festival et plus généralement avec la programmation des Brigittines, ce qui m’intéresse, c’est de montrer comment on fait création aujourd’hui, comment on propose une œuvre transcendant l’époque, qui parle à tous. C’est très énervant – et incompréhensible – d’entendre parfois la danse contemporaine évoquée comme un art de niche. Pour comprendre la danse, il faut simplement ne pas avoir d’a priori. Avec Mossoux-Bonté (NDLR: sa compagnie de danse), nous avons joué dans des petites villes mexicaines où les spectateurs n’avaient jamais été confrontés à la danse contemporaine, autant qu’à Boston, devant un public extrêmement cultivé et averti. Il fallait être capable de parler à tous. Ça passe par la création d’un langage de mouvement qui permet le partage, en s’inspirant du monde puis en s’en détachant. C’est là que le langage chorégraphique devient politique. Par le mouvement, on peut notamment montrer et dénoncer des rapports de pouvoir.»
Alors, convoquant la grande Pina Bausch, nous n’avons qu’une chose à vous conseiller: «Dansez (et regardez et vivez la danse), sinon nous sommes perdus.» Il est encore temps, jusqu’au 3 septembre, à Bruxelles.
Demandez le programme
Concrètement, ce condensé de création corporelle contemporaine, ça donne quoi? Une ouverture avec Le Cri des méduses, spectacle d’Alan Lake inspiré du Radeau de la Méduse de Géricault, un tableau vivant de désastre. Seven Winters de Yasmine Hugonnet adapte sa scénographie à la chapelle qui l’accueille et convie l’asymétrie graphique des sept corps en mouvement sur scène. Dans Motifs de Pierre Pontvianne, deux danseurs se retrouvent noués par les bras tout le long de la pièce. Bygones de la compagnie Out Innerspace propose de suivre les habitants des limbes dans un ballet qui met en scène des objets autant que des corps. Avec Believe, deux sculpteurs-danseurs évoluent sur du Purcell dans la pénombre et évoquent les soubresauts internes des corps de pierre. A bas l’uniformité dans No Half Measures de Taiat Dansa: quatre danseurs en académique beige, semblables, tentent de se différencier les uns des autres par des gestes qui sortent de l’apparent unisson de la chorégraphie. Very Tiny Little Drop of Wax met en scène Mei Chen et Yannis Brissot qui, dans une danse de couple intimiste et délicate, évoquent la vie d’Edith Piaf. Quel che resta, de Simona Bertozzi, propose un duo simplissime, dans une rare complicité de deux corps, incongrue et puissante. Avec Les Buveuses de café, de la compagnie Moussoux-Bonté, on assiste à une banale scène de coffee time, interprétée par deux femmes éprises de symétrie. D’un coup, la situation dérape. Enfin, Inferno, de Roberto Castello, clôt le festival en feu d’artifice polymorphe pour chaos dansé.
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