Quand la BD donne les clés pour comprendre le Moyen-Orient

Coquelicots d'Irak, de Brigitte Findakly et Lewis Trondheim © L'Association
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

La coloriste Brigitte Findakly s’associe à son mari Lewis Trondheim pour raconter son enfance irakienne. Comme L’Arabe du futur, une plongée en BD, une de plus, dans le passé du Moyen-Orient pour mieux saisir le présent.

L’ultime déclic de Brigitte Findakly, ce fut la prise de Mossoul en juin 2014 par les djihadistes du soi-disant État islamique. « Ça, et la destruction des lions de Nimrod », précise celle qui était connue jusqu’ici comme coloriste et femme de Lewis Trondheim. « On s’est dit qu’il fallait vraiment faire quelque chose, réagir d’une manière ou d’une autre à cette barbarie. Mais il y a 25 ans, au moment de la première guerre en Irak, Lewis et ses amis de l’atelier (Émile Bravo, Joann Sfar, David B., NDLR) m’avaient déjà poussée à écrire et raconter mon histoire. Mais l’envie est venue bien plus tard, quand j’ai réalisé que je ne retournerais sans doute plus jamais en Irak, et que mon père, malade, perdait tout doucement la mémoire. Alors j’ai commencé à prendre des notes, à remplir un carnet de souvenirs et d’anecdotes, mais sans vraiment savoir qu’en faire. Je tournais en rond. » « Je voyais bien qu’elle souffrait, complète Lewis Trondheim, mais elle ne me demandait rien. Puis un jour, après la prise Mossoul par Daech, Le Monde m’a demandé si je ne pouvais pas lui livrer des strips tournant autour de l’actualité. J’ai alors proposé à Brigitte d’utiliser ses notes et ses souvenirs pour parler de l’Irak: elle raconte, et moi je mets en musique et en dessin. On a très vite trouvé une manière de faire qui nous convenait tous les deux. Et c’était parti. » Ainsi naquit Les Coquelicots d’Irak, l’autobiographie de Brigitte Findakly, née en 1960 d’une mère française et d’un père irakien, laquelle démarre d’ailleurs par une photo: la petite Brigitte au pied de ce que l’on devine être les lions du site archéologique de Nimrod, à Mossoul. Avec cette phrase, terrible: « Si mon père avait soupçonné qu’un jour ces lions ailés allaient être détruits, il aurait sans doute cadré différemment la photo. » Une phrase aussi terrible et révélatrice que cette couverture où les pétales de coquelicots, ces fleurs si belles qui fanent si vite, deviennent de petites traces de sang.

Profondeur et légèreté

Quand la BD donne les clés pour comprendre le Moyen-Orient

Brigitte Findakly n’est évidemment pas la première à raconter son enfance ou sa vie en bande dessinée: depuis des années, l’autobio en dessin est devenu un véritable genre en soi, capable du pire comme du meilleur, du plus léger comme du plus profond -Lewis Trondheim lui-même en a fait depuis longtemps l’un de ses axes de travail, via ses Petits Riens. Or, la réussite de ces Coquelicots tient justement dans la capacité de ses auteurs à parfaitement entremêler ces deux extrêmes: la légèreté apparente des petites histoires de Brigitte, qui tiennent toutes en une ou deux planches très joliment dessinées par Lewis, qui pour l’occasion abandonne ses habituels animaux anthropomorphes; mais aussi toute la profondeur et la complexité de l’histoire irakienne, qui tient ici une place bien plus importante qu’un simple contexte. Le duo, entre deux anecdotes ou souvenirs parfois amusants, raconte, toujours en dessin, l’Irak de ces années-là, avant Saddam Hussein, les guerres et l’État islamique. On y découvre ainsi, mieux que dans nombre de reportages ou d’articles, toute la subtilité d’un passé récent composé de coups d’État, de prises de pouvoir militaire et de tensions religieuses et socioéconomiques que le duo raconte avec brio, mais surtout à hauteur d’hommes, et même d’enfants, puisque le regard de la petite Brigitte sert toujours de prisme et de point de vue. Un regard naïf sur des situations parfois tragiques -la prise de pouvoir et la dictature des baasistes, les pages consacrées à Israël ou l’Irak arrachées des dictionnaires, ou le premier vrai sentiment de danger ressenti à… Paris, en mai 1968- qui font toute la réussite de l’entreprise: fournir via l’intime les clés de compréhension d’une situation et d’un pays qui échappent à beaucoup.

Coquelicots d’Irak, de Brigitte Findakly et Lewis Trondheim. Éditions L’Assocation. 112 pages. ****

L’Arabe du futur

Quand la BD donne les clés pour comprendre le Moyen-Orient

Les hasards des calendriers éditoriaux ne trompent pas: l’autobiographie moyen-orientale en bande dessinée est à la fois très demandée et proposée, puisque parallèlement à ces remarquables Coquelicots d’Irak, Riad Sattouf propose, lui, le troisième volet de son phénoménal L’Arabe du futur. Phénoménal par son succès tant critique que public -déjà près d’un million d’exemplaires en une dizaine de langues pour les deux premiers volets parus chez Allary éditions!- l’autobiographie à peine romancée de Riad Sattouf s’arrêtera cette fois sur la période allant de 1985 à 1987, soit ses dernières années de vie en Syrie, avant de prendre définitivement le chemin de la France et de la Bretagne à l’âge de 12 ans.

Quand la BD donne les clés pour comprendre le Moyen-Orient

Avec l’humour qui le caractérise, Sattouf donne lui aussi à comprendre le présent en fouillant le passé, et donne ainsi des clés de compréhension du Moyen-Orient visiblement attendues, vu son succès. Marjane Satrapi avait en réalité ouvert bien grand la porte du genre dès 2000 avec sa célèbre quadrilogie Persepolis, qui racontait cette fois son enfance en Iran et à Téhéran. Une entreprise elle aussi couronnée à l’époque d’un succès tant critique que populaire. Suffit-il de dessiner sur le Moyen-Orient pour construire un succès en bande dessinée? On pourrait le croire puisque Kobane Calling, un reportage tout en BD sur cette ville assiégée de Syrie, réalisé par l’Italien Zerocalcare, jusqu’ici inconnu, est devenu, lui, un des succès de la rentrée aux éditions Cambourakis.

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