Liège fête Georges Simenon: comment les Fonds patrimoniaux construisent une mémoire littéraire

L'exposition sur Simenon organisée aux Fonds patrimoniaux rassemble des planches de divers dessinateurs, dont Bernard Yslaire.. © Micheels/Ville de Liège
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Liège continue de fêter Georges Simenon, qui l’a vu naître il y a 120 ans. Entre autres via une exposition BD qui se tient aux Fonds patrimoniaux, Une formidable institution, la seule du pays à acquérir des planches originales et à soutenir la création.

Les lampions du Printemps Simenon -premier festival consacré à Georges Simenon et son œuvre- se sont éteints il y a un mois. Mais la fête au romancier de langue française le plus vendu, traduit et adapté de son siècle n’est pas finie à Liège; deux expositions lui rendent hommage pour quelques semaines encore: l’une axée sur les photos de l’écrivain au Grand Curtius(1), l’autre consacrée à de prochaines adaptations de ses romans durs en bande dessinée, dans une collection que s’apprête à inaugurer Dargaud(2). Soit une sélection de planches originales souvent très belles, tout en atmosphères et montrées pour la première fois au public, de Christian Cailleaux, Bernard Yslaire et Jacques de Loustal. Des œuvres accompagnées de publications, affiches et documents parfois rares appartenant aux Fonds patrimoniaux, offrant ainsi “un aperçu de la diversité de la production de Georges Simenon et illustrant les liens qu’entretient sa ville natale avec lui”. Si cette exposition n’est pas la première à se tenir dans les locaux presque flambants neufs des Fonds patrimoniaux, dans l’hypercentre de la ville, “c’est la première exposition de bande dessinée qu’on y monte et ce n’est pas tout à fait un hasard, nous a expliqué Fabien Denoël, coordinateur de l’exposition, chargé de projet aux Musées de la Ville, et fer de lance de ces Fonds mis en place en 2019. Outre bien sûr le fait que Simenon soit une belle porte d’entrée pour venir nous voir, la première acquisition de notre nouveau fonds dédié à la bande dessinée, c’était justement trois illustrations originales de Loustal sur Simenon”. Les Fonds patrimoniaux ont fait bien d’autres acquisitions depuis. Et pour celles et ceux qui ne suivraient pas, c’est une vraie révolution.

Une conservation vivante

On se pince à chaque fois qu’on y pense: la dernière fois que l’État a décidé de protéger des marchands ce qui pouvait l’être de notre (énorme!) patrimoine en bande dessinée, et d’acquérir des planches originales comme l’État le fait depuis des lustres pour la peinture, les arts décoratifs et moult autres pratiques artistiques, c’était… en 1975. Il y a un demi-siècle, Jean-Maurice Dehousse, pas encore bourgmestre de la cité ardente, lançait l’asbl Signes & Lettres et s’associait au Musée des Beaux-Arts de la Ville de Liège pour monter la première -et unique- collection publique belge de bande dessinée. Soit une centaine de planches impayables aujourd’hui (des œuvres de Morris, Peyo, Macherot, Tillieux, Martin, etc.). Mais jusqu’à 2019? Plus rien, nada, schnoll, que dalle. La Belgique a laissé filer ses trésors du 9e art à l’étranger ou dans le privé, certes ravi d’ouvrir des espaces “muséaux”, qui valorisent surtout leurs collections sur un marché instable mais grandissant. Bref, une gabegie et une misère patrimoniale, qui prennent peut-être fin aujourd’hui avec cette initiative menée par quelques-uns depuis la création de ces Fonds patrimoniaux.

C’est en 2019 que nous avons commencé à nous installer ici dans l’ancien musée de la vie wallonne, poursuit et explique Fabien Denoël, historien qui vient de se former en… Histoire de la bande dessinée. Il a été entièrement restauré pour accueillir environ 500 000 documents papier issus de trois entités désormais regroupées sous cette appellation de Fonds patrimoniaux: la Bibliothèque Ulysse Capitaine, le Centre de littérature jeunesse et graphique et le Centre de documentation et de recherche des musées. On est en mesure de proposer au public une sorte de “guichet unique” vers toutes ces collections, avec une salle de consultation, une salle d’exposition, des espaces modulables… et donc aussi la création d’un quatrième département dédié à la bande dessinée. Il regroupe ce qui peut l’être, environ 2 500 documents issus de la Bibliothèque et du Centre, mais poursuit aussi une véritable politique d’acquisition, pour constituer un vrai centre de documentation public autour de la bande dessinée, qui conserve un ancrage local mais qui le situe dans le temps, l’espace et qui explore les potentialités du médium. Une conservation vivante, dans le champ muséal.

Les premières années, en plus des dons “de plus en plus fournis en bande dessinée, comme cette collection complète du Trombone illustré reçue hier”, les Fonds patrimoniaux ont utilisé des “queues de budget” pour leurs premières acquisitions: des œuvres de Pierre Bailly, Joe G. Pinelli, Aurélie William Levaux, Hugo Piette ou Dominique Goblet. Mais depuis 2022, soutenus par la Fédération Wallonie-Bruxelles via son service de Promotion des Lettres et sa commission BD, les Fonds possèdent désormais un subside spécifique et annuel pour sauver de la perte ou du marché des œuvres originales d’une dizaine d’auteurs. Huit exactement ont été sollicités l’année dernière, dont Aniss El Hamouri, Manuel, Fifi ou Michaël Matthys (avec de superbes planches gravées), “et il y en aura au moins autant cette année”.

Plus fort encore, ce nouveau fonds de bande dessinée, en plus d’acquérir, de recevoir, de conserver et de mettre à disposition des albums imprimés, des périodiques, des ouvrages de référence, des fanzines et des œuvres originales, a décidé de s’ouvrir… aux archives des auteurs, et à tout ce qui entoure et précède l’œuvre achevée: “On a commencé avec Hugo Piette en 2020: en plus de quelques planches d’un album, il a rassemblé et déposé ici tout ce qu’il a trouvé comme pièces préparatoires (scénarios, storyboards, croquis, découpages, carnets…). Tout un processus de création, porteur en lui-même d’un intérêt patrimonial et esthétique.” Une exposition se tiendra fin de cette année autour de ces premières nouvelles acquisitions des Fonds patrimoniaux. Encore une bonne nouvelle.

(1) Simenon, images d’un monde en crise, jusqu’au 27/08, au Grand Curtius, Liège. www.grandcurtius.be

(2) Simenon, du roman dur à la bande dessinée, jusqu’au 12/05 aux Fonds patrimoniaux, Liège. www.lesmuseesdeliege.be. Les éditions Omnibus viennent de rééditer les romans durs de Simenon en douze volumes.

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