Critique | Livres

[le livre de la semaine] Vieux criminels, le de Crécy céleste

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’auteur adulé en BD de Visa Transit s’offre une récréation littéraire réjouissante. Dans Vieux criminels, il ressuscite Bonnie & Clyde en Bidochon!

Le premier roman de Nicolas de Crécy démarre sur une idée qui, de fait, situera bien l’atmosphère originale et truculente de l’ensemble de ce Vieux criminels: Bonnie Parker et Clyde Barrow ne sont pas morts en 1934, à 23 et 25 ans, dans une fusillade en Louisiane. Ceux-là étaient des sosies. Les vrais se sont réfugiés en France, dans les Cévennes, autrement dit dans le cul -certes arboré- du monde, où ils sont désormais Eva et Claude, propriétaires d’un petit Lavomatic qui leur a permis de vivoter quelques décennies en y écoulant un peu de poudre blanche -normal. Mais nous voilà dans les années 70 (plutôt « soixante-dix »), dans une campagne cévenole désormais désertée, avec un Clyde presque bavant et en chaise roulante, une Bonnie dont la robe panthère ne peut plus donner le change et des cours de gangstérisme à la petite semaine distillés au dernier mafioso du coin. Clyde rumine, mais se fait philosophe: « La France? Il n’est pas sûr de l’aimer. Pour différentes raisons. Cela dit, le pays garde quelques charmes, dont le principal tient en quatre mots: ce serait pire ailleurs« . Bref, ça végète chez les vieux criminels, s’il n’y avait pas eu ce braquage foireux suivi de ce don du ciel, d’ailleurs baptisé Célestin, que la rivière a littéralement déposé à leurs pieds: « C’est ainsi, de manière maladroite, avec des mots qui sentaient le langage secret comme shit, fuck, jerk, bullshit et autres kiss my ass, qu’Eva et Claude débutèrent leur carrière de parents ». Une carrière qui va croiser celle du nouveau président fraîchement élu, qui a décidé, comme tout le monde le sait, de s’inviter de temps en temps à la table des français moyens. Vous avez déjà compris: il ne va pas être déçu.

L’imaginaire sans la graphie

« C’est mon premier « vrai » roman, sans dessin« , nous avait expliqué l’auteur il y a de ça quelques mois à l’occasion d’une exposition bruxelloise. « J’ai essayé de le traiter en BD, mais je n’y arrivais pas, je ne pouvais pas aller assez loin. Et surtout, je ne voulais pas figurer les personnages et ne pas me répéter, jamais. » Dont acte: l’invitation a priori paradoxale de la jeune collection Sygne de Gallimard -qui demande des romans à des artistes qui ne sont pas romanciers, comme avant de Crécy, Emmanuel Guibert ou Fabrice Caro- est donc tombée à point. Et si l’on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qu’aurait donné ce récit sous le dessin tellement unique du dessinateur, on se laisse porter par l’imaginaire de l’écrivain, plus ébouriffant que jamais, et même plus drôle que d’habitude. Un de Crécy qui, par la bande, règle son compte à la France profonde de Valéry Giscard d’Estaing, celle de son enfance, tout en multipliant les clins d’oeil légers à sa propre carrière et à ses propres BD, comme La République du catch, allant jusqu’à clôturer son roman par… un dessin.

Vieux criminels

Roman de Nicolas de Crécy, éditions Gallimard/Sygne, 336 pages. ****

[le livre de la semaine] Vieux criminels, le de Crécy céleste

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