Critique | Livres

[le livre de la semaine] Sarah Jane, de James Sallis

© KARYN SALLIS
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

James Sallis offre la quintessence de son style dans Sarah Jane: un récit sombre et ironique tout en ellipse, et qui se refuse surtout à toute psychologie.

« Je m’appelle Mignonne mais je ne le suis pas. Je ne l’ai jamais été. Je ne le serai jamais. » L’incipit de Sarah Jane est à l’image du roman qui va en découler: direct. Nous voilà dans le journal intime de Sarah Jane Pullman, ou en tout cas dans le récit, complètement déstructuré, de sa dure existence, qu’elle brosse par petites touches pour ceux qui la liront. Sarah Jane est aujourd’hui l’adjointe du shérif de la petite ville de Farr. Un shérif a qui elle doit apparemment beaucoup, mais qui a soudainement disparu. Mais n’allez pas croire pour autant que Sarah Jane soit le récit linéaire et classique de ce crime et de sa résolution, si crime il y a. Au contraire, James Sallis va s’amuser à nous nourrir par bribes. Des bouts de la vie de Sarah, dont on comprend peu à peu qu’elle a été cuistot, militaire et étudiante, souvent victime et de nombreuses fois larguée, au sens propre comme au sens figuré. Mais on comprend aussi, au fur et à mesure que se dessine ce portrait de femme pas gâtée ni par la nature ni par la vie, qu’elle a en réalité un solide vécu, un sacré caractère et une capacité de résilience peu commune. Une vraie héroïne, derrière ses faux airs de victime et de spectatrice de sa propre vie. Une existence teintée de noir, mais qui n’est pas sans lumière. Et qui brille du style Sallis, tout en métaphores, ironie et empathie. Et sans jamais un mot de trop.

Un honneur

De James Sallis, le grand public connaît surtout Drive, adapté presque fidèlement par Nicolas Winding Refn il y a dix ans, avec Ryan Gosling dans le rôle principal. Celui d’un homme sans nom, « le conducteur », particulièrement taiseux, autour duquel Sallis avait d’ailleurs écrit une suite (Driven, publié dès 2013 et déjà chez Rivages). On sait moins, par contre, que cet auteur originaire de l’Arkansas a déjà publié près de 20 romans (dont deux « serials »), mais aussi des recueils de poésie, de nombreuses traductions françaises (dont Raymond Queneau ou Blaise Cendrars), des essais sur le jazz et quelques biographies, dont celle de Chester Himes, collègue qu’il tient en haute estime, tout comme Dashiell Hammett, leur père à tous. Un père qui leur a donné le goût des intrigues sans psychologie de comptoir, où seule l’action et parfois les digressions définissent les personnages. Jean-Bernard Pouy, qui préface ce nouveau roman, voit en James Sallis « l’honneur du roman noir américain« . On ne le contredira pas.

Sarah Jane

Roman noir. De James Sallis, éditions Rivages/Noir, traduction de l’anglais (États-Unis) par Isabelle Maillet, 220 pages. ****

[le livre de la semaine] Sarah Jane, de James Sallis

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