La vie après: Et maintenant, que vais-je lire?

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le monde des livres ne pourra rester le même après deux mois de coma: la réduction structurelle de la production est devenue inévitable. Avec le risque de pénaliser d’abord les petits éditeurs et les livres « difficiles ». Les libraires, eux, s’adapteront.

Après « avoir passé huit semaines dans un roman d’anticipation, seul dans ma voiture à traverser une ville vide », Frédéric Ronsse a enfin rouvert sa librairie, place Flagey à Bruxelles. Une librairie indépendante, spécialisée BD, qui « n’était pas fermée mais que je ne pouvais pas ouvrir » et dont le responsable espère désormais « une reprise calme et raisonnée, sans déferlement de titres, mais je ne la crains pas trop: tout le monde a conscience du risque d’un effet entonnoir, que ce soit pour les libraires, les éditeurs ou les auteurs. Mais il est en tout cas vital pour tous que les libraires sortent la tête de l’eau: nous avons prouvé notre utilité. »

Huit semaines durant en effet, la librairie Flagey, comme beaucoup d’autres, s’est confinée sans chômer pour autant. « Là, je dois en être à mon 52e jour de travail consécutif: j’ai effectué des livraisons à domicile tous les jours, de 9 heures à 20 heures, en me lavant les mains 40 fois par jour, à en avoir des croûtes sur les doigts. Ça m’a juste permis de garder la tête hors de l’eau -j’ai perdu 70% de mon chiffre d’affaires- mais si j’essaie d’être positif, ça m’a aussi mis en contact avec une nouvelle clientèle: des gens parfois très éloignés géographiquement de la librairie, beaucoup de mamans, sans permis, avec un ou plusieurs enfants, qui n’auraient jamais l’occasion, avec ou sans confinement, de prendre une heure pour flâner dans une librairie. Une clientèle qui est pourtant très en demande et pour laquelle il faudra essayer de garder dans l’avenir ce principe de livraison qui crée un rapport super chouette, et qui nous a aussi obligés à revenir à notre premier rôle de libraire, celui de conseil. Comme tous les distributeurs à part Dilibel (filiale belge du groupe Hachette, NDLR) avaient arrêté leurs livraisons, j’ai travaillé sur les 4 à 5.000 références que j’ai en stock, ce qui est infinitésimal par rapport à ce qui existe. Il faut donc orienter, conseiller, proposer… Et les gens en redemandent. Ce confinement a profondément changé les manières de consommer, via l’e-commerce, les livraisons à domicile mais aussi le conseil. On ne pourra plus se contenter d’être sous la pression quotidienne des sorties. »

25% de nouveautés en moins

Les nouveautés, parlons-en: si les offices des distributeurs reprennent officiellement (et lentement) ce 18 mai, reste à replacer dans les plannings les milliers de titres qui n’ont pas pu sortir avec le confinement… Tout en ne tuant pas d’entrée la masse de livres sortis juste avant les lockdowns, et toujours en attente de ventes et de lecteurs. Une situation quasi inextricable (sans parler de l’effet comptable des retours qui risque de grever lourdement les finances déjà exsangues des libraires) mais qui semble -enfin!- mettre d’accord toute la chaîne du livre sur le besoin impérieux de limiter rapidement la production et les sorties -plus de 5.000 nouveautés par an pour la seule bande dessinée. Au moment de reprendre leurs activités et d’acter leurs nouveaux agendas de sortie, toutes les maisons d’édition, qu’elles soient de livres ou de BD, semblent ainsi s’accorder sur une baisse de 20 à 25% de nouveaux titres sur l’année 2020 et probablement 2021, le temps a minima de « rattraper » ces deux mois de coma.

Une bonne nouvelle dans l’absolu dans un business en surproduction depuis dix ans, mais une très mauvaise sans doute pour les petits éditeurs et les livres qui ne s’adressent pas directement à un public de masse, selon la manière dont cette « décroissance » sera organisée par les grands groupes. Or les premiers nouveaux plannings, remplis de possibles best-sellers mais considérablement allégés de premières oeuvres ou d’albums plus complexes, laissent craindre le pire: « Tout le monde va avoir un besoin urgent de trésorerie, analyse ainsi Frédéric Ronsse, éditeurs, distributeurs et parfois librairies vont avoir tendance à se concentrer sur les grosses sorties, pour faire du chiffre rapidement. »

Surtout que dans les semaines voire les mois qui viennent, pas question de flâner et de prendre son temps en feuilletant les bouquins: « Avec les normes de distanciation sociale que l’on doit respecter et faire respecter, je ne peux pas avoir plus de neuf clients à la fois dans le magasin. Et aucun ne peut y rester plus d’une demi-heure. La tentation sera grande d’aller à l’essentiel, aux noms connus, aux gros titres qui bénéficient de grosses promotions, alors qu’il faudrait faire le contraire: baisser en quantité et privilégier la qualité, le conseil. » Quant à savoir qui survivra à long terme au tsunami du confinement, il faudra attendre de voir comment se comportent les éditeurs, les lecteurs et ce fichu virus avant de pouvoir tirer de vrais bilans. « Si on essaie d’être positif, continue notre libraire, on peut se dire que les deux mois d’été seront meilleurs que d’habitude avec la limitation voire l’interdiction des grandes migrations des vacances, et qu’on aura compris l’intérêt et le rôle fondamentaux des librairies, au moins aussi importants que des Brico ou des fast food, avec des librairies apaisées et moins sous pression… Mais je sais que si on veut passer le cap, on se reposera quand on sera mort. »

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