Critique | Livres

La BD de la semaine: Gipi – Vois comme ton ombre s’allonge

Vois comme ton ombre s'allonge © Futuropolis
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ROMAN GRAPHIQUE | Le dernier album de l’Italien Gipi est un moment de grâce tant visuelle que narrative, mêlant schizophrénie, intimisme et Première Guerre mondiale

La BD de la semaine: Gipi - Vois comme ton ombre s'allonge

Le récit, d’emblée, s’avère confus, et la manière, complexe. La première planche est réalisée en noir et blanc, et semble l’expression d’un dialogue intérieur, lui-même confus. La deuxième n’est constituée que d’une case, énorme, superbe, réalisée à l’aquarelle. Dans la première, un arbre sec, quasiment mort. Dans la seconde, l’image d’une station essence, contemporaine, inquiétante et silencieuse. Deux images, une station-essence et un arbre sec, qui reviendront en boucle dans ce récit à nul autre pareil. La troisième planche, elle, mêle déjà les deux techniques, et les deux narrations. « Suis-moi. Si l’homme de 18 ans se réveillait d’un coup, une nuit. Se levait. Et dans le miroir se voyait par magie, par malédiction, avec le visage et la peau de ses futurs cinquante ans, il mourrait. Il vomirait. » Récit complexe? Incompréhensible? Evidemment! Car nous voilà happé dans la tête de Silvano Landi, homme de 49 ans et écrivain qui n’écrit plus, saturé de bituprozan. Un médicament réservé aux schizophrènes, qui intensifie les états hallucinatoires, désagrège la réalité et dépersonnalise le patient. Un patient ramassé le long d’une plage et qui, depuis, dessine, et redessine encore un arbre sec et une station essence. Et dont les souvenirs flous traceront peu à peu les contours d’un récit intime et dramatique, mêlant culpabilité, temps qui passe et grande guerre. Car l’histoire de cet inventeur d’histoires détruit par la sienne, d’histoire, trouve sa source il y a un siècle, entre l’invention de la première mitrailleuse et un trou d’obus où deux hommes se terrent, et vont affronter le pire…

Au sommet de son art

Difficile d’en dire plus, ou plus simplement, sur cette gifle de 122 pages, toutes impressionnantes: il faut lire Vois comme ton ombre s’allonge pour en saisir la force et l’originalité. Originalité narrative, on l’a dit, Gipi usant ici de toutes les techniques possibles, jusqu’à la typographie, mais aussi graphique: l’auteur discret des Innocents, de Ma vie mal dessinée ou de la couverture du premier numéro de La Revue dessinée, atteint ici le sommet de son art, avec des aquarelles impressionnistes en grand format tout en ambiance, souvent lourde. Ses pages et son « récit dans le récit » sur la Première Guerre mondiale sont particulièrement grandioses, à l’image de cette tranche de vie réduite à des fragments. Gian Alfonso Pacinotti s’affirme ici comme un auteur majeur et absolument unique, et dont cette Una Storia, titre original, fera forcément date.

  • Vois comme ton ombre s’allonge, de Gipi, éditions Futuropolis, 122 pages.

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