Juan Sasturain, Gallimard/La Noire
Le Dernier Hammett
768 pages
L’Argentin Juan Sasturain mixe dans un formidable jeu de miroirs les différentes facettes de Dashiell Hammett.
Impossible de raconter Le Dernier Hammett sans raconter Dashiell Hammett lui-même, puisque cette fiction vertigineuse et labyrinthique, mêle dans ses pages l’imaginaire (très) fertile de son auteur argentin non seulement à la vraie vie de l’auteur américain… mais aussi à ses fictions. Juan Sasturain, géant des lettres noires argentines, l’explique ainsi lui-même en préambule de ce gros petit chef-d’œuvre (près de 800 pages), dans un style qui éclaire d’emblée la suite, mélange de hard boiled américain et d’exubérance typiquement latine: “Il faut avouer avec orgueil, sans aucune pudeur et sans rien demander à personne, que la laborieuse rédaction de ce roman trouve son origine dans la transcription sauvage, le développement, la manipulation, la citation, la distorsion et l’appropriation décomplexée de deux merveilleux textes de Dashiell Hammett: le roman inachevé Tulip (…) et l’emblématique septième chapitre du Faucon maltais.”
De détective privé à romancier
Ceci posé, bienvenue donc dans Le Dernier Hammett, qui démarre, après un faux départ devant la tombe de “Dash” en 1961, par sa sortie de prison dix ans plus tôt. Dashiell Hammett fut effectivement emprisonné six mois puis blacklisté d’Hollywood pour ses sympathies communistes, et sombra dans l’alcoolisme, la maladie et l’oubli, tout en laissant derrière lui un sixième roman inachevé, beaucoup plus autobiographique que ses cinq autres romans (mais aussi 65 nouvelles) qu’il écrivit entre les années 20 et 40, et baptisé Tulip. Soit l’histoire d’un écrivain qui a cessé décrire mais qui écrit quand même, et dans laquelle Sasturain plante la première banderille de son fantastique détournement: un certain colonel Lindgren, vieille connaissance de Hammett du temps de la guerre des Aléoutiennes, lui rend visite pour le convaincre d’écrire sur sa propre vie, riche en anecdotes parfois dangereuses. Un colonel surnommé “Tulip”, qui va entraîner notre auteur-héros dans une suite de péripéties, de rebondissements et d’actions violentes portées par des personnages sombres, compromis, sans scrupules et surtout archétypaux… Tout droit sortis d’un de ses romans, ou de sa vraie vie, puisque Hammett, avant de devenir écrivain, fut effectivement détective privé à l’agence Pinkerton, fraya d’un peu trop près avec le crime organisé et fut le témoin direct de la corruption des élites, sans même parler du maccarthysme qui lui coupa les ailes et le stylo-plume. “Il y a dans tout écrivain un lecteur enamouré. Et ce roman est une manifestation d’amour, à Hammett et à la littérature”, explique encore Juan Sasturain. Avis donc aux amateurs de hard boiled US ou de littérature latino-américaine: cet Hammett-là ne se rate pas.
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