Crowdfunding: la dictature du proNETariat

KissKissBankBank © capture d'écran
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Production participative et autoédition vont-elles changer la face du livre? Elles transforment en tout cas le lecteur, et parfois l’auteur, en éditeur, actionnaire, investisseur… et pigeon?

Editer un livre, c’est tout un art, mais ce n’est presque plus un métier. Plus de 300 plateformes de production participative ou d’intermédiation proposent désormais, sur la Toile, aux amateurs de livres, mais aussi de musique, de ciné, d’arts plastiques ou même de produits bio, de financer directement leurs prochaines nourritures terrestres ou intellectuelles. Pas de spéculation pour la plupart: un artiste propose son oeuvre, et possède une période limitée pour obtenir la totalité du financement qu’il convoite. Chaque internaute y met ce qu’il veut en se choisissant des contreparties liées à sa mise (un livre, un livre dédicacé, des goodies, etc.). Si le financement n’est pas atteint, la mise lui sera rendue. Si le financement est atteint voire dépassé, l’internaute attendra son exemplaire. Qui arrivera par la poste. Ou pas.

L’essor des réseaux sociaux du crowdfunding (ou financement participatif, à ne pas confondre avec le crowdsourcing, qui implique lui une participation à la création) et des plateformes généralistes (lire par ailleurs) est en train de bouleverser les schémas traditionnels de l’édition culturelle. En 2012, environ 2 milliards d’euros auront été investis via la production participative -probablement 5 en 2013. La dématérialisation des contenus promettait déjà de changer la donne, même si le marché peine encore à décoller; voilà que l’explosion de ces plateformes de micro-investissements et des projets qui y sont soumis (on y trouve vraiment de tout) enfonce le clou, dans un climat lui-même encore bien flou.

Juridiquement d’abord. Plusieurs plateformes ont été récemment rappelées à l’ordre: le crowdfunding reste une activité de crédit, précisément réglementée. Et aucune plateforme ne fournit de garantie sur le capital investi. Economiquement ensuite. La pérennité du secteur reste largement aléatoire: les plateformes se rétribuent sur des commissions allant de 5 à 8 %, sur les financements réalisés. Mais aucune n’est encore rentable malgré l’arrivée massive de fonds d’investissements. Et la plupart des projets, entre autres littéraires, ne passent pas le cap du circuit fermé: il y a une production, mais pas de distribution autre que numérique ou postale.

Carnage littéraire

Surtout, l’essor du principe, dans lequel certains voyaient pourtant l’adéquation parfaite, presque utopique, entre offre et demande -d’où ce nouveau terme de « pronétariat », mot-fusion entre « prolétariat » et « Net »- se révèle une aubaine pour le commerce en ligne, mais nettement moins pour la qualité éditoriale, qui n’existe plus. Il commence même à sortir ses premiers effets pervers. Par le « bas », où les livres auto-édités, et parfois indigents, représentent déjà 12 % du volume numérique disponible, sans qu’on puisse les distinguer clairement (ils ont tous un numéro ISBN). Comme si savoir écrire suffisait à devenir écrivain, les hashtags « buymybook » pullulent désormais sur les réseaux, au point que certains commencent à parler de carnage littéraire. Par le « haut » aussi, où les gros diffuseurs, distributeurs et éditeurs se ré-emparent du principe et tentent de remplacer la vente par la prévente. Au risque de là aussi, annihiler tout esprit de nouveauté, l’offre répondant précisément à la demande… qui ne demande généralement que ce qu’elle connaît.

Un nouveau genre de roman de gare est peut-être en train de naître. On rappellera juste que 50 Nuances de Grey est le premier livre, d’abord financé et édité sur la Toile, à connaître le succès. Que de perspectives…

Le Big Four

MyMajorCompany

Origine? France, 2007.

Chiffres? 13 millions d’euros levés en 5 ans.

Domaine? Musique essentiellement, mais aussi DVD, livres, BD.

Principe? Rémunération sur vente.

Signes distinctifs? La plus grosse en français, la plus controversée également. « MyMajorCompanyBooks » a fait un flop: seuls six livres ont été édités, et distribués, avant fermeture.

Kickstarter

Origine? USA, 2009.

Chiffres? 60 000 projets financés.

Domaine? 13 catégories. Musique, mais aussi films, BD, jeux vidéo…

Principe? Contreparties délivrées en échange des contributions des internautes.

Signes distinctifs? La plus énorme, noyée sous les stars et les gros budgets. Spike Lee vient d’y lancer le co-financement de son prochain thriller. Il y quémande 1,25 million de dollars.

Ulule

Origine? France, 2010.

Chiffres? 2700 projets financés, 100 000 donateurs revendiqués.

Domaine? 23 catégories.

Principe? Contreparties délivrées en échange des contributions des internautes.

Signes distinctifs? Moins branchée que KissKiss, plus « mainstream », un brin régionaliste.

KissKissBankBank

Origine? France, 2010.

Chiffres? 3000 projets financés, 5,5 millions d’euros collectés.

Domaine? 18 catégories.

Principe? Contreparties ponctuelles.

Signes distinctifs? Se veut plus branchée, basée sur la création et l’innovation, avec des projets plus « alternatifs » et des budgets dépassant rarement quelques milliers d’euros.

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