Marie Ndiaye sur la figure paternelle et un polar espagnol crépusculaire parmi nos 4 coups de cœur livres

Dans Le Bon Denis, Marie Ndiaye part à la recherche de son père, dont elle n’a qu’un vague souvenir.
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD
Fabrice Delmeire Journaliste

Marie Ndiaye explore en quatre temps une figure paternelle qui n’en finit pas de se dérober dans Le Bon Denis. Parmi nos 4 coups de cœur livres de la semaine.

Le Bon Denis

Récit intime de Marie NDiaye. Editions Mercure de France (collection Traits et portraits), 136 pages.

La cote de Focus: 3,5/5

Le temps et le succès –elle a reçu le prix Goncourt 2009 pour Trois femmes puissantesn’ont pas comblé le vide laissé par l’absence du père, reparti en Afrique sans laisser d’adresse quand elle n’avait que 1 an. Dans un texte hybride malaxant la pâte de l’autobiographie et la levure de la fiction, Marie NDiaye, née en 1967, part à la recherche de ce fantôme dont elle n’a gardé «aucun souvenir ni du visage ni de la voix», tout juste la réminiscence vague d’une «forme haute, vaste, éminente et sombre». Une enquête déambulatoire en quatre temps pour autant de variations sur cette figure paternelle qui n’en finit pas de se dérober.

Dans le premier mouvement, «après avoir longtemps hésité, pris peur», elle interroge sa mère. Première tentative d’approche et première diversion, la vieille femme, tantôt hostile tantôt dédaigneuse, l’aiguillant plutôt vers le «bon Denis», cet homme à la bonté écrasante qui s’est occupé d’elle après l’abandon du géniteur, et dont la mémoire de la romancière n’a bizarrement conservé aucune trace. Du flou qui s’ajoute au flou, et un prénom que l’on va retrouver par la suite, sous des identités différentes, comme dans un jeu de miroirs vertigineux. Marie NDiaye retourne ensuite aux sources, comparant les enfances respectives de ses parents, à la campagne pour l’une, sous le sceau de la survie pour l’autre, raison pour laquelle sans doute «la tendresse lui serait un sentiment étranger». A défaut de saisir la vérité, la romancière, dont les phrases précises et sinueuses serpentent autour des sentiments, fait de l’imaginaire son terrain d’exploration. Avant de se remémorer un voyage surréaliste entrepris à 19 ans aux Etats-Unis pour le rencontrer, elle s’interroge sur ce qui a poussé cet homme noir à quitter l’eldorado qu’était à ses yeux d’enfant la France, l’obligeant à revoir sur le tard son jugement sévère. Si au final le mystère demeure, subsiste l’espoir que derrière «l’évaporé» se cache un être d’exception, appelé à un destin supérieur. «Car s’il était un homme comme les autres, comment excuser ses manquements?». Poignant. 

L.R.

Autodafé – Comment les livres ont gâché ma vie

Autofiction de Thomas E. Florin. Editions Le Gospel, 96 pages.

La cote de Focus: 4/5

Son voisin et ami Didier vient d’échapper à l’incendie de son appartement. De ses milliers de livres et de disques ne reste qu’une montagne calcinée. De quoi amener le narrateur (l’auteur) à méditer sur son rapport aux livres. Thomas E. Florin est rock critic pour l’increvable Rock & Folk, et bassiste au sein des Mercuriales, séduisant groupe de rock parisien dont le leader est l’éditeur et écrivain Jean-Pierre Montal. Justement, Florin ne fait pas que de s’épancher sur sa bibliothèque pleine à craquer. Non: il caresse, en vain, le doux espoir d’être un jour lui aussi publié –c’est là sa croix… Il se lance alors dans de savoureux pamphlets revanchards et désespérés. «La vérité, c’est que tous les écrivains sont des losers», tempête-t-il, avant de s’en prendre, aussi, aux traducteurs, ou de prier pour que son fils fuie la vue même de ces suppôts de Satan (oui, les livres)… Le texte est court –et les lecteurs de Rock & Folk prennent cher– mais il sonne comme la réjouissante promesse du roman, d’ailleurs malicieusement annoncé, dont Thomas E. Florin ne tardera pas à accoucher.

M.R

Balanegra

Polar de Marto Pariente. Editions Gallimard/Série Noire, traduit de l’espagnol par Sébastien Rutés, 224 p.

La cote de Focus: 4/5

«Toute sa vie, Coveiro a enterré des gens, mais l’âge venant, il le fait désormais de façon légale.» Cet ancien tueur à gages est en effet devenu fossoyeur dans le petit village de Balanegra pour pouvoir s’occuper de son neveu, orphelin et autiste. Il devra très vite retrouver ses bonnes vieilles habitudes: un politicien pédophile est assassiné, son propre neveu est enlevé, des tueurs bien plus jeunes, pros et fous que lui s’invitent dans le décor… Un an après avoir découvert l’auteur espagnol Marto Pariente et sa verve avec La Sagesse de l’idiot, on le redécouvre avec Balanegra, bien plus sombre cette fois derrière l’humour et l’excentricité de ses personnages; un western crépusculaire avec les codes du roman noir, patiné par la traduction, à nouveau, de Sébastien Rutés, autre auteur maison de la Série Noire hautement recommandable.

O.V.V.

Belle journée pour mourir

Roman de Laurent Graff. Editions Le Dilettante, 112 pages.

La cote de Focus: 4/5

Il fût un temps, Jacques Ferré évitait les fenêtres, persuadé d’être pris pour cible par un tireur embusqué. Désormais, le militaire à la retraite s’est fait une raison. Ayant déserté toute vie sociale, il attend son heure, en pantoufles. «J’accorde trop peu d’importance à mon existence pour la placer au centre de quelque chose, si ce n’est dans le viseur d’un fusil.» Du reste, Jacques a le pif: sa mort constituera, à coup sûr, une petite énigme… 

Champion du format court, Laurent Graff excelle à détour(n)er le roman noir au travers de fables grinçantes et faussement absurdes. Qu’il s’agisse d’arrêter le temps à force de répétition (La Méthode Sisik) ou des effets provoqués par la rumeur d’un James Bond tourné en Bretagne, voire en bourrique (Au nom de Sa Majesté), ses pitchs s’apparentent à des putschs. L’écrivain discret s’est fait une spécialité des personnages qui se refusent, faussent compagnie à une société qui les sidère, les emmerde puis les révulse. Dans Monsieur Minus, l’héritier de la première fortune de France se carapate pour jouir de sa situation en ne faisant rien… Car le grand sujet de l’auteur, c’est l’homme qui se dépatouille avec sa morale par en dessous, la profondeur intime des êtres débarrassée du vernis social. C’est le soulèvement existentialiste de vies austères, subversives par dépit. «Dans le malheur, la vie prend le dessous, comme un mycélium, un feu de tourbe qui resurgit aux beaux jours.»

Ici, dans une première partie explorant la psyché de Jacques, on plonge dans l’extrême solitude et son profond dénuement. On pense au Buffet froid de Bertrand Blier pour le fluide glacial où l’inquiétante étrangeté suinte sous le roulis de jours monotones. Puis changement de braquet: passant à la seconde et à la troisième personne, on assiste à l’enquête d’un commissaire flegmatique ramassée dans une verve minimaliste et rocambolesque évoquant un Echenoz après deux Suze. Après avoir lu d’une traite, on ouvre ensuite le capot en se passant une main dans les cheveux à la manière de Columbo: «Il y a un détail qui me chiffonne»; comment se confectionne un livre aussi court, élégant et à rebrousse-poil? Et on le relit dare-dare. Balles neuves!

F.DE.

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