Le roman policier allemand n’est plus ce qu’il était. Une nouvelle génération d’auteurs le dépoussière et le déshabille, à l’image d’Ivar Léon Menger et de son nouveau thriller, expressionniste et flippant.
Derrick, il était temps, peut aller se rhabiller; les temps ne sont plus, en Allemagne, à l’archétype du vieux flic et de son collègue en pardessus aussi ternes que leurs dialogues et leurs crimes petits-bourgeois. Depuis quelques années, les éditeurs francophones ont le bon goût d’aller enfin puiser leurs thrillers et polars dans une nouvelle génération d’auteurs et d’autrices germaniques peut-être moins marqués par la Seconde Guerre mondiale et les tabous qu’elle a longtemps véhiculés dans une littérature qui ne devrait pourtant pas en avoir.
Karsten Dusse et ses Meurtres qui font du bien (Le Cherche-Midi), Vera Buck et ses Enfants loups (Gallmeister), Simone Buchholz et sa Nuit bleue (Rivages)… Autant d’auteurs et de thrillers qui dépoussièrent en profondeur le genre, en délaissant le plus souvent la figure du (vieux) flic. A l’image de cette Forêt du croque-mitaine qui doit clairement bien plus à Fritz Lang qu’à Horst Tappert! Et si l’un de ses nombreux personnages est effectivement inspecteur, ce dernier est à la retraite et âgé de 72 ans –ce qui ne l’empêchera pas d’enquêter et même de tomber amoureux. «J’aime les personnages à qui l’on donne peu de crédit, qui sont dans l’innocence ou la dépendance des adultes, dans la jeunesse ou la vieillesse. Et voir tout ce que cela crée pour eux et autour d’eux, nous précise l’auteur, avec l’aide de sa traductrice Justine Coquel, pour beaucoup dans l’extrême efficacité du livre, et sa simplicité bien plus subtile qu’il n’y paraît. J’aime aussi l’innocence des « vrais gens », et observer comment ils vont se sortir, avec leurs moyens, de situations hors norme.»
Il était une fois un kidnapping
Un goût des peurs primales et enfantines qui prend ici les airs très angoissants d’un conte gothique qui ne finira pas forcément bien: un enfant disparaît en 1986 dans une fête foraine, qui se déroule sous une pluie probablement radioactive et aux abords à la fois d’une forêt mystérieuse et d’un hôpital psychiatrique tout aussi inquiétant. Un kidnapping qui en rappelle d’autres, bien plus anciens, et dont l’auteur, évidemment jamais retrouvé, évoque jusque dans le titre la figure du croque-mitaine. Une incarnation du mal absolu que l’on retrouve dans le folklore allemand sous bien des noms. «Ici, le terme allemand pouvait se traduire littéralement par « le harponneur », mais on perdait alors cette référence aux contes, souligne le duo. En particulier au Hansel et Gretel des frères Grimm, auquel le livre fait directement référence, consciemment ou non.»
Dans la forêt du croque-mitaine
Thriller d’Ivar Leon Menger
Editions Belfond, traduit de l’allemand par Justine Coquel, 368 pages.
La cote de Focus: 4/5