Critique | Livres

Chroniques cliniques, un album de malade

© L'Employé du Moi
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

John Porcellino, acteur incontournable de la scène indé US, raconte ses maux et son calvaire hospitalier dans une remarquable compilation.

La maladie, longtemps absente comme les autobios des albums de BD, s’avère désormais d’une rare bédégénie. Et si l’on reprend quelques « grands » livres de ce siècle et de ces quinze dernières années, on pourrait penser que l’on feuillette un dictionnaire médical: Alzheimer dans Le Combat ordinaire de Larcenet, l’épilepsie dans L’Ascension du haut mal de David B., la séropositivité dans Pilules bleues de Frederik Peeters, le cancer dans David, les femmes et la mort de Judith Vanistendael, la maladie de Crohn dans le Carnet de santé foireuse de Pozla, même l’herpès dans le Monsters de Ken Dahl! On peut désormais ajouter à cette belle liste ce Chroniques cliniques de John Porcellino, auteur adulé par beaucoup et surtout très malade: depuis 20 ans, Porcellino souffre d’à peu près tout, et passe son temps à le raconter.

Chroniques cliniques, un album de malade

Depuis 1989, Porcellino détaille son quotidien dans le fanzine auto-édité, toujours minimaliste et toujours en noir et blanc, King-Cat Comics, qui a influencé selon leurs propres aveux nombre d’indés du monde entier, de Chris Ware aux auteurs et éditeurs bruxellois de l’Employé du Moi, dont Max de Radiguès et Matthias Rozes, qui se sont chargés de la traduction et de la compilation de ces King-Cat Comics (mais aussi de trois épisodes de ses mini-formats True Anxiety), comme ils l’avaient déjà fait en 2015 avec Tueur de Moustiques, qui narrait le premier métier de cet auteur complètement autonome et usant de la BD comme d’un journal intime. Et déjà, ses premiers maux, dus aux pesticides avalés tout au long de sa carrière. Les premiers d’une longue, très longue série.

Le corps et l’esprit

En 1997, John Porcellino se met à ressentir de fortes douleurs à l’estomac: une tumeur à l’intestin diagnostiquée après de nombreux tâtonnements, qu’il fallut opérer d’urgence, mais qui provoqua ensuite sept longues années de complications médicales en tout genre mais surtout douloureuses. Exactement ce qu’il ne fallait pas à cet hypocondriaque déjà perturbé par des TOC à foison et une anxiété maladive. Ainsi étalées sur 250 pages effectivement douloureuses, ses Chroniques cliniques proposent dès lors, derrière leurs petits dessins a priori naïfs et très inoffensifs, une plongée grave et réellement profonde dans la tête et le corps d’un homme qui souffre, physiquement et psychologiquement. Un homme malade confronté, aussi, au kafkaïen monde médical américain, capable de flinguer le plus sain de corps et d’esprit, que Porcellino raconte de l’intérieur, et comme rarement. Son calvaire hospitalier, et un peu du nôtre, ne se calme que le temps de quelques pages éparpillées dans le livre, essentiellement consacrées à la philosophie zen qui habite, autant que les maladies, le quotidien de cet auteur encore trop méconnu des lecteurs francophones.

Chroniques cliniques, de John Porcellino, éditions L’Employé du Moi, 256 pages. ****

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