Blutch s’expose: « la BD est un travail de moine-copiste »

© Blutch
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’auteur de Lune l’envers présente à Bruxelles planches et grands formats inédits. L’occasion de causer virtuosité, ciné ou de Tif et Tondu, son probable prochain album.

Blutch n’aime pas le terme de rétrospective –« le mot est pompeux, il m’embarrasse un peu ». La galerie Champaka parle donc de « parcours transversal » dans l’oeuvre d’un des auteurs français les plus remarquables et remarqués de sa génération. Des planches tirées de ses débuts dans Fluide Glacial avec Waldo’s Bar ou Pecos Jim, des extraits de Mitchum, des originaux issus de Pour en finir avec le cinéma et Lune l’envers, un peu de son Petit Christian, mais aussi des décors pour le dernier film d’Alain Resnais, un portrait de Sacha Guitry pour un projet qui n’a jamais vu le jour… Et six toiles grand format et inédites, entièrement réalisées au pastel, sans cette multiplication de traits qui caractérise son style… Mais le tout en noir et blanc, thème central de cette rétrospective qui vaut le coup d’oeil (et l’investissement des collectionneurs -Blutch a la cote). Un affichage qui en tout cas en montre long sur la virtuosité naturelle et presque écoeurante de ce quadragénaire discret, parlant bas mais précis. Au coin des planches, notre discussion hors de toute actualité éditoriale témoigne de son exigence artistique, de son humour et de son amour de la BD populaire: un bon condensé de Blutch.

Pourquoi cette exposition aujourd’hui, à Bruxelles?

Eric (Verhoest, responsable de la galerie Champaka, ndlr) me l’avait déjà proposée il y a quelques années. Là, il vient de me commander trois pièces pour la vente aux enchères de Sotheby’s (deux ont été vendues), et dans le même temps, j’ai déménagé mon atelier… C’était peut-être le bon moment. Je voulais surtout une exposition sur le noir et blanc, aucune couleur, aucun pastel. La bande dessinée pure, c’est le trait. Mais j’avais aussi quelques idées pour des grands formats, cette fois au pastel, mais uniquement dans la gamme de gris et de noir, débarrassés de toutes les scories inutiles, focalisés sur le discours. Des portraits embrumés, flous, quelque chose en mouvement… Ici, il s’agit de faire disparaître le trait, alors que les planches se définissent par celui-ci. C’est l’exact opposé, une tentative de gommer tout ce qui fait ma soi-disant virtuosité: je m’en méfie.

Parlons-en au contraire: vous avez une approche très picturale de la BD, or celle-ci a tendance à « estomper » l’image: on ne s’y arrête pas. Ce n’est pas paradoxal ou frustrant pour un virtuose du dessin comme vous?

Ce qui doit rester le plus intéressant dans une bande dessinée, malgré tout, c’est le récit. Et je ne veux pas que l’image freine l’élan d’un lecteur. Mes images sont toujours au service du récit, d’un climat, d’atmosphères, même si mes récits sont parfois complexes: j’ai besoin de m’amuser, je ne suis pas capable d’écrire un récit linéaire, je pars vite dans des digressions. Et je mets de plus en plus de temps pour dessiner. A l’époque des histoires dans « Fluide », j’allais assez vite, il y a un allant sur ces vieilles planches-là que je ne retrouve plus. Maintenant, je tourne sept fois ma langue dans la bouche avant de parler. Plus jeune, on ne ressent pas la crainte de se répéter.

L’angoisse de l’auteur, voilà un de vos thèmes récurrents…

Ça me vient naturellement… mais les angoisses changent avec les années. Dans Lune i’envers par exemple, j’ai utilisé les distorsions temporelles comme un jeu, avec du sens: le même homme dans le même temps, à deux âges différents. Or je ressens la même chose, nous le ressentons tous: j’ai bientôt 50 ans, mais à mes yeux, j’en avais 25 hier. La semaine dernière, j’avais 20 ans. Le temps ne passe pas, le temps reste là. Comme un compost. Je n’ai jamais compris cette représentation du temps par une ligne. Le temps est une boule.

Cette exposition met aussi en avant votre rapport au cinéma: vous collaborez régulièrement, vous lui avez consacré des albums, et pourtant cette influence ne se retrouve pas telle quelle dans votre écriture…

J’ai un rapport très passionnel avec le cinéma, mais mes BD ne sont pas cinématographiques. La BD possède vraiment son propre langage, irréductible, pas transposable. On m’a déjà proposé des adaptations, j’ai toujours dit non. En fait, je joue un peu (Blutch apparaîtra dans le prochain film de Bruno Podalydès, Comme un avion, ndlr), et c’est presque comme écrire ou dessiner: un auteur n’est pas loin du comédien, on doit vraiment incarner nos personnages pour qu’ils existent. Mais je reste de toute façon dans l’image, je ne vais pas me mettre à composer une symphonie.

Quand verrons-nous enfin votre album de Tif & Tondu? C’est devenu une légende urbaine dans le milieu…

Depuis Lune, il m’est difficile de me remettre à mon bureau. La BD c’est un travail de moine-copiste, il faut vraiment que je me trouve un long moment, sept à huit mois, à ne faire que ça. Mais le projet me tenaille: comme je suis incapable d’écrire une « vraie » histoire policière, mon frère s’en est chargé. Et ce ne sera pas un regard distancié, mon intention n’est pas de prendre les personnages de haut. J’ai un grand amour pour le travail de Will. Ce qui me touche, et que je ne trouve pas ailleurs, ce sont de forts relents poétiques derrière la « simple » aventure. Et graphiquement, Will avait une énorme force d’évocation avec une grande économie de moyens. Je crois que c’est ça qui m’intrigue et me plaît dans cette aventure: l’épure. Est-ce que je suis capable de ça? D’habitude je me rassure en mettant beaucoup de traits, mais dans cette école-là, des Will, des Peyo, il y en a très peu, et c’est tellement vivant… En tout cas j’aime leur tête, je ne vais pas en changer. L’histoire se passera en 1985, une époque sans téléphone portable. Et avec beaucoup de fantaisie.

BLUTCH-BLANC & NOIR, JUSQU’AU 09/05 À LA GALERIE CHAMPAKA. 27 RUE ERNEST ALLARD À 1000 BRUXELLES WWW.GALERIECHAMPAKA.COM

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