Bastien Vivès: « Je suis assez remonté sur les mesures prises en France »

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Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Avec Quatorze juillet, Bastien Vivès se met au polar poisseux et intimiste, pour raconter la France post-attentats. Un récit anxiogène à l’atmosphère pesante, jouant le trouble entre victime et bourreau. Rencontre.

Un village du Vercors, dans la chaleur déjà pesante d’un début d’été. Le jeune gendarme Jimmy Girard a basculé, depuis la mort de son père, dans un quasi mutisme et une grande solitude. Quand viennent s’installer au village le peintre Vincent Louyot et sa fille… Le petit homme, très « houellebecquien », est encore sous le choc de la mort de sa femme, tuée au cours d’un attentat, « celui du Leroy Merlin » -sa fille Lisa, elle, ne demande qu’à vivre et à jouir de sa jeunesse. L’acte désespéré de l’un, qui n’a pas choisi ce village par hasard, et la psyché paranoïaque et sacrificielle de l’autre, vont soudain se croiser, se compléter et mettre en place un engrenage infernal qui trouvera son climax lors de la Fête nationale, ce fameux Quatorze juillet… Un peu lassé des récits intimistes après Le Chemisier et des années de Last Man, Bastien Vivès avait envie de se frotter à un nouveau genre, et surtout de raconter cette France rance qui se referme sur elle-même, et ce bien avant le confinement.

Bastien Vivès:

Même si tu restes dans une veine intimiste, on peut dire que c’est ici ton premier « vrai » polar, un récit de genre.

Je n’avais plus envie d’une histoire d’amour, même s’il en est question ici aussi, mais d’un policier, un genre très français, qui a eu des chefs-d’oeuvre et un public. Quand j’ai rencontré Martin, qui vient du documentaire, il m’a très vite proposé un pitch avec les attentats en toile de fond, la fuite, la recherche d’un havre de paix. J’avais aussi envie de changer de décor, marre de Paris, et de partir vers quelque chose de plus réaliste, avec comme figure principale ce gendarme, qu’il a fallu rendre complexe. Parmi les événements qui m’ont marqué ces dernières années, il y a eu la mort du lieutenant-colonel Beltrame (qui s’est sacrifié lors d’une prise d’otages en 2018, NDLR). Aurait-il eu le même geste héroïque s’il n’y avait pas eu les attentats? C’est le genre de question qui m’obsède, et qu’on retrouve ici.

Avec, comme toujours, beaucoup de références cinématographiques dans ton dessin et tes mises en scène, plus cette fois du côté de Téchiné ou de Tavernier que de Sautet.

Oui, j’ai aussi beaucoup pensé à American Sniper d’Eastwood, pilier du cinéma post-11 Septembre. Mais un film comme L.627 de Tavernier m’a beaucoup marqué, le Lacombe Lucien de Louis Malle aussi, et puis le cinéma de Doillon, de Téchiné, de Stéphane Brizé aujourd’hui… Cette manière toujours très naturaliste de capturer les émotions les plus fortes: juste avec des gros plans, chez les meilleurs réalisateurs, on sait à quoi pensent leurs personnages, on doit à peine le verbaliser. C’est ce que je cherche aussi dans mes BD. Un médium qui a un avantage sur le cinéma, où on ne peut pas faire de pause sur une image. Or en BD, si l’image est forte, elle peut happer le lecteur, le faire s’y arrêter, lui faire comprendre que le moment est important. Et installer une atmosphère. J’ai d’ailleurs beaucoup sué sur cette histoire pour essayer d’y arriver, j’ai beaucoup dessiné, beaucoup jeté, presque une centaine de pages.

On sent aussi l’envie de capturer l’esprit de l’époque, fut-il déprimant, inquiétant ou indigne…

On voulait regarder la France en face, et représenter un lieu qui peut abriter aussi bien le rêve que le cauchemar français. Et aussi se persuader qu’il faut en sortir, passer à autre chose, sortir de cet engrenage complètement anxiogène…

L’image de fin, qu’on ne dévoilera pas, est donc très importante.

Oui, comme la dernière phrase qui l’accompagne: « Qui voudrait de ça dans son salon? » Qui a vraiment envie de vivre dans une telle ambiance?

Quatorze juillet, de Bastien Vivès et Martin Quenehen, éditions Casterman, 256 pages. ****

Bastien Vivès:

« Se réemparer très vite de la vie d’avant! »

Bastien Vivès et son Quatorze Juillet ont fait partie des premières victimes collatérales du coronavirus et du confinement qui a suivi. « Il est sorti le 11 mars. Ça a duré trois jours. Les libraires l’avaient reçu, les affiches étaient prêtes. Puis fini. On refera peut-être une sortie plus ou moins officielle après tout ce bordel, on verra à ce moment-là. Là, je suis à Fécamp, c’est sans doute plus agréable qu’à Paris; on était en vacances, on n’est pas revenus. Mais même ici, il y a un flic à chaque carrefour… J’ai plus ou moins de quoi bosser. Pas vraiment sur des planches, mais je fais du découpage. Et de la gouache. Je vais peut-être m’essayer à la couleur directe pour le prochain album -un récit érotique de nouveau. Le numérique, je n’en peux plus. Quatorze juillet m’a complètement rincé. » L’ambiance lourde du confinement à la française et les résonances qu’elle trouve dans son propre récit ne manquent d’ailleurs pas de le heurter. « Je suis assez remonté sur les mesures prises ici, sur la privation de liberté, sur le fait que les livres ne sont pas considérés comme des biens de première nécessité, sur le fait qu’on ferme les petites structures, mais qu’on laisse ouvert Carrefour ou Amazon. Cet état d’urgence permanent, cette tendance totalitaire, est en train de rentrer dans les moeurs, elle vient s’additionner à tout ce que je percevais déjà avant: la montée des extrêmes, de la haine, des réflexes sécuritaires… La France est lourde. »

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