Critique | Livres

Antoine Chainas – Pur

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

POLAR | La montée de l’extrême-droite se lit aussi dans les polars français. Chainas imagine le pire, entre tuerie raciste, complots politiques et résidences sécurisées.

Antoine Chainas - Pur

Douce France… A l’heure où le FN deviendrait selon les sondages le premier parti du pays, et qu’il vient de remporter une élection dans un canton du sud, les lendemains imaginés par Antoine Chainas prennent, déjà, une autre dimension -comme avant lui Le Bloc de Jérôme Leroy, déjà dans la Série Noire. Dans la France imaginée de Pur, qu’il faut situer en 2014 plutôt qu’en 2020, ce sud qui fleure si bon le pastis et la lavande, sent désormais le rance: les « gated communities » -ces résidences ultra-sécurisées et privatives qu’on croyait réservées aux riches retraités ricains- poussent comme des champignons. Un monde dans le monde s’y développe, coupé de la misère, saturé de caméras et de bonne conscience, et dont les rares étrangers, triés sur le volet, ont au moins le bon goût d’être riches. « En un sens, nous sommes les ultimes philanthropes », assène l’un d’eux.

Pendant ce temps, sur la Nationale, de l’autre côté des barrières et des gardes privés, un sniper flingue des Arabes. Les politiciens locaux de droite extrême, la ligue fasciste Force et Honneur et quelques flics pourris y voient une belle occasion de souffler sur les braises. Sauf que le roman commence par la mort de Sophia, la femme bien blanche et bien riche de Patrick, lequel a perdu le contrôle de sa voiture sur cette même Nationale. Erreur de sniper, vengeance raciste? Ou encore tout autre chose: Patrick est l’un de ces hommes qui trient, sans pitié, les candidats aux « gated communities »… et la clé de ce polar engagé, désespéré et asphyxiant, comme toujours chez Chainas.

Viscéral et nihiliste

Quand les fantasmes du contrôle, de l’autarcie et de l’auto-surveillance s’invitent dans un polar de Chainas, on sait d’avance que l’on va se régaler, et souffrir en même temps. Fidèle à une certaine tradition du polar hexagonal, social et engagé, jusque dans ses excès ou raccourcis, l’auteur n’épargne rien ni personne: tous coupables de ce délabrement collectif. Mais même engagé, ce Pur reste d’abord un redoutable polar, axé sur l’action, les dialogues et une narration exigeante et maligne, multipliant les points de vue. Ce roman noir n’est pas le meilleur de Chainas (on lui préfère son précédent, Une histoire d’amour radioactive) et il y abuse de phrases inutilement alambiquées -Chainas n’écrit pas « Il faisait frais », mais bien: « Une brise fraîche, portée par une masse d’air maritime dans la troposphère, leur apportait un soulagement ponctuel via les corpuscules de Meissner du derme papillaire. » N’empêche: Pur est d’évidence nourri par les traductions que l’auteur fournit aussi à la Série Noire, de Matthew Stokoe au récent Michael Olson: les mêmes univers désenchantés, filtrés de toute empathie. La patte Chainas.

  • POLAR D’ANTOINE CHAINAS, ÉDITIONS SÉRIE NOIRE GALLIMARD, 308 PAGES.

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