Agent littéraire: un métier qui prend du galon en Belgique

Longtemps dans le monde francophone, seule une petite élite littéraire faisait appel aux services d’un agent. Les choses changent… © BELGA/BELPRESS
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Leur essor était inscrit dans les astres, leur importance va crescendo: le métier d’agent littéraire est de plus en plus présent en France et en Belgique. Un presque nouveau job qui ne sera pas sans conséquences sur l’offre éditoriale.

C’était il n’y a pas si longtemps une « exception culturelle » francophone très remarquée depuis l’étranger, et l’expression, sans doute, de l’idée romantique que l’on se faisait de la relation censée liée l’auteur et l’éditeur qui le découvre: en France et en Belgique, lagent littéraire était extrêmement rare, et réservé à une petite élite d’écrivains, assez célèbres, traduits ou adaptés que pour avoir besoin d’être secondés dans la gestion de leur œuvre. Un rôle un peu flou, entre le facilitateur, l’avocat et le coach et qui en plus -non mais quelle horreur- osait venir parler argent et affaires dans la maison littérature. Une faute de goût que l’édition francophone laissait volontiers aux Anglo-Saxons, qui ont eux, et depuis longtemps, développé une approche diamétralement opposée de la chaîne du livres et de ses maillons: là-bas, comme presque partout ailleurs désormais, et pour reprendre les mots de la plupart de nos interlocuteurs, « il n’y a pas d’écrivain sans agent! »

Mais ça, cette exception, c’était donc avant. Avant que l’offre de divertissement culturel n’explose, que les arts populaires (livres, BD, ciné, séries, théâtre, podcasts, audiolivres, traduction…) ne se nourrissent les uns des autres, que le Net et les réseaux sociaux ne démocratisent l’art d’écrire et parfois d’éditer, et que le métier, tout comme le lectorat, ne se féminise massivement, ouvrant la voie à de nouveaux besoins, et à une nouvelle sororité. Et aussi qu’en Belgique, le législateur ne permette enfin à un opérateur de s’enregistrer sur le marché de l’emploi comme « Agent artistique – Placement d’artistes ».

Il y a dix ans encore, un tel métier n’existait pas dans leurs listings et pouvait même s’assimiler à du proxénétisme, l’agent se rémunérant effectivement sur le travail d’un autre! Autant d’évolutions économiques, éditoriales ou légales qui permettent aujourd’hui, pour le meilleur et parfois pour le pire, de lâcher les chevaux de l’agent littéraire: s’il n’y a encore que 10 % d’autrices et auteurs édités représentés officiellement par des agents en France, encore moins en Belgique, l’offre et la demande explosent. Littéralement.

Stéphane Levens

Affaires et (dé)charge mentale

« La première fois que j’ai été amenée à mettre un pied dans ce métier-là, c’était comme « apporteur d’affaires », un terme encore plus affreux qu’ »agent »! », explique la Bruxelloise Stéphane Levens, de l’Agence Levens, active depuis plus de quinze ans en tant qu’attachée de presse, mais qui embrasse désormais officiellement les activités d’agente littéraire. « Des activités avec beaucoup de capillarité, mais dans une dynamique tout à fait différente. En tant qu’attachée de presse, en Belgique, tu es toujours le dernier maillon de la chaîne. En tant qu’agent, je suis le premier.« 

Camille Blin, Française mais Bruxelloise d’adoption, a, elle, fondé Une Agence à Soi il y a seulement quelques mois, après douze ans passés dans les équipes éditoriales des éditions Le Lombard (BD), et confirme cette évolution des termes et des activités: « Des « apporteurs d’affaires », de contrats, j’en avais vu quelques-uns en tant qu’éditrice. Il apporte l’affaire, il a passé la porte, mis en relation des auteurs et un éditeur, il sera payé pour ça (généralement sur un pourcentage des ventes, NDLR), mais il ne suivra pas le projet, il ne négociera pas pour l’auteur, et il n’aura aucune obligation de le défendre par la suite. Tout le contraire de l’agent, qui signe un contrat avec l’auteur ou l’autrice, avec des obligations de représentation et de bon suivi. Et qui ne sera rétribué que lorsque l’auteur lui-même aura signé son contrat d’édition. » Une rétribution qui tourne alors autour des fameux « 10 % » rendus célèbres par la série du même nom, consacrée aux agents artistiques dans l’audiovisuel. Camille Blin est un peu plus précise: « 15 % dans l’édition, 10 % dans l’audiovisuel, 20 % dans la pub ». Avec des contrats et des missions aussi variées que les auteurs qui les sollicitent: recherche d’un éditeur pour les primo-écrivains (ou les écrivains en quête de nouveaux éditeurs), relecture et négociation des contrats (édition, adaptation, traduction, droits d’exploitation…), « editing », suivi de la promotion, gestion des conflits, accompagnement d’écrivains pas toujours préparés « au temps très long de l’édition, avec énormément d’appelés mais extrêmement peu d’élus »

Si chaque cas est particulier et chaque agence différente, Stéphane Levens et Camille Blin se rejoignent sur quelques impératifs de ce nouveau métier: « Du réseau. Du mailing. Être dans l’humain et la littérature, pas dans l’argent. Surveiller et démarcher. Refuser beaucoup de demandes. Y croire à chaque fois. » Et si les deux comptent déjà quelques succès et beaux clients très divers à leur catalogue (lire ci-contre), force est de constater qu’il concerne essentiellement des néo-autrices, arrivées en masse ces dernières années sur le marché de l’écrit et du dessin.

Camille Blin

Camille Blin est plus précise encore, et assume son « prisme féministe« : « J’avais déjà remarqué, dans ma carrière d’éditrice et sans faire de généralités, que les femmes, à cause de stéréotypes de genre souvent intériorisés, ne se sentent pas légitimes, n’osent pas négocier ou se dirigent vers de plus petites structures. Une étude menée dernièrement en France par la Charte des Auteurs et Illustrateurs pour la jeunesse a démontré ce ressenti: souvent, une femme autrice ne sent pas la légitimité d’obtenir un gros contrat ou de re-négocier. Elles se sous-évaluent. D’où ce rôle d’agent littéraire. Mon rôle, c’est de libérer les jeunes autrices ou illustratrices, parfois mères de famille, de leur charge mentale et de tout ce qui n’est pas création, et de leur apporter des contrats qu’elles n’auraient pu démarcher seules. »

Gare à l’arnaque

Reste un biais, qui prend lui aussi de l’ampleur en même temps que le métier: gare aux agents troubles, voire aux arnaques pures et simples. En quelques clics, le primo-écrivain qui n’a pas toujours beaucoup de recul sur lui-même et sa création, se voit promettre la lune. « Et si votre manuscrit était le prochain best-seller? », allèche ainsi une plateforme de soi-disant agents littéraires mais surtout d’autopublication (entendez « auto-financée ») promettant édition, suivi, veaux, vaches, cochons et couvées. Pour l’essentiel, du flan et de très mauvais livres très laids qui ne seront jamais ni lus ni distribués. L’écrivain de demain devra se choisir un bon agent littéraire, comme jadis il devait se trouver le bon éditeur.

Preuves par l’exemple

Lisette Lombé, Hervé Le Tellier, Sophie Wouters, Émilie Plateau… Ils sont nombreux, écrivains, scénaristes ou dessinateurs, à désormais se faire épauler par un agent littéraire.

Stéphane Levens, avec son agence du même nom, peut être contente de sa rentrée et de son année: Lisette Lombé est devenue une « poétesse nationale » très demandée, Cécile Hupin a publié son premier livre, Ne pas nourrir les oisaux , successful, chez 180° Editions, Sophie Wouters a écoulé 6 000 exemplaires de son Célestine (chez Hervé Chopin) et la Bruxelloise Daphné Tamage vient de publier Le Retour de Saturne, « la seule Belge de la rentrée chez Stock!« . Ces quatre autrices ont signé avec elle un contrat et des clauses d’exclusivité. Camille Blin lance elle aussi en beauté son Agence à Soi: elle y référence déjà, à des degrés divers, une douzaine d’autrices entre BD, illustration et roman, parmi lesquelles Émilie Plateau, Marzena Sowa, Marie Dubois, Aude Mermilliod ou Marie Spénale. Ces deux agences belges parmi les rares à exister ne font pas encore de l’ombre aux quelques géants français, véritables entreprises présentes depuis quelques années sur un marché que la Belgique envie (et recherche: la majorité des demandes d’auteurs portent sur des manuscrits belges à placer auprès d’éditeurs français, « c’est mathématique s’ils veulent vivre un jour de leur plume« ). Pierre Astier, ancien fondateur et éditeur du Serpent à Plumes est sans doute le plus connu et le plus puissant. Avec Pierre Astier et Associés, fondé en 2006 et devenu par la suite de fusions-acquisitions-partenariats Astier-Pécher International Literary & Film Agency, il gère la carrière, les œuvres, les adaptations et les traductions d’une centaine d’auteurs, de Hervé Le Tellier à Antoine Wouters.

Ariane Geffard est l’autre nom qui revient souvent dans les conversations. Avec son associée Laura Biberson, elle a créé il y a huit ans l’Agence Ariane Geffard, qui a « pour vocation de représenter aussi bien des voix émergentes que des talents confirmés dans trois secteurs: l’édition, l’audiovisuel et la gastronomie« . Une agence orientée, comme celle de Camille Blin, vers le féminisme, la sororité et les textes engagés, et qui a tiré le gros lot avec Mona Chollet, désormais best-selleuse de la cause -son Sorcières s’est écoulé a plus de 300 000 exemplaires.

Du côté de la bande dessinée, c’est l’agence artistique Quelle Belle Histoire, fondée en 2008 à Paris par Christophe Ledannois, qui donne le la à ce maillon de la chaîne, en se consacrant « entièrement à la représentation de scénaristes, réalisateurs, auteurs de bande dessinées et créateurs graphiques« . Le Belge David Vandermeulen a ainsi fait appel à ses services pour gérer le paquebot de l’adaptation de Sapiens en BD et sa vingtaine de traductions. Il existe aujourd’hui 35 agences littéraires reconnues en tant que telles en France et membres du SFAAL (Syndicat Français des Agents Artistiques et Littéraires).

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