7 auteurs, 7 photos trouvées, 7 nouvelles

© Cyrus Pâques
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Depuis plus d’un demi-siècle, la librairie Pêle-Mêle du centre de Bruxelles vend et achète des livres usagés. Mais depuis deux ans, elle affiche sur ses murs les photos qu’elle y retrouve. Cet été, Focus publiait une série de nouvelles s’en inspirant qui connaît aujourd’hui une seconde vie chez ONLiT éditions.

Cinquante ans de belgitude dans un « face wall », mais ce coup-ci pas du tout virtuel: l’image, les images, les centaines d’images, vous saisissent en passant la porte, côté « achat » de Pêle-Mêle. La petite porte à la gauche de la grande, battante, que des générations entières de Bruxellois ont franchie un jour: la mère qui cherche à petits prix les livres scolaires et les lectures obligatoires de son rejeton, le vieux féru de littérature qui s’en mange deux par jour, le jeune fauché qui ne veut pas mettre plus de 3 euros dans un bouquin. Presque tout le monde, depuis le temps. La petite porte de Pêle-Mêle donc, sur cette portion du boulevard Lemonnier vouée à la seconde main et à l’objet pas cher, culturel ou non. Ici, on ne vient pas acheter, mais vendre. Parfois cinq livres, parfois trois caisses. Plus rapide que la brocante, moins radin que d’autres, sélectif juste ce qu’il faut, discret et sans fioritures: qui n’est pas passé un jour revendre des livres chez Pêle-Mêle? Des livres, et les signets qu’on y oublie. « Le top 3 des signets, il est vite fait, résume Pierre De Wolf, gérant du lieu. Le PQ et les serviettes en premier: on se rend compte, nous, chaque jour, à quel point les gens lisent aux toilettes! Ensuite les vrais signets, promotionnels ou autres. Et puis les photos. Chaque jour, en classant les nouveaux livres reçus, on en retrouve. Pendant longtemps, on les a mis dans des caisses, ça ne fait que deux ans qu’on en choisit pour les accrocher au mur. Mais on ne les met jamais à la poubelle. On ne jette pas la vie des gens. »

Le riche et le pauvre

Ici, les livres, tous les livres, défilent. Des vieux Atlas aux classiques, des best-sellers aux livres-photos, de la BD à la Pléiade, du cadeau à peine lu au service de presse juste écorné. Tous les livres, et tous les publics. Peut-être un des derniers lieux de vie où se croisent, concrètement, le riche et le pauvre, l’intellectuel et l’homme pressé. Un vivier rare et riche dont on comprend vite pourquoi il a convaincu Pierre, le gérant, d’y consacrer déjà quinze ans de sa vie, après une formation de psychologue. « Ici, c’est un melting-pot. Tu vois défiler des grandes familles, des universitaires, des rabatteurs qui en font presque un métier, et bien sûr beaucoup de gens, de plus en plus, pour qui vendre un livre est un moyen de subsistance. Deux euros, c’est deux euros. » Et dans le type de livres que l’on vient vendre, c’est encore l’éclectisme qui prime. « Notre sélection n’est jamais figée, les priorités changent chaque semaine en fonction de la période de l’année, des stocks, de tout un tas de choses. Les best-sellers, ça se vend mais ça se brûle vite. Là, des 50 nuances de Grey, on en a déjà trop, on les refuse. Nous-mêmes, deux fois par semaine, on évacue de sept à dix containers plein de bouquins à Bruxelles-Propreté. On a en permanence plus de 60.000 références en magasin, mais on ne tient pas le listing des entrants et sortants, il y en a trop. » Mais tous, et dans tous, oublient des photos.

7 auteurs, 7 photos trouvées, 7 nouvelles
© Pêle-Mêle

Nos Grottes de Han

C’est Maud qui a eu cette idée d’en accrocher, d’abord quelques-unes, aux murs du magasin. « Ça nous trottait déjà dans la tête, mais on avait cette fois deux murs blancs à notre disposition, après le réaménagement du comptoir « achat ». Mon truc à moi, ce sont les photos des années 60 et les photos ratées: les clichés flous, les doigts qui dépassent, les gens de dos, les polaroïds. Ils racontent quelque chose. Et on ne veut surtout ni les jeter ni les vendre. » Pierre confirme: « Il n’y a pas de critères, on ne jette rien mais on ne met ici que celles qui nous parlent, pour des raisons futiles ou pas. Ceux qui s’y reconnaissent peuvent bien sûr les récupérer, mais il faut vraiment que ce soit eux: beaucoup de gens tentent d’en récupérer ou d’en voler! » Et depuis le temps qu’il les a sous les yeux, Pierre met des mots sur la fascination qu’exercent ces murs d’instantanés, qui débordent désormais. « La photo dégage une meilleure image, presque plus authentique que le miroir. Et ici, c’est une intimité dénuée de personnalité, presque brute. Nos Grottes de Han à nous: il y a un peu d’esprit magique, d’âme, qui se dégage de ces photos où, en un clin d’oeil, on a tout Bruxelles sur 50 ans. L’évolution du port de la cravate à Bruxelles? Venez voir ici! »

7 auteurs, 7 photos trouvées, 7 nouvelles
© Pêle-Mêle

Chaque employé du Pêle-Mêle du centre-ville a en tout cas ses photos préférées. Pierre en pointe deux. « Un cliché qui doit dater de la fin des années 60. Une mère avec ses deux enfants, pas plus typée que ça. Banale, peut-être à Namur, dans la petite bourgeoisie. La photo est fabuleuse, la mère est très fière, comme elle ne le sera plus jamais, figée dans le temps. Et puis une autre (ci-contre), absolument succulente, d’un couple, peut-être, on ne sait pas. C’est une scène de vacances sur une terrasse, le type est en short, tout y est. On peut tous s’y projeter. » Le hasard et peut-être un certain esprit magique ont bien fait les choses: parmi les centaines de photos accrochées aux murs de Pêle-Mêle, c’est celle-là précisément qu’Olivier Bailly, notre premier auteur invité de l’été, a choisi pour s’y glisser. Et inventer son histoire.

Les nouvelles publiées cet été dans les pages de Focus connaissent une seconde jeunesse chez ONLiT éditions. Retrouvez-les via les liens ci-dessous sur le site de l’éditeur numérique:

  1. Paul Colize – Camille
  2. Emmanuelle Pol – Une seule fois
  3. Nicolas Ancion – La vieille, la chambre et la photo
  4. Luc Baba – Colorier l’invisible
  5. Olivier Bailly – Leurre du thé
  6. Renaud Coppens – Spoor drie in plaats van spoor zeven
  7. Philippe Tome – Les lunettes de Michael (à paraître)

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