[le livre de la semaine] Le Sang des bêtes: Gunzig, le dézingueur

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’écrivain belge mêle à nouveau surréalisme bien de chez nous et critique sociétale bien de son temps dans son dernier roman. Drôle et désespérant.

Qu’est-ce que j’ai fait de ma vie? La question, lancinante dans l’existence de Tom, vendeur chez Passage Fitness, une boutique de compléments alimentaires et de protéines pour body-builders, apparaît dès la première page du Sang des bêtes et planera tout au long du roman. Parce que Tom aborde la cinquantaine bien mal armé: les années de labeur et de développés-couchés qu’il lui a fallu pour obtenir « quinze kilos de muscles naturels, épaissis sans stéroïdes, à la seule force de sa volonté et par la prise quotidienne de 1,5 grammes de protéines pures par kilo de corps », ne suffisent plus à son bonheur, ou à son oubli: « la faim n’était plus là« . Or, « dans le coeur de Tom, quelque chose s’était mis à grandir: une matière sombre faite de la sédimentation d’émotions négatives« . Une colère qui « se renforçait sur le fait clair et terrifiant qu’il n’aimait pas l’homme qu’il était devenu et sur l’idée, plus terrifiante encore, qu’il n’était pas certain qu’il puisse en devenir un autre« . Heureusement, le destin, et son coquin de narrateur, vont lui faire rencontrer N7A, une étrange jeune femme qui va soudain mettre beaucoup de relativisme sur ses angoisses existentielles et ses problèmes familiaux, entre un père lâche, malade et martyr, une femme lasse, un fils introverti et une belle-fille vegan. Puisque N7A, comme son nom l’indique, serait née dans un laboratoire: « Je ressemble à une femme, mais génétiquement je suis une vache« . Un bovidé pas comme les autres, et qui va servir de décapsuleur à notre auteur, particulièrement vachard sur ses contemporains, mais aussi, et heureusement, sur lui-même.

Plus feel good que Feel good

Un homme légèrement torturé en pleine crise de la cinquantaine, qui se débat avec ses origines juives et un corps qui lui semble trop malingre pour lui: il y a probablement dans Le Sang des bêtes assez d’éléments pour considérer, comme son éditeur, qu’il s’agit là effectivement du « plus sensible et personnel des livres de l’auteur« . Un auteur qui s’amuse beaucoup, comme ses lecteurs, en décrivant ce monde étrange du body-building -« Un mass gainer? C’est de la whey avec un supplément de lipide et de glucide« – mais qui revient aussi sans cesse à ce qu’il sait faire, sans doute de mieux: se moquer de ses contemporains et de ses propres travers pour ne pas en pleurer. À ce petit jeu, tous les maux actuels y passent et trépassent: identité, génétique, véganisme, écologie, martyrologie… Moins violent mais tout aussi transgénique que Manuel de survie à l’usage des incapables et paradoxalement plus feel good que Feel good, ce Sang des bêtes est en réalité un parfait résumé -voire condensé- des précédents romans du Prix Rossel 2001.

Le Sang des bêtes

Roman. De Thomas Gunzig, éditions Au Diable Vauvert, 234 pages. ***(*)

[le livre de la semaine] Le Sang des bêtes: Gunzig, le dézingueur

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