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Comment l’hyperpop est devenue le style musical le plus influent du moment

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Niche musicale née sur le Net, l’hyperpop est devenue l’un des styles les plus influents de ces dernières années. Décryptage avant la soirée des Nuits Bota consacrée à PC Music, label phare du genre.

Au départ, c’était censé n’être qu’une passade. L’une de ces modes éphémères, comme l’industrie musicale aime en générer jusqu’à l’écœurement. Près de dix ans après ses premiers frémissements, l’hyperpop est pourtant toujours là. Mieux: née dans la marge, cette version over the top de la pop électronique n’a jamais semblé autant infiltrer le mainstream. On la retrouve aussi bien chez Madonna ou Lady Gaga que parmi la nouvelle génération, de Rosalía à Lil Nas X.

Dans les charts, la star anglaise Charli XCX est un peu le cheval de Troie de ce qui est devenu un vrai mouvement. Avec Crash, son cinquième album sorti à la mi-mars, elle est en train de réaliser son plus gros succès, numéro 1 en Grande-Bretagne, rentrant pour la première fois dans le top 10 du Billboard américain. Certes, le disque en question s’éloigne de ses précédentes expérimentations. Mais sans jamais complètement renier l’esthétique qu’elle a contribué à définir, avec d’autres.

Même la sphère francophone est touchée, avec des artistes tels Oklou, Nömak, etc. En Belgique, ses “adeptes” se nomment Promis3, un duo anversois, ou Ascendant Vierge, autre binôme, français celui-là, constitué du producteur Paul Seul et de la chanteuse Mathilde Fernandez, basée à Bruxelles. Les deux formations seront présentes aux Nuits Botanique, ce 13 mai. Quelques jours avant (le 7), le festival a programmé une autre soirée du même topo, dédiée celle-là au label PC Music. Fondée par A. G. Cook, l’enseigne anglaise est sans doute celle qui représente le mieux le phénomène.

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Nouvelles radicalités

Au début des années 2010, Alexander Guy Cook étudie encore la musique au Goldsmiths College de l’Université de Londres. C’est là que ce fils d’architectes, né en 1990, retrouve Danny L Harle, ancien compagnon de classe. Celui-ci sera l’un des premiers pensionnaires de PC Music. Officiellement, le label/collectif est lancé en 2013. L’idée de départ est simple: créer une musique électronique à la fois bricolée et maximaliste, singeant tous les codes du mainstream, le poussant jusque dans ses retranchements. En 2015, une première compilation est publiée, PC Music Volume 1. Une dizaine de titres qui frappent par leur radicalité: hypersynthétiques, hyperaccrocheurs, hypermélodiques. Bref hyper… pop, quasi jusqu’à la provocation. Qui l’eût cru? Alors que le rock et le rap sont rentrés peu ou prou dans le rang, c’est du côté d’un genre souvent vu comme insipide que déboule l’alternative. Comme l’écrit le célèbre critique Simon Reynolds, “zappant les stratégies underground conventionnelles comme le bruit ou la dissonance, l’hyperpop affirme que la joliesse mélodique absolue de la musique commerciale contient ses propres excès, son propre extrémisme”.

Résumons: comme son nom l’indique, l’hyperpop est d’abord et avant tout “trop”. Trop forte, trop brillante, trop clinquante. Trop dégoulinante aussi. Ici, le côté cheesy de l’eurodance est revendiqué, le kitsch de l’EDM, célébré. On n’hésite pas à référencer Britney Spears ou Eiffel 65, Céline Dion ou O-Zone. Quitte à tomber dans la farce et l’ironie? Le flou est (volontairement) maintenu… Le cas du Friday de Rebecca Black est un bon exemple. Sorti en 2011, le morceau a longtemps été raillé sur le Net comme la “pire chanson de l’Histoire”. Aujourd’hui, certains le considèrent comme l’un des premiers exemples d’hyperpop. Notamment pour sa capacité à créer le trouble, comme saboté de l’intérieur par cette voix nasillarde bizarrement pitchée, sur une mélodie teenage dégoulinante.

Disparue l’an dernier, SOPHIE n’a jamais tranché entre mélodies pop et expérimentations sauvages.
Disparue l’an dernier, SOPHIE n’a jamais tranché entre mélodies pop et expérimentations sauvages. © getty images

Le genre d’ambiguïté que l’on peut aussi retrouver par exemple dans la K-pop et l’esthétique kawaii (“mignon” en japonais), autres influences avouées de l’hyperpop. Dès 2014, par exemple, SOPHIE, la productrice écossaise affiliée à PC Music, collaborait avec Kyary Pamyu Pamyu, “icône” de la culture kawaii, souvent présentée comme la Lady Gaga japonaise.

Née sur le Net, l’hyperpop n’a jamais eu de mal à sauter les frontières -entre les territoires, comme entre les styles. Disparue tragiquement l’an dernier, la pionnière SOPHIE est un bon exemple. Elle a travaillé aussi bien avec la Française Yelle qu’avec le rappeur américain Vince Staples, Charli XCX, Madonna ou le producteur vénézuelien Arca. En l’occurrence, Internet ne facilite pas seulement la circulation de l’hyperpop, il la façonne.

À la faveur de la pandémie

Planquée derrière son laptop, l’hyperpop se love dans la culture du Net, calquant son rythme hyperactif sur celui des écrans qu’on scrolle frénétiquement -“Le monde tourne aussi vite que ne défilent les images d’Instagram”, expliquait le créateur Virgil Abloh. Elle est la musique d’une génération Z pour qui le Web n’est plus une commodité ou un espace virtuel: il est la réalité, s’incrustant dans le moindre recoin du quotidien.

Ses adeptes ont commencé par expérimenter sur SoundCloud avant de se disséminer sur les plateformes de streaming -c’est quand Spotify a lancé une playlist spécialement dédiée au genre, en 2019, que celui-ci a vraiment décollé. Cette récente popularisation de l’hyperpop correspond également à celle de TikTok. Notamment pendant la pandémie. Interrogé l’an dernier par le magazine Billboard, Dan Chertoff, vice-président de RCA Records, l’affirmait: “TikTok est devenu une force marketing tellement énorme pour les nouvelles musiques -et je pense que c’est spécifiquement grâce à ça que l’hyperpop a explosé. Le style serait en effet idéal pour accompagner les courtes vidéos de la plateforme. “L’hyperpop est une pop music outrancière, expérimentale, très distinctive, et je pense que ça convient bien aux gens qui veulent rendre leurs vidéos uniques.

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Une simple recherche sur Google Trends confirme que le nombre de recherches au sujet du terme hyperpop a explosé en même temps que le premier confinement. Musique de geeks, elle a profité de la mise sous cloche de la pandémie pour gagner une nouvelle audience. Pendant le premier lockdown, Charli XCX a par exemple utilisé le temps flottant et l’isolement pour créer en direct un album. Seule chez elle, elle échangera messages et fichiers sonores par mail avec A.G. Cook, de PC Music, communiquant quasi en direct sur l’avancée du projet avec ses fans. Réalisé en six semaines, How I’m Feeling sortira le 15 mai 2020. À la fois mélodique et abrasif, sucré et métallique, il possède cette étrange qualité: il réussit à sonner aussi bien aux écouteurs que sur les simples sorties audio d’un PC portable…

Genre post-Internet, l’hyperpop s’épanouit complètement dans la “matrix”. Elle peut y projeter tous ses fantasmes, cultiver tous ses excès. Les lignes de démarcation habituelles entre bon et mauvais goûts, candeur et cynisme, sont ici floutées. Tout comme celles entre les genres. La communauté LGBT est très présente dans l’hyperpop. Restée longtemps évasive sur son identité, SOPHIE a révélé sa transsexualité dans la foulée de son premier album, le fantastique Oil of Every Pearl’s Un-Insides, en 2018 . L’an dernier, l’Allemande Kim Petras a été la première chanteuse transsexuelle à se produire aux MTV Video Music Awards. On peut encore citer le nom de Laura Les, moitié trans du duo 100 Gecs, qui évoquait par exemple son combat contre la dysphorie de genre dans le morceau How to Dress as Human; ou encore Dorian Electra, autre star hyperpop, qui se présente comme non-binaire. Les artistes trans ou queer ont toujours été présents dans la pop music. Mais, pour la première fois, ils sont aux avant-postes, utilisant les outils à leur disposition pour se réapproprier leur histoire -en usant par exemple des effets sur les voix, pitchées à tout va, troublant un peu plus les identités.

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Rage against the machine

En poussant les curseurs plus loin, ce n’est pas seulement la question du genre que l’hyperpop titille, mais aussi celle du transhumanisme. Où est l’Homme? Où est la machine? Les musiques électroniques n’ont cessé de relancer le débat. L’hyperpop plonge dedans, la tête la première. À sa manière: grinçante.

Fascinée par la réalité virtuelle, elle malaxe une musique mutante, faisant sans cesse des allers-retours entre mélodies robotiques et dérapages bien trop excessifs que pour ne pas être humains. Il faut par exemple écouter les 23 minutes de 1000 Gecs, l’album dix titres du duo américain 100 Gecs, sorti en 2020: hirsute, violemment synthétique, il donne volontiers l’impression d’avoir été conçu par une intelligence artificielle devenue folle. Pour la petite histoire, Laura Les et Dylan Brady ont décidé de réaliser le disque après avoir donné ensemble un DJ set lors de la deuxième édition du Minecraft Fire Festival, un événement… virtuel, organisé sur la plateforme du célèbre jeu vidéo.

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Dans son obsession pour l’artifice et sa célébration de la cyberculture, le genre prend un malin plaisir à produire des images à la fois ultraléchées et hyperréalistes. Au point de devenir “malaisantes”. Interrogée par Libération au moment de la sortie de son premier album, en 2019, l’Anglaise Hannah Diamond expliquait qu’elle recevait régulièrement des messages lui demandant de démontrer “qu’elle n’était pas un bot.On a lancé des théories comme quoi j’étais un avatar, on m’a mise au défi de prouver que j’existais.” À l’heure des deepfakes et des corps reformatés par la chirurgie esthétique, les visuels synthétiques d’Hannah Diamond pouvaient faire douter.

C’est à l’université que la Londonienne rencontre A. G. Cook. Étudiante en mode, elle s’amuse à photographier ses amis comme si c’était des célébrités. De son côté, Cook fait la même chose avec la musique. En lançant PC Music, il crée ses propres versions de tubes pop XXL. Il demandera à Hannah Diamond de s’occuper des pochettes. Avant de l’inviter à passer de l’autre côté du miroir et de devenir elle-même une star.

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Dès le départ, PC Music se présente donc comme un simulacre. Ou plutôt une simulation. La démarche intrigue, mais déstabilise aussi. Certains y voient une parodie. Une vaste blague, un poil potache, dont l’ironie ne tiendra pas plus longtemps qu’une hype saisonnière. Cela aurait été sans doute le cas si la musique du label ne s’appuyait sur un sous-texte plus politique. Dans un monde saturé d’images marketing, PC Music propose lui-même des visuels détournant logos et slogans publicitaires. En 2013, la première référence du label, un EP du producteur Easyfun, est accompagnée d’un artwork montrant l’amerrisage au milieu de l’océan d’un avion d’une célèbre compagnie aérienne low cost…

Dans sa communication, PC Music fait également du placement de produit pour une mystérieuse boisson énergisante, baptisée QT. Un an plus tard, Hey QT est le titre du (seul) single de la chanteuse… QT -alias l’Américaine Hayden Frances Dunham. Sur la pochette, l’artiste-performeuse a des airs de cyborg figé, tenant à la main la fameuse canette. De tout temps, la pop music a tenté de dénoncer le consumérisme qu’elle contribuait elle-même à alimenter. Avec PC Music, ces tentatives de subversion sont réactualisées, “updatées” à l’aune d’un monde 2.0, où l’Internet, loin de les avoir pacifiées, a exacerbé les dérives du capitalisme.

QT et sa canette énergisante: fausse pub, vrai marketing?
QT et sa canette énergisante: fausse pub, vrai marketing? © coolhandshake

En 2014 toujours, SOPHIE sortait le titre LEMONADE, sucrerie électro, mélangeant gimmicks bubblegum et rythmique titubante, répétant en boucle le mantra “I want lemonade”. Ironie du sort: un an plus tard, McDonald’s utilisera le titre pour l’une de ses pubs vantant une nouvelle boisson maison… Tel est pris qui croyait prendre? Certains ne manqueront en tout cas pas de dénoncer l’opportunisme de la démarche, voire la trahison des idéaux de départ. Éternel débat de l’artiste underground face à la machine, de David contre Goliath… À moins que la tactique ait changé? Espérer détruire le “système” de l’extérieur est manifestement vain. Le faire exploser de l’intérieur n’a pas donné beaucoup plus de résultat. Reste alors à forcer sa faillite, comme le prône “l’accélérationnisme”. Il ne s’agit plus de s’opposer au capitalisme, mais de le pousser toujours plus loin, jusqu’à l’autodestruction. Si c’est le cas, alors, l’hyperpop, dans ses beats effrénés, ses emphases électroniques, en serait en effet la bande-son “idéale”…

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PC Music label night, le 07/05, aux Nuits Botanique, avec Hannah Diamond, Felicita, Namasenda, Ö. Ascendant Vierge sera présent le 13/05, avec Coucou Chloé, Catnapp et Promis3. www.botanique.be

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