Les Marcel: une collection de passionnés s’expose au Bota

La collection éclectique d'un couple singulier. © luk vander plaetse
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Pas besoin d’être Pinault pour s’entourer d’art et l’aimer autant que la vie. Un couple (extra)ordinaire, Serge et Chantal R. Patt, le prouve en exposant sa fascinante et tentaculaire collection au Botanique.

« Collectionneur” rime-t-il désormais avec “sauveur”? Tout porte à le croire au sein du monde de l’art actuel. Souvent infusée au mythe de l’entrepreneur et de la réussite par le seul mérite, cette figure est aujourd’hui régulièrement appelée au chevet des musées et des institutions. Objectif? Pallier le manque. Logique à l’heure d’un contexte spéculatif incandescent et du reflux des politiques culturelles ambitieuses des états. Pour les multiriches en question, un profil plus que courant lorsque l’on évoque l’univers des collections, ces sollicitations sont une aubaine. Elles permettent de redorer une image souvent ternie par les activités polluantes et/ou socialement néfastes qui se cachent derrière les fortunes amassées.

Si l’on est plutôt sceptique quant à la générosité désintéressée et l’amour inconditionnel des artistes censés irriguer le mécénat -une opinion personnelle-, force est de reconnaître qu’il existe des figures échappant totalement à l’individualisme forcené caractérisant ce type de soutien culturel. Quand on rencontre Serge et Chantal R. Patt par une après-midi ensoleillée du mois de juin, on réalise d’emblée que ces deux-là n’ont rien à voir avec des capitaines d’industrie arrogants. Cette tout autre typologie prend la forme du visage maternel de Chantal, dont la profession est “surveillante dans une garderie”, et du regard tendre de Serge, “verdouilleur” pour les intimes, comprendre entrepreneur de jardin. Touchant, ce duo a choisi de présenter une partie de sa collection au Museum du Botanique dans une exposition baptisée Les Marcel. L’exercice n’est pas si facile à voir la mine inquiète de Chantal lorsqu’un étudiant effleure un piano disposé au rez-de-chaussée du lieu d’exposition dans le but de donner à entendre La Mariée mise à nu par ses célibataires même. Erratum musical, une partition de Marcel Duchamp ayant appartenu à John Cage. Idem pour Serge, pointant le moindre amas de poussière suspect ou la plus petite anomalie d’accrochage -un long travail dont Chantal s’est acquittée en cinq jours en compagnie de Grégory Thirion, le responsable des expositions.

Inventaire mental

À leur décharge, Chantal et Serge entretiennent un lien physique avec l’art qu’ils collectent. Autant dire que s’ils aimaient les grands crus, les intéressés les boiraient plutôt que de les laisser dans la cave pour qu’ils prennent de la valeur. Ce tandem bruxellois d’une cinquantaine d’années vit quotidiennement au milieu d’un paquet d’œuvres dénichées depuis le début des années 2000. En ce sens, la tenue de l’exposition Les Marcel a totalement chamboulé leur environnement, au point que ni l’un ni l’autre ne parvient à lire en ce moment, un rituel pourtant fondateur de leur existence d’autodidactes. Outre le fait qu’elle entend rester anonyme -“R.Patt” est un pseudonyme inspiré du célèbre urinoir de Duchamp dont on se souvient peut-être qu’il porte la signature “R. Mutt”-, cette cellule conjugale précise avant toute question qu’elle ne sait pas combien d’œuvres elle possède “mais on sait où tout se trouve, on a un inventaire mental”, qu’elle ne parlera pas d’argent -“ça nous énerve beaucoup”- et que Serge ne peut rester qu’une heure en raison d’un dos éreinté nécessitant des visites régulières chez l’ostéo. “Nous ne sommes pas des rentiers contrairement à que tout le monde pense, explique Chantal, nous nous levons tôt tous les matins pour aller travailler.” Serge de préciser: “On a vendu notre voiture, on ne prend jamais l’avion, on part peu en vacances.

Une question taraude: pourquoi donner à voir ces œuvres plutôt que d’en jouir tranquillement au vu des sueurs froides qu’un tel exercice représente -pour l’anecdote un ready-made de Sébastien Delvaux, un gobelet Starbucks portant le prénom “Marcel” a été jeté par l’équipe de nettoyage… avant d’être heureusement retrouvé? La réponse fuse, unanime: “Il n’y aurait aucun intérêt à garder tout ça pour nous.Chantal et Serge croient dur comme fer au rôle émancipateur de l’art. Comment pourrait-il en être autrement quand on sait que c’est l’art et la rencontre avec les artistes qui livrent le sens de leur existence? “Je n’étais pas destiné à être en contact avec les œuvres, analyse Serge. C’est en traversant les maisons et les jardins de mes clients que j’ai été interpellé. De fil en aiguille, je me suis mis à gratter pour comprendre. Un artiste menait à un autre, c’était super ludique, comme une partie de ping-pong. J’ai partagé mes révélations avec Chantal, qui a sauté dans le train.” Au départ de la collection, on trouve l’œuvre de Marcel Mariën, surréaliste belge décédé en 1993. “On a été subjugués par son travail qui reste d’une grande actualité. Après sa mort, personne ne s’y intéressait plus. Serge a compris qu’il fallait conserver sa mémoire, prendre soin de son héritage. C’est comme ça que tout a commencé”, explique Chantal.

Agencée sur deux niveaux, la collection en question n’égrène pas que des plasticiens relevant du surréalisme et de l’art moderne, le dada de Serge. Avec une sensibilité toute particulière pour les ramifications contemporaines de l’œuvre fondatrice de Marcel Duchamp, l’autre figure tutélaire de l’univers de Serge (ce dernier va jusqu’à se faire une tonsure en forme de comète lorsqu’il présente ses œuvres du maître, soit un clin d’œil à l’iconique photographie de Man Ray), Chantal a inscrit des signatures telles que Marc Buchy ou Kendell Geers, dont on sait la pratique plus frontalement politique, au générique de la collection. Cette diversité salutaire assure un accrochage d’une grande richesse dont il faut parfois renoncer à comprendre le sens, ou la référence, pour se laisser porter par le plaisir immédiat et poétique de la forme.

Les Marcel, Collection R. Patt, jusqu’au 30/07 au Botanique, Bruxelles.

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