Critique | Musique

Primavera: crème catalane

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Best of de l’été festivalier à venir, lieu de villégiature pour les stars de l’indé, le Primavera 2013 a vécu. De Blur à Jesus and Mary Chain en passant par Deerhunter, Goat et Thee Oh Sees, tempétueux récit barcelonais.

Comment reconnaît-on un festival dans un pays bouffé par la crise? « Les gens sont moins défoncés et on ne fait pas la file au bar », nous répond-on dans l’avion, low cost bien sûr, qui nous ramène de Barcelone. Plus de 150.000 personnes au total, la crème de la crème de l’indé… A première vue, pas grand-chose n’a changé du côté du Primavera Sound. Le service d’ordre fouille moins à l’entrée comme s’il ne voulait pas trouver les bouteilles de rhum planquées dans les futals ou à peine cachées au fond des sacs. Pour le reste…

« Il y a moins d’Espagnols qu’avant, assure un expatrié. Je ne sais pas s’ils peuvent se le permettre ou pas. Mais en tout cas, en cette période de crise, les Barcelonais consacrent leur fric à autre chose. Il y a quelques années, tout le monde se fixait rendez-vous au Primavera pour faire la fête. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. »

Les prix n’ont pas diminué pour coller à la situation que vit actuellement le pays. Ils ont même continué à grimper. Des tickets d’un jour sont encore disponibles à 80 euros. De quoi méchamment secouer un portefeuille et un compte en banque à sec de pauvre Catalan fauché.

« D’autant que la plupart des gens ici n’écoutent pas les groupes programmés au Primavera. Ils y vont pour l’ambiance, raconte le proprio de notre appartement. Pour l’instant, les habitants comme l’état essaient de gagner du fric sur tout. Le début des coupes budgétaires chez nous remonte à 2010. J’ai le sentiment que les Français sentent le vent venir et regardent à deux fois eux aussi avant de dépenser. Ils voient peut-être leur avenir en nous regardant. »

Primavera
Primavera© Jean-Marc Joseph

Trêve de pessimisme. Si toute l’affiche du Primavera ou presque vient de jouer en Belgique et/ou s’y arrêtera cet été, aucun festival au monde sans doute ne concilie avec une telle habileté les notions de quantité et de qualité. Les Swans, Shellac, Nick Cave, Fuck Buttons (nouveau disque en juillet)… Le Primavera tient ses habitués et compte parmi eux le fascinant Bradford Cox. Atlas Sound par-ci, Deerhunter par-là. Bradford est de toutes les éditions. Mais si certains profitent du festival pour passer quelques jours de vacances en Espagne, le grand dégingandé n’est pas là pour le soleil. Habillé d’une vieille robe qu’il a dû piquer dans le grenier de son arrière grand-mère, Bradford a l’air pâle comme un linge. Cette année, il donne deux concerts (et un troisième au pied levé pour suppléer Band of Horses) en mode Chasseur de cerf. Clap première. En forme et au taquet, le natif d’Athens, Géorgie, fait honneur à son Monomania. Sans doute le disque, qualifié par l’intéressé de garage nocturne, qu’on a le plus usé de 2013. Oh my deer!

The men who stare at Goat

Pour vivre heureux, vivons cachés. Tandis que Blur enchaîne les tubes (Girls & Boys, Coffee & TV, Parklife ou encore Song 2 en version ramassée) habité par l’énergie de gamins lâchés dans un magasin de jouets avec la visa de papa (rendez-vous à Werchter), les mystérieux Scandinaves de Goat avancent masqués. Goat est un collectif qui a connu un tas de configurations avant de sortir l’an dernier l’exceptionnel World Music, son premier album studio. Planqués derrière de drôles de costumes qui donnent à ses prestations des allures de cérémonie Vaudou et de Carnaval de Rio, les Suédois mitonnent une potion magique, et ont dû tomber dedans quand ils étaient petits, à base de Funkadelic, de Black Sabbath, de Fela Kuti… De kraut, de prog, d’afrobeat… Goat est jusqu’ici rare en concert et demande des cachets prohibitifs (comptez 10.000 euros pour un festival) mais cette chèvre tient de l’animal sacré. Funk. Tribal.

Goat
Goat© Jean-Marc Joseph

De Cannes à Barcelone, il n’y a qu’un pas. Mais si un réalisateur est plus à même que les autres de le franchir, c’est bien (David Lynch excepté) l’inimitable Jim Jarmusch. Jarmusch et Jozef Van Wissem se sont rencontrés en 2006 dans les rues de New York. Depuis, ils ont sorti une poignée de disques mariant luth et guitare. Leurs débuts posés, hypnotiques, envoûtants sont brisés tout net par l’arrivée sur la scène un peu trop voisine de Jesus and Mary Chain. Comme les formidables Mount Eerie se feront parasiter par ce gugusse d’Adam Green.

Officiellement déclaré mort en octobre 1999, The Jesus and Mary Chain avait ressuscité en 2007. Sortant de sa tombe et de sa torpeur pour une tournée rémunératrice passant par le béton de Primavera, déjà, et le sable de Coachella. Six ans plus tard, sans nouvel album sous le kilt, les Ecossais continuent de donner des concerts noirs, drogués et vaporeux. Moins bruyants qu’appliqués et consciencieux mais assez pertinents que pour défendre fièrement des albums de la trempe de Psychocandy. Ce n’est pas Scarlett Johansson cette fois, ni Jessica Paré, la Megan Draper de Mad Men, qui rejoint les frères Reid sur scène pour entonner le fameux Just Like Honey. Mais bien Bilinda Butcher, la chanteuse et guitariste de My Bloody Valentine à l’affiche le lendemain. Oui, cette année, au Primavera, on a regardé ses chaussures. Mais certainement pas de honte ou pour se mater les pieds gonflés par les kilomètres. Sans laisser son approche bruitiste écraser ses mélodies et faire fuir ceux qui tiennent un tant soit peu à leurs tympans, comme ça avait été le cas au Pukkelpop, la bande à Kevin Shields a défendu avec les honneurs m b v, son premier album, sorti en février, depuis 22 ans. Le shoegazing est mort. Vive le shoegazing.

The Jesus and Mary Chain
The Jesus and Mary Chain© Jean-Marc Joseph

En ces temps où il est devenu rare de partager un bout de scène et de concert (même quand on s’invite sur ses disques respectifs et qu’on joue l’un après l’autre dans un festival), le Primavera réserve toujours l’une ou l’autre surprise sympa à même de ré-humaniser cette impersonnelle industrie de la musique. Jay Mascis débarque donner un coup de gratte à Phoenix sur Entertainment que le Dinosaur Jr en chef avait remixé plus tôt dans l’année. L’usine à tubes française tourne à plein régime.

Splash

Depuis une dizaine d’années maintenant, motivés par les visées mercantiles des promoteurs, les ambitions chiffrées de leurs managers et comptables, leur propre appât du gain et éventuellement un petit coup de nostalgie plus ou moins artistique, les groupes indés prennent un malin plaisir à sortir un de leurs vieux disques du placard et à le jouer dans son intégralité. Le festival All Tomorrow’s Parties, pionnier en la matière, appelle ça Don’t look back in anger. D’accord quand The Cure fait sa trilogie. Quand Sonic Youth revisite Daydream Nation. Ou quand Lou Reed s’attaque à Berlin. Mais il représente quoi le Last Splash des Breeders récemment réédité dans une version de luxe pour ses 20 ans? Le 23457e album de tous les temps? Le pogo de la soirée de rhéto? Le matraquage MTV? La grande époque de Fun Radio? Inévitablement, on repense aux Dandy Warhols qui chantent Cool As Kim Deal au sujet de la bassiste des Pixies. C’est que l’Américaine n’a pas l’air de se tracasser. L’incontournable Cannonball, Invisible Man, No Aloha… Comme ça se fait d’habitude, les Breeders jouent le fameux disque dans l’ordre. Mode pilotage automatique. A l’ouest dans le cockpit. Dispensable.

Breeders
Breeders© Jean-Marc Joseph

La Californie…

S’il fait frisquet à Barcelone en cette fin du mois de mai,

le Parc Del Forum, temple de béton en bord de mer, a parfois des petits airs de Californie. Los Angeles et San Francisco sont dans la place. Tout baigne. Que ce soit à travers le psychédélisme Barrett/Byrds/Velvet/Kinks carillonnant et tordu de White Fence, la bande à Tim Presley, de la pure de chez pure, ou quand déferle la tornade Thee Oh Sees. Thee Oh Sees (n’oublie pas ton casque de mineur et tes muscles de crevette le dimanche soir à Dour ami festivalier) transforme le public de l’ATP en une mer agitée d’où s’élèvent de gros nuages de poussière. Rien ne peut entraver le tourbillonnant ouragan garage emmené par John Dwyer qui s’énerve par deux fois sur un membre du service de sécurité rudoyant ses fans. Muchas gracias.

Thee Oh Sees
Thee Oh Sees© Jean-Marc Joseph

L’édition 2013, c’était aussi Mulatu Astatke en auditoire, un Animal Collective retrouvé, Omar Souleyman en mode karaoké. Dope Body et son leader névrosé, Mac DeMarco dans le rôle du gentil grand dadais, la bonne surprise The Babies (le 17/6 au Kreun) et un Grizzly Bear toujours aussi distingué. Hasta la vista Primavera.

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