Critique | Musique

Deerhunter – Monomania

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

ROCK | Le chasseur de cerf Bradford Cox dégaine un album déviant au son crado et à l’évidence désarmante. Garage nocturne, mode d’emploi..

Deerhunter - Monomania

« Si on était ce qu’on chante, ça se saurait », prétendent souvent les artistes lors de leurs causeries promotionnelles. Mais en entendant Bradford Cox entonner « I ain’t got nobody left to take care of me. I can’t feel any of my extremities. They’re going numb. And I don’t know how long I can breathe », il est difficile de ne pas tenter le rapprochement avec ce qu’on imagine être, ou à tout le moins avoir été, l’état d’esprit voire le quotidien de ce personnage énigmatique présidant à la destinée de Deerhunter. Adepte d’une écriture quasi automatique, Cox est atteint du syndrome de Marfan. Une maladie génétique qui, si elle n’altère pas l’espérance de vie des patients quand ils sont pris en charge correctement, s’attaque tout de même à l’oeil, au squelette, au système cardio-vasculaire des malades et provoque une extrême maigreur.

Né à Athens, Géorgie, voici 31 ans, Bradford a vécu une enfance particulièrement solitaire après le divorce de ses vieux, s’est longtemps identifié à Edward aux mains d’argent. Et précisait jadis que l’évolution de ses goûts musicaux reflétait sa vie et son état mental. Enregistré à Brooklyn avec Nicolas Vernhes (Dirty Projectors, Animal Collective, Spoon…) dans sa Rare Book Room en janvier et février dernier, le formidable et perturbant Monomania est qualifié par ses auteurs de garage nocturne et constitue une pure merveille de disque pop, sale et enténébré.

La beauté et la crasse…

Si Cox débarquait il y a quelques semaines déguisé en Ramones sur le plateau de Late Night with Jimmy Fallon, ce n’est pas vers Joey, Johnny, Dee Dee et compagnie que tire pour autant Deerhunter. De punk, Monomania a surtout l’anticonformisme, le son, joliment crado, et l’esprit, foncièrement désabusé. A l’occasion la colère et un petit côté New York Dolls.

Tandis que l’obsédant et déglingué Neon Junkyard ouvre la virée de nuit dans un quartier de freaks mal léchés et que le furieux et strident Leather Jacket II croise sur le pavé les Pixies et le renouveau psychédélique californien, le guitariste Lockett Pundt (Lotus Plaza) prend les commandes sur The Missing et calme gentiment le jeu. Pensacola amène Deerhunter sur le terrain bancal des Strange Boys et Dream Captain abat la carte schizophrénique.

Avec Blue Agent, T.H.M., et Sleepwalking, ce nouvel album se fait plus pop et apaisé mais toujours aussi dérangé et désespéré. Monomania et son déluge sonore final, la ballade tarée Nitebike et le Punk de sortie…

Comme ceux du Velvet Underground, ce disque a tout. La beauté et la crasse. L’évidence et la profondeur. Et puis cette voix incroyable, reconnaissable entre 1000, enregistrée dans des micros pas chers.

Si beaucoup de groupes à leurs débuts excitants feraient bien de crever pour nous épargner leurs mauvais disques, on ne peut que souhaiter une interminable vie à Bradford Cox et Deerhunter. Aussi pénible soit-elle.

Deerhunter, Monomania, distribué par 4AD. ****

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