Vaut-il mieux une bulle de culture que des bulles au comptoir?

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Hop, un mois de plus sans bar et voilà donc un Crash Test S06E26 sous forte influence Adam Curtis où il est question de Claude Chabrol, de 1973, de Daft Punk, de Can’t Get You Out Of My Head, de Covid, d’avenir sinistre et du besoin impérieux d’en discuter au comptoir. On en reprend un?

Le télétravail rend libre, alors l’autre après-midi, plutôt que de boulotter, je me suis envoyé un très bon Claude Chabrol, Les Noces rouges, avec Stéphane Audran, formidable, et Michel Piccoli, lui aussi en feu. Le film date de 1973. « Fin sixties-début seventies, c’est vraiment la toute grande époque pour Chabrol, me suis-je d’abord dit: Que la bête meure, Le Boucher, Juste avant la nuit, Les Noces rougesNada aussi était bien fun… » Mais 1973, c’est surtout l’année où le film qui a littéralement explosé le box-office mondial est L’Exorciste, cette gentille rom-com où une jeune adolescente bilieuse amatrice de sex toys chrétiens rencontre un démon mésopotamien au patronyme de boîte disco. 1973, c’est aussi Soleil Vert, Serpico, Papillon, Mean Streets, Badlands, Amarcord, The Long Goodbye, L’Épouvantail, Westworld, The Offence, Breezy, The Wicker Man, Charley Varrick, Electra Glide in Blue, The Last Detail, Season of The Witch, The Crazies, Messiah of Evil, Cinderella Liberty, Le Magnifique et beaucoup d’autres encore, certains que je n’aime pas mais auxquels je peux reconnaître des qualités, certains que je n’ai jamais vus mais qui ont l’air bien cool et aussi quelques navets, bien sûr. Ce qui nous fait, en une seule année, toujours plus de bonnes choses à voir, pour tous les goûts et aux histoires très différentes, que sur tout le catalogue Star. « Du scénario sorti des tripes, pas des algorithmes« , pourrait-on résumer, non sans nostalgie de ce que permettait cette époque, y compris dans ce qui était considéré comme des blockbusters.

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Daft Punk n’est plus et ça jase tellement à ce sujet qu’il est manifeste que les réseaux sociaux et les gazettes viennent d’entrer en mode RIP alors que personne n’est mort. Un concept en soi, ça, coco: la nécrologie de personnes toujours vivantes. Tellement de la balle que genre trois jours après Daft Punk, on nous refaisait quasi le même coup avec Emma Watson, qui a cette semaine annoncé mettre sa carrière en suspens, le temps de visiblement se consacrer à son amoureux et à un enfant à venir. Prochaine tête de gondole à probablement bénéficier du RIP de son vivant: Quentin Tarantino, pas loin d’arrêter le cinéma pour se lancer en littérature. En ce qui concerne Daft Punk, j’entrevois sinon d’ici la suite: dans quelques mois, un producteur house anonyme nous sortira un morceau bien putassier et certains y verront la patte de l’un ou l’autre Daft, voire des deux ensemble. On croira savoir que c’est Thomas Bangalter sous un faux nom derrière la BO du prochain Gaspar Noé. On aura reconnu Guy-Manuel de Homem-Christo traînaillant à Los Angeles avec l’une ou l’autre couineuse de R&B. Après sa mort, les cinglés voyaient Elvis dans des sandwicheries et à la pompe à essence. Après leur soi-disant retraite, les geeks verront Daft Punk y compris là où ce sera Bob Sinclar.

En 2015, Mark E. Smith, feu le chanteur des excellents The Fall, et le scénariste Graham Duff ont écrit à quatre mains The Otherwise, un script de film d’horreur jugé « trop bizarre pour être tourné« . Selon le résumé dégottable sur Internet, l’histoire oppose le groupe The Fall perdu dans les landes isolées du Lancashire à un gang de bikers sataniques et aux esprits de rebelles jacobites. Sinistre couillonnade à la List of the Lost de Morrissey? À votre place, j’attendrais avant de juger, d’autant que le scénario, désormais d’autant plus inadaptable que Smith décédé en 2018, sort en bouquin dans les jours qui viennent et qu’on le dit « spirituel« , « choquant » et « vraiment effrayant« . Des motards sataniques sur la lande anglaise? Tiens, ça rappelle Psychomaniade Don Sharp! Sorti en 1973, bien évidemment!

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« C’est un documentaire qui raconte l’histoire de la femme de Mao, du Malcolm X anglais, de l’inventeur de la théorie de conspiration des Illuminatis et d’un rupin suicidaire qui s’est fait larguer par une mannequin. Ça parle du rapport à la réalité, de la fraction Armée Rouge, d’efficacité nazie, de comment rendre les gens passifs et de trucs qui se passent dans notre cerveau. La musique est super. Ils ont même trouvé le meilleur Raveonettes de toute la carrière des Raveonettes (ci-dessous). » Bref, je ne voudrais pas être à la place des journalistes culturels chargés de résumer Can’t Get You Out Of My Head, la dernière « oeuvre » en 6 parties d’Adam Curtis (toujours visible sur YouTube sans que les ayant-droits aient l’air de s’en offusquer). Une affaire drôlement riche donc, vachement plus riche que Bridgerton en tous cas. D’autant que j’ai oublié de mentionner qu’Adam Curtis y parle aussi d’Afeni Shakur, la femme qui prouva que les projets d’attentats violents des Black Panthers avaient été proposés au collectif par des policiers infiltrés, des débuts de l’intelligence artificielle et de la vision simplifiée du monde qui découle des algorithmes. Souvent fascinant, parfois un peu ennuyeux, cela se regarde sans déplaisir mais avec un gros arrière-goût de caca derrière les oreilles.

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Une sensation que je ressens de plus en plus régulièrement, surtout devant des documentaires et des fictions qui tentent d’imaginer notre avenir proche, comme aussi Black Mirror et Years & Years. L’actuelle ambiance Covid m’ennuie comme un dimanche de pluie. Je n’irais pas jusqu’à dire que cela ne me fait ni chaud ni froid, mais cela ne me passionne pas. Les gesticulations des virologues et des politiciens m’ont l’air de simplement tenir du cirque ridicule. Je subis, j’attends que ça passe, mais tout cela ne me donne pas ce fameux arrière-goût de caca dans la bouche. Le présent n’est qu’un emmerdement passager. Le futur, si tous ces prophètes de malheur voient juste, est beaucoup plus sinistre dans la durée. Or, si on ne sait pas encore trop de quoi il sera vraiment fait, on sent bien qu’il se met en place et qu’on ne devra plus très longtemps attendre avant de le subir de plein fouet. Assez curieusement, on sent peut-être bien aussi que le révisionnisme entourant Daft Punk (génies, mon cul. 100% appropriation culturelle, ouais!) et la disparition de l’ambiguïté et du non-formaté dans le cinéma sont des signes avant-coureurs, bien qu’anecdotiques, de ce sombre avenir. Comme l’évoque Curtis, ce n’est jamais encourageant quant au nom de l’esprit rationnel, la vision du monde se simplifie à l’extrême, se binarise au nom des sciences humaines, se réécrit pour correspondre au mythe du moment. Mais peut-être bien que je m’emballe. Que tout cela veut simplement dire que les discussions de comptoir me manquent vachement plus que je ne veux bien l’admettre…

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